Moins consommer

Publié le par Michel Durand

Comme je l'ai indiqué précédemment, dans cette catégorie "anthropologie", je donne diverses réflexions sur le sens, ou non sens, du travail. Textes qui me semblent d'une grande importance alors qu'on veut augmenter la durée du travail salarié tout en critiquant "mai 68".

Je poursuis  la publication des textes qui résultent du colloque que nous avons tenu avec Confluences il y a au moins une dizaine d'année. Cette semaine et la semaine prochaine la parole est donné à Georges Decourt, prêtre, socilogue, ayant travail  à Economie et Humanisme.


Conclusion : si les personnes pouvaient se détacher de la tentation de tout consommer, le temps libre serait vu comme un temps de création.1114copie.jpg

J'ai voulu rappeler trois éléments pour le débat : l’émergence de nouvelles représentations, la montée des disparités sociales, le changement de l’articulation travail-loisir.

Des changements sont en cours, d’où naîtront des représentations sans doute nouvelles ou renouvelées du travail, de l’emploi et du loisir pour les générations futures, sans pouvoir deviner encore lesquelles.

On sait que :
- des années difficiles sont devant nous pour le financement des retraites, dont le début risque d’être retardé et la pension diminuée par rapport à la situation présente ;
- des emplois sont et seront créés mais en nombre insuffisant pour satisfaire la demande ;
- la reprise économique ne s’accompagne pas automatiquement de relance des embauches ;
- vers 2010 les arrivants sur le marché du travail seront moins nombreux en France, mais bien plus nombreux dans les pays pauvres.

Aux menaces que représentent les trop grandes disparités de niveau de vie entre populations du Nord et du Sud, risquent de s’ajouter les disparités à l’intérieur des pays riches : entre nouvelles classes sociales et entre générations.

Pour l’heure, ce que l’on peut dire, c’est que l’avènement d’un “autre temps” n’est pas le lot de tout le monde, mais de ceux qui peuvent bénéficier de revenus suffisants sans toutefois être submergés par leur travail.

On parle de diminution du temps de travail, mais le temps libéré n’est pas automatiquement un temps sans travail. En effet,
- d’une part,  il s’agit en fait de la diminution du temps d’emploi et non pas du temps de travail,
- d’autre part, il n’y a pas que le facteur “gain de temps” qui compte, il y a aussi le facteur “gain d’argent” : si un emploi n’est pas suffisamment rémunérateur, il ne dégagera pas de temps libre pour le loisir, mais de temps libre pour chercher des revenus complémentaires.
La civilisation des loisirs suppose une civilisation du travail où le travail est suffisamment rémunérateur pour se payer du “bon temps”. Même si le travail n’est pas motivant, au moins sert-il à se procurer des biens.

Aujourd’hui :
- d’une part travail et loisir sont hors d’atteinte pour une forte minorité de compatriotes,
- d’autre part l’articulation travail-loisir est modifiée par les différents rythmes auxquels nous vivons. C’est que le temps-sans-travail n’est plus une utopie mais une réalité, mais une réalité bien différente de celle que l’on rêvait il y a trente ans. Le travail pour tous, le plein emploi, qui était la réalité des années 60, est devenu une utopie pour beaucoup d’observateurs, bien qu’en ce domaine personne ne soit sûr de l’avenir.

Ce qui devient typique aujourd’hui pour toute une génération en France, c’est l’alternance entre emploi précaire, emploi assisté, non-emploi, emploi insuffisamment rémunéré pour permettre à une famille de subsister, travail bénévole non rémunéré, loisir, formations, travail en contrepartie de revenus sociaux, préretraite progressive... Les loisirs ne se situent donc pas dans l’existence de la même façon pour tout le monde.
L’augmentation du temps non travaillé, par défaut de travail, pourrait nous amener à une société non plus organisée autour du travail effectif sous forme d’emploi typique, mais autour de la recherche de revenu de subsistance sous des formes diverses. Cette situation supposerait une forte capacité des individus à rebondir, à s’adapter, pour profiter des opportunités qui se présentent, pour réagir aux évènements et au contexte.

Ce qui est à craindre, c’est qu’une telle société ne débouche sur la loi de la jungle où les plus entreprenants réussiront aux dépens de ceux qui sont dépourvus d’esprit d’initiative. Mais il n’est pas impensable que nos sociétés sachent inventer des formes contractuelles collectives qui permettent aux uns et aux autres de vivre ensemble : on a su le faire en organisant le travail autour d’un contrat de personnes (employeur-employé), avec des négociations collectives (syndicats d’employeurs et d’employés), des dispositifs généraux (lois votées par les élus nationaux, appliquées par les administrations) ; on a su le faire en organisant le non-travail des chômeurs en conjuguant des dispositifs nationaux, des initiatives privées (association intermédiaires, entreprises d’insertion...), des réglementations publiques...
L’important dans tous les cas de figure, c’est que les personnes puissent s’arracher à la tentation du tout-consommer pour apprendre à créer, à produire : avoir des pratiques culturelles plutôt qu’acheter des biens culturels, organiser son temps plutôt que le subir, parvenir à prendre des initiatives plutôt que d’attendre seulement des aides...

Publié dans Anthropologie

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