Travail et temps libre

Publié le par Michel Durand

Comme je l'ai indiqué précédemment, dans cette catégorie "anthropologie", je donne diverses réflexions sur le sens, ou non sens, du travail. Textes qui me semblent d'une grande importance alors qu'on veut augmenter la durée du travail salarié tout en critiquant "mai 68".

Je dois mettre un terme à cette "relation" du colloque, Travail et temps libre. Il y a trop longtemps que je vous en parle. Ecoutant d'une oreille (parfois distraite) les informations, je ne peux que reconnaitre le décalage immense entre  nos paroles et ce qui se dit aujourd'hui. J'en reparlerai.

Conclusion du colloque par Paul Moreau :etudia.jpg

Importance de l'éducation

On apprend à conduire une voiture et on n'apprend pas à se conduire dans la vie.
Pour terminer je voudrais revenir à l’éducation. Je ne sais pas du tout, effectivement, comment les choses vont évoluer. Je ne sais pas non plus comment on s’y prendra pour organiser ce temps libre compte-tenu de la complexité que nous autres praticiens et spécialistes avons mis en évidence. Plus modestement, j’en reviens à la question de l’éducation. La capacité de pouvoir vivre de telle sorte que par la vie elle-même, par les activités elles-mêmes - qu’elles soient plutôt créatives, ou plutôt contemplatives, parce qu’après tout on pourrait parler d’une activité contemplative - cette capacité doit faire l’objet d’une éducation. Et ce serait intéressant d’observer du point de vue sociologique la façon dont on utilise, on occupe sa retraite, en fonction de l’éducation qu’on a reçue. Je disais tout à l’heure : on peut venir à l’université lorsqu’on a 65 ans parce qu’on sait ce qu’on peut y trouver. On pourrait s’inquiéter aujourd’hui de ce que, dans les discours ambiants, on martèle l’idée qu’éduquer c’est équiper puisque équiper c’est un des sens du mot instruire en latin. En fait on veut rendre de plus en plus habiles les jeunes gens, les jeunes adultes, et beaucoup de chefs d’entreprises disent sans rire que l’école, le lycée, l’université ne savent pas s’y prendre pour former au monde du travail. C’est un discours vraiment répandu. Dernièrement un grand patron lyonnais m’a dit : “vous ne savez pas, dans les lycées, ce dont nous avons besoin”. Déjà on pourrait faire remarquer que, d’un point de vue strictement économique, ce n’est pas l’intérêt du monde économique d’avoir des gens trop pointus parce qu’effectivement s’il faut des gens qui sachent inventer, se rendre mobiles, il faut faire confiance à ce qu’on appelle, jusqu’à nouvel ordre, la culture générale qui a aussi des effets d’efficacité et qui intéresse le monde du travail, le monde de l’entreprise, le monde économique. Quelqu’un qui a été formé à la culture générale, l’important ce n’est pas ce qu’il a appris en termes de contenu, c’est ce qu’il a appris en termes formels. De la même façon qu’un sportif sera d’autant plus performant qu’il aura cultivé éventuellement des sports différents, y compris d’autres sports que celui dans lequel il va se spécialiser, on pourrait dire que dans le monde professionnel il est bon d’avoir bien d’autres connaissance et pratiques que celles dans lesquelles on va se former. A mon avis, le monde économique fait un mauvais calcul et un mauvais grief à l’école quand il dit que l’école ne dispense pas les savoirs utiles ; parce que si c’est comme cela, on peut faire tomber 80 % des disciplines et des matières qui sont enseignées au lycée ; ou alors on va faire de l’anglais, mais purement commercial, purement technique, on va apprendre à faire un rapport, on va apprendre l’histoire contemporaine, par exemple l’histoire des sociétés récentes, mais on va laisser tomber l’histoire ancienne, la civilisation gréco-latine. On ne va surtout pas faire du latin ou du grec. On ne va pas apprendre Gœthe ou Shakespeare ; ça ne sert strictement à rien. La philosophie n’en parlons pas, elle est plutôt dangereuse. Bref, là c’est une petite polémique. Mais l’essentiel est ailleurs parce que tout de même il faut qu’effectivement on réfléchisse véritablement sur le sens de la vie. C’est une question qui est aussi d’ordre moral. On apprend beaucoup de choses, on apprend à conduire une voiture et on n’apprend pas à se conduire dans la vie ; et c’est donc tout simplement l’enseignement de la morale qui se trouve laissé de côté et tout cela au nom d’une conception très instrumentaliste de l’éducation. D’ailleurs le mot “éducation” est mis à toutes les sauces, par exemple on trouve dans les revues, aux pages publicitaires, dans la rubrique éducation, une annonce pour une école de gestion. Je regrette, ça n’est plus de l’éducation la gestion que l’on apprend soit dans l’enseignement supérieur, soit dans l’enseignement technique ou professionnel. L’éducation c’est autre chose, c’est la formation de l’homme. Je ne dis pas que dans les écoles il ne faille pas aussi prendre en compte les savoirs instrumentaux. Mais il est évident qu’il faut toujours revenir à l’essentiel qui est de donner à des enfants, à des adolescents, à des jeunes gens, des jeunes adultes, les moyens de réfléchir sur le sens de la vie. Qu’est-ce que vivre ? Parce qu’en somme, comme on l’a dit, le grand problème c’est que si l’on ne sait pas vivre, si l’on n’a jamais réfléchi sur le sens de la vie, sur les priorités, sur les hiérarchies, on risque bien, lorsque pour différentes raisons on n’a plus d’emploi salarié, d’être sans la moindre capacité de vivre. On parlait tout à l’heure de personnes qui risquaient bien de mourir après avoir quitté leur emploi. C’est terrible, parce que c’est la question même de l’existence qui est en jeu.

Publié dans Anthropologie

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