Patrick Peugeot, l'inlassable défenseur des sans-papiers.

Publié le par Michel Durand

Dans le cadre des cercles de silence


Après avoir lu un article sur le franciscain Alain Richard, voici un complément avec le président de la Cimade.


Quotidien La Croix, samedi 29/11/2008

Cet ancien dirigeant d'entreprise préside la Cimade depuis 2006. Homme de conviction, il alerte les pouvoirs publics et les citoyens sur la situation « injustifiable » des étrangers retenus dans les centres de rétention administrative.

Longtemps, son nom fut associé au monde de l'assurance. C'est d'ailleurs au siège d'AG2R La Mondiale, boulevard Haussmann, à Paris, qu'il reçoit, souriant et détendu, totalement disponible pour ce temps de conversation conquis sur un agenda plus que chargé. Avec simplicité, il parle de sa vie professionnelle, explique pourquoi il occupe toujours ce lumineux bureau, évoque ses multiples activités, et ce « TGV qu'il prend comme le métro ». Et puis, il parle de lui. Et surtout de la Cimade.

Depuis 2006, cet homme massif et enjoué, généreux et accessible, a en effet pris la présidence de cette association, la seule autorisée depuis 1985 - à l'époque, aucune autre ne s'était portée candidate - à pénétrer dans les centres de rétention administrative (CRA) où sont retenus les étrangers sans papiers en attente d'expulsion, pour leur apporter une aide notamment juridique. À l'origine, Patrick Peugeot est pourtant un pur produit de l'élite française. Polytechnicien et énarque, il a été conseiller à la Cour des comptes avant de poursuivre une carrière dans les cabinets ministériels, aux côtés de Jacques Chaban-Delmas, puis de Jacques Delors qui lui a confié le dossier du financement et de la mise en œuvre des nationalisations.

Cet homme de gauche, passionné d'économie sociale, européen fervent, qui a présidé durant six ans le conseil de développement de Lille métropole sous la responsabilité politique de Pierre Mauroy, a aussi fait ses preuves comme chef d'entreprise, chez Scor, groupe spécialisé dans la réassurance dont il a mené à bien la privatisation et l'introduction en Bourse, puis à La Mondiale, une mutuelle d'assurances fondée à Lille en 1905, qu'il a hissée aux premiers rangs de l'assurance-vie. « J'ai aussi cherché à faire bouger les choses, les idées », précise-t-il, l'œil malicieux, en présentant un livret que Françoise Masquelier, sa fidèle assistante depuis 1993, est parvenue à retrouver.

Titré Devoir de cotiser, droit de savoir, ce livret d'une cinquantaine de pages, écrit en juin 2001, commence avec ces mots : « Connaître le montant de sa retraite est une revendication citoyenne, légitime et nécessaire. Dit autrement, c'est une question de démocratie, d'équité et de bon sens », et se conclut par un appel à constituer un service national du calcul des retraites. La réforme engagée par François Fillon en 2003 a retenu la proposition... Dans la foulée, il évoque avec fierté et enthousiasme la Fondation d'entreprise La Mondiale qui soutient les initiatives proposées par les salariés, ainsi que des associations de réinsertion, ou des projets d'aide aux aidants, notamment dans le domaine de la dépendance, et dont il est président.

La retraite venue, ce père de trois enfants aurait pu partager son temps entre son domicile parisien, peut-être aussi Le Vigan et L'Espérou (Gard) où il garde des « racines », et le domaine viticole de Rians (Var), qui désormais lui tient à cœur et auquel il apporte son soutien. Mais voilà. C'eût été contraire à son goût pour le travail et l'action, et à cette idée « qu'on est sur terre pour donner à la société au moins ce qu'on a reçu, de naissance et par sa formation ». Sur les conseils de Pierre Joxe, il est donc entré au conseil d'administration du Centre d'action sociale protestant (Casp), avant que la Cimade ne fasse appel à lui.

Il était, il est vrai, « tombé dans la soupière » quand il était petit. Son père - issu d'une branche de la famille Peugeot qui a peu à voir avec celle qui a fait la prospérité de la marque - était « plutôt libéral de droite ». Sa mère, en revanche, se situait à gauche. « Native de Marseille, elle était protestante et cévenole pur jus, raconte-t il. Indépendante et énergique, elle fut, dit-on, la première assistante sociale de France - elle n'a jamais démenti ! - et la première à se consacrer à la gestion sociale de personnes dans un grand groupe, Peugeot. Elle a aussi été dès la première heure militante à la Cimade. Elle nous embauchait pour plier les circulaires et coller les enveloppes. La Cimade était un élément essentiel de son goût de vivre. »

Côté christianisme social, Patrick Peugeotd doit aussi beaucoup au pasteur Élie

Lauriol qui lui a d'une certaine manière indiqué la voie à suivre : « On doit rendre tout ce qu'on a reçu, me disait-il. C'est dans la responsabilité sociale que vous pouvez apporter le plus. » Les mouvements de jeunes propres à la mouvance protestante, et notamment le scoutisme où il a connu son ami Michel Rocard, ont également joué un rôle dans son sens de l'engagement. L'éducation qu'il y a reçue explique pourquoi il a pris des responsabilités à l'Unef, pourquoi il a présidé pendant des années l'Alliance qui chapeaute les mouvements de jeunesse protestante, et pourquoi il milite à la Cimade depuis la fin des années 1970.

Qu'il ait accepté, en mars 2006, la présidence de l'association n'est pas davantage dû au hasard. « Il fallait pour me succéder en ces temps difficiles une personnalité énergique, avec des relations plus étendues que les miennes, quelqu'un qui suive la politique de près et qui soit convaincu de la cause de la Cimade », explique le pasteur Jacques Stewart, qui l'a précédé dans ces fonctions. De fait. Avec un empilement de trois lois sur l'immigration en quatre ans, l'« industrialisation du dispositif d'éloignement des étrangers en situation irrégulière », et l'adoption de la directive « retour » par l'Union européenne, les défis à relever se font chaque année plus pressants.

Depuis qu'il est président de la Cimade, Patrick Peugeot se rend régulièrement dans les centres de rétention. « Les grillages de six mètres de haut surmontés de barbelés, les uniformes des gardiens... ça ressemble à une prison, même si ce ne sont pas des cellules mais des chambres, s'insurge-t-il. Cette politique d'expulsion est inacceptable, injustifiable. » « Depuis l'attribution aux préfets d'objectifs quantitatifs annuels, le nombre et la taille de ces centres où plus de 30 000 personnes ont transité en 2007 n'ont cessé d'augmenter, poursuit-il. Malgré l'amélioration des conditions matérielles, ils sont de plus en plus carcéraux. Le désespoir des personnes arrêtées de façon souvent contestable et ainsi enfermées entraîne des tensions qui ne cessent de croître : automutilations, tentatives de suicide, grèves de la faim font partie du quotidien. L'incendie du plus grand centre, celui de Vincennes, qui comptait 280 places, a montré à quel point la situation était grave. »

Souvent scandalisés, les militants de l'association font pression sur lui, pour qu'on arrête « de briser inutilement des vies ». « Ils trouvent toujours que je n'en fais pas assez, reconnaît Patrick Peugeot. Lorsqu'un étranger sans papier est expulsé, c'est toujours un échec. Le plus dur, c'est de ne pas céder au découragement, d'assumer le fait que la plupart seront expulsés, tout en continuant de se battre pour les aider à défendre leur droit, atténuer leur souffrance, et trouver parfois une solution. Ce n'est pas commode. Nous avons parfois une appréciation politique des choses un peu différente, mais leur pression est aussi un soutien. »

Lui-même, en tant que président de la Cimade, a retrouvé une parole militante et libre. « Il faut faire contrepoids », dit-il. Et il y met « toutes ses tripes ». Ce qui n'empêche pas la rigueur dans le raisonnement. Fort de sa maîtrise des dossiers et de ses relations, il n'hésite pas à ferrailler avec les préfets, ou avec Nicolas Sarkozy, dont il tenta avec Jean-Arnold de Clermont, alors président de la Fédération protestante de France, de calmer les ardeurs répressives à l'égard des étrangers en 2006. « Il m'a baptisé dans mes fonctions », s'amuse-t-il, mimant la scène où le ministre de l'intérieur, pointant son index vers lui, lui a affirmé : « Monsieur Peugeot, je prendrai la moitié des voix du Front national et je serai président de la République ! »

Ces derniers temps, il rencontre aussi régulièrement Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire. Arguant de l'augmentation du nombre de places dans les CRA, celui-ci a décidé d'en finir avec « le monopole » de la Cimade. « Nous accomplissons notre mission au moyen de financements publics attribués au terme d'appels d'offres tous les trois ans, explique Patrick Peugeot. Tout peut donc être remis en question à chaque renouvellement. Mais cette insécurité est le prix de notre liberté de témoignage, liberté qui est au cœur de notre mission. À force d'interpeller les pouvoirs publics sur de multiples situations individuelles, et de dénoncer une politique d'immigration fondée sur la peur et le repli sur soi, la Cimade a fini par agacer. »

Sans hausser le ton, puisant toute sa force dans une retenue attentive et argumentée, il ajoute : « On peut correctement gérer la question des immigrés si on le fait dans la transparence et le respect des droits. En janvier 2007, la Cimade a publié 75 propositions pour une politique d'immigration lucide et réfléchie. Comme l'écrivait alors Laurent Giovannoni, secrétaire général, l'objectif est d'enrayer la lente mais régulière descente vers l'intolérable. »
Martine de SAUTO

Patrick Peugeot : « On peut correctement gérer la question des immigrés si on le fait dans la transparence et le respect des droits. »

Publié dans Politique

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