Dieu criminogène ?

Publié le par Michel Durand

Il me semble intéressant de vous donner à lire, avec son accord, ce texte de Pierre Régnier, base d’un échange.
Certes, je ne suis pas d’accord avec son analyse des religions qui fait de Dieu un criminogène, et, pour ouvrir le débat, je m’en explique de suite.
Pourtant, malgré ce désaccord, je trouve utile de publier cette expression parce qu’on retrouve cette forme de pensée chez beaucoup de personnes.

« Les religions, écrit-il, enseignent que leurs textes sacrés disent l'authentique parole de Dieu ; cette parole dit que Dieu commande de tuer des individus et des catégories entières de la communauté humaine… » (voir ci-dessous).
Dans cette phrase de Pierre Régnier réside toute la problématique de la révélation. Pour le christianisme, il est clair que la Parole n’est pas dictée. Les écrivains de la Bible sont conditionnés par leur culture familiale, leur histoire, leur formation littéraire ou juridique ou sacerdotale etc… Ce n‘est qu’à travers la sensibilité de l’homme que l’on découvre la pensée de Dieu. Ainsi, si une expression historique incite au crime, comme on le constate parfois dans la Bible, ce n’est pas, par là même, une expression de la pensée de Dieu. Une lecture fondamentaliste, littérale, de la Révélation n’apporte que des erreurs de lecture. Un développement serait donc ici important pour bien comprendre que nous ne découvrons la pensée de Dieu qu’après l’avoir élaguée du vêtement historique et littéraire, nécessairement humain. Autrement dit, il faut aborder sérieusement le problème de la Révélation afin d’éviter toutes formes de « créationnisme » irrationnel.
A mon avis, le judaïsme et l’islam mènent une réflexion théologique semblable. Je laisse la parole aux fidèles de ces religions.
David et Goliath du Caravage


"Résister à" ou "Exiger de" ?
 (à propos des menaces de mort contre Mina Ahadi)

Texte de Pierre Régnier

Chaque fois que nous sommes informés d'un cas concret de violence religieuse, je suis étonné de constater les limites que se donnent, dans la protestation, les défenseurs des Droits de la personne humaine et de la laïcité républicaine. Je peux comprendre que, lorsque celle-ci est menacée par une institution religieuse la protestation prenne simplement la forme d'une résistance à cette offensive. Il en est ainsi, par exemple, lorsque le Vatican veut faire attribuer officiellement un caractère chrétien à la constitution européenne, ou encore lorsque des ministres veulent faire payer par tous les citoyens, y compris les athées, la construction de bâtiments consacrés à l'exercice de cultes religieux. Mais il me semble que la simple résistance n'est plus appropriée lorsque des croyants, vrais ou faux (par exemple des individus à visée politique feignant d'être motivés par une foi religieuse) tuent ou menacent des personnes selon eux coupables de déviances insupportables. On se contente alors d'une vague désapprobation ou, dans le meilleur des cas, d'une ferme condamnation formulée par un porte-parole des institutions religieuses. Cet agissement-ci est condamné, cela suffit.

Je pense que l'on devrait au contraire exiger beaucoup plus : un ferme rejet, une fois pour toutes de ce qui, dans la croyance religieuse et dans son enseignement très officiellement autorisé, comporte une composante criminogène. Cela mériterait de longs développements, mais on peut résumer ainsi : les religions enseignent que leurs textes sacrés disent l'authentique parole de Dieu ; cette parole dit que Dieu commande de tuer des individus et des catégories entières de la communauté humaine ; les institutions religieuses disent qu'il faut croire en Dieu et qu'il faut obéir à Dieu. Cette équation est évidemment en soi criminogène, et ceux qui la maintiennent aujourd'hui dans l'enseignement religieux doivent être considérés comme responsables, certes indirectement mais clairement, des crimes qui, ici ou là, en telle ou telle période, sont effectivement commis en référence à cette conviction plurielle acquise par les criminels au sein de leur religion.
Je pense que l'autorisation d'exercer un culte devrait être subordonnée au clair rejet, très officiellement formulé par les institutions religieuses, de ce que j'appelle la théologie criminogène. Je ne comprends pas que les défenseurs des Droits de la personne humaine n'en soient toujours pas à convenir que seule la forme d'un tel rejet reste à débattre, non sa nécessité. Je peux comprendre que, pour justifier qu'on se contente de résister aux attaques des religions, on invoque la séparation des Eglises et des Etats, un principe lui-même quasi-sacralisé dans les républiques démocratiques. Mais il me semble qu'il devrait y avoir exception pour ce qui peut aboutir –et aboutit effectivement bien souvent de nos jours- au meurtre. Il y a bien une forme d'exception mais dans le sens d'un indéfendable laxisme : alors qu'en tous domaines la République exige la compatibilité avec les Droits de la personne humaine, l'exceptionnelle faveur accordée ici revient à dire que les religions, elles, n'ont pas à être nécessairement compatibles avec les Droits de la personne humaine.
Ce n'est pas un "bouffeur de curés" qui écrit cela. Je suis loin d'avoir rejeté le tout de ma formation chrétienne. Je me dis même volontiers encore largement "jésuiste". Mais je ne vois aucune contradiction avec mon exigence persistante, depuis une dizaine d'années, de désacralisation de la violence religieuse. C'est ainsi que, en mars 2000, dans un petit essai précisément intitulé Désacraliser la violence religieuse, je terminais ainsi :
"Une belle occasion nous est donnée de marquer la rupture avec la religieuse folie interprétative, comme avec la fausse et complice laïcité. L'ONU lance une "décennie pour l'éducation à la non-violence" grâce à un long combat de militants pour une Alternative Non-Violente (pour reprendre le titre de l'excellente publication d'une partie de ces militants). Disons haut et fort que cette initiative ne pourrait atteindre son objectif si le programme éducatif annoncé n'incluait une démarche pour un respect des droits de l'homme au sein de toutes les religions, donc pour une désacralisation de la violence religieuse, y compris dans les religions les plus traditionnelles, les plus officiellement reconnues."
Je n'ai pas pu publier mon petit essai mais j'ai, par la suite, exprimé la même exigence, sous une forme ou sous une autre, dans des libres opinions proposées -là encore en vain- à la presse. J'ai aussi, très logiquement, fait une démarche auprès de l'UNESCO, l'organisme chargé par l'ONU de la coordination des activités de la Décennie pour l'éducation à la non-violence. J'ai demandé par écrit à son Directeur Général, Monsieur Koïchiro Matsuura, de profiter de l'arrivée à mi-parcours de la Décennie, en 2005, pour faire une évaluation des résultats jusque là obtenus, et je lui ai demandé qu'on pose cette question : n'a-t-on pas oublié, à l'origine de l'initiative formatrice à la non-violence, de formuler une exigence envers les institutions religieuses, lesquelles transmettent encore aujourd'hui leur conception criminogène de Dieu ? J'ai récemment rappelé ma démarche, à nouveau par une lettre au Directeur Général de l'UNESCO, en précisant qu'elle reste valable pour une arrivée, cette année, aux trois quarts de la Décennie.
Mais des organismes de l'importance de l'ONU et de l'UNESCO ne peuvent prendre en considération des initiatives à caractère individuel. C'est pourquoi je transforme maintenant mon combat en tentative de convaincre les républicains laïques et pacifiques qu'il faut une très large intervention collective pour exiger des religions autorisées à pratiquer leur culte un ferme rejet, très clairement et très officiellement exprimé par les institutions religieuses elles-mêmes, de toute conception criminogène de Dieu.
Pierre Régnier,  le 26 mars 2007         


pour alimenter le débat :
Le 26 mai 2007 l'association
Faire Le Jour  ...
"Solidarité avec Nawal Saadawi"...
Mina Ahadi...

Publié dans Bible

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
E
Je voulais également ajouter que pendant longtemps l'Ancien Testament m'a moi aussi plutôt rebutée. A part le Cantique des Cantiques, la plupart des psaumes et le livre de la Sagesse, que je trouve très beaux, j'ai toujours détesté la violence qui se trouve dans les autres textes. C'est vrai que je n'y retrouve pas Dieu tel que le Christ nous le fait connaître. Jusqu'au jour où quelqu'un m'a fait comprendre que c'était là d'abord une histoire, l'histoire d'un peuple, forcément ancré dans un contexte historique et qui se déploie en évoluant au cours des siècles. Il ne s'agit pas d'un modèle à suivre, mais d'une histoire qui nous est racontée d'un peuple en évolution et cette évolution correspond à l'évolution de tout être humain. Peut-on en toute justice reprocher à un adulte les bêtises de son enfance ? N'a-t-il pas évolué au cours de sa vie ? La vie de chacun peut être lue en parallèle à l'histoire du peuple juif...<br /> Vue sous cet angle, l'histoire du peuple juif prend un tout autre aspect. Dieu n'est pas criminogène. C'est la perception que les hommes ont eu de lui au cours des siècles qui peut l'être. Et cette perception évolue au cours de l'histoire. Dieu se révèle petit à petit. Et tout autre que les hommes le voyaient au début.<br /> Edith.
Répondre
E
SI les écrits des évêques, des papes, des théologiens ou penseurs divers, laïques et religieux , sont l'essentiel des grandes lignes directrices d'une religion, alors il est impossible de dire que l'Eglise catholique est actuellement criminogène !!! En tous cas, dans tous les livres que j'ai lu avec beaucoup d'attention, ce n'est pas le coin, loin de là ! C'est même tout le contraire  !!! Bien sûr, je n'ai pas tout lu... Et si, une religion est représentée par ceux qui sont désignés par elle comme étant des saints, c'est également vrai : les grandes figures de l'Eglise sont des personnes de paix, d'humilité, puisant dans le Christ leur immense joie de vivre... Pas bien criminogène, tout cela. <br /> Edith
Répondre
M
Effectivement !L'arbre de quelques uns ne peut cacher l'immense forêt des chrétiens proches de l'Evangile.
P
à Edith et à Michel Durand<br /> Merci, Michel Durand, pour la publication courageuse de ces textes où je mets en question, sans détour, la sacralisation de la violence par les institutions religieuses; en l\\\'occurence, ici, par l\\\'institution catholique. J\\\'y vois une première reconnaissance -en milieu religieux, c\\\'est ça qui est important- que le problème, au moins, existe, ET QU\\\'IL RESTE À RÉGLER, ce qui est habituellement nié (*). Mais ce n\\\'est pas \\\"mon analyse\\\" qui \\\"fait de Dieu un criminogène\\\", ce sont les religions et c\\\'est ça que je leur reproche. Vous dites que \\\"si une expression historique incite au crime, comme on le constate parfois dans la Bible, ce n\\\'est pas, par là même, une expression de la pensée de Dieu\\\". J\\\'aimerais bien qu\\\'il en soit ainsi dans votre religion (qui fut la mienne) mais le problème, justement, c\\\'est que le Catéchisme de l\\\'église catholique, très officiellement présenté et assumé par le pape Jean-Paul II, dit clairement le contraire. Voyez par exemple le passage numéroté 106. Il dit sans ambiguïté, même si ce n\\\'est pas dans ces termes, que toutes les horreurs attribuées à Dieu dans l\\\'Ancien Testament le sont à juste titre. Et bien d\\\'autres passages confirment que c\\\'est bien Dieu qui est responsable des massacres de masse dont la Bible dit, selon les cas, qu\\\'il a appelé à les commettre ou qu\\\'ils lui étaient agréables. C\\\'est ce qui me fait dire, à moi, qu\\\'une religion qui exprime cela n\\\'a pas sa place dans un pays adhérent aux Droits de la Personne Humaine (Droits \\\"de l\\\'Homme\\\"). Et je dis que c\\\'est l\\\'entêtement des institutions religieuses -car les institutions des autres religions sont dans le même entêtement- qui conduit aux violences religieuses effectives, si fréquentes et si terribles dans le monde contemporain. Il faut EXIGER des religions qu\\\'elles mettent fin à leur double langage, qu\\\'elles CHOISISSENT,UNE FOIS POUR TOUTES, entre un Dieu uniquement bénéfique (pacifiste, dispensateur de générosité et d\\\'amour) et un Dieu qui est À LA FOIS cela ET CRIMINOGÈNE.<br /> <br /> Aussi je vous le demande, Edith, soyez choquée par l\\\'interprétation criminogène, PAR VOTRE EGLISE, de ses textes sacrés, non par mon article qui montre le caractère indéfendable de cette interprétation. Et, avec vos coreligionnaires, exigez que votre église ait le courage d\\\'en changer, ce qui est tout à fait possible.<br /> <br /> Bien cordialement. Pierre Régnier<br /> <br /> (*) Plus précisément : que le problème existe est reconnu et, dans mon petit essai de mars 2000 évoqué ci-dessus, \\\"Désacraliser la violence religieuse\\\", je renvoyais moi-même en ces termes à l\\\'un des textes qui le reconnaissent : \\\"\\\"Dans un texte publié par le n°94 (printemps 95) de la revue Alternatives Non Violentes (ANV) titré \\\"Les religions sont-elles violentes?\\\" le théologien Emile Granger rompt avec les tricheries théologiques habituelles, condamne la sacralisation, explicitement reconnue, de la violence religieuse et milite \\\"pour une fois sans violence\\\". Il insiste cependant sur la perversion de la foi là où, me semble-t-il, il faudrait insister sur un véritable refus de progresser engendré par le dogmatisme.\\\"\\\" Car ceci, en effet, est habituellement nié : le problème RESTE A RÉGLER. Et, depuis cette publication, c\\\'est un mystère pour moi : Emile Granger étant décédé, les rédacteurs d\\\' ANV (y compris Jean-Marie Muller, personnellement contacté) n\\\'ont pas cru nécessaire de faire le lien avec la violence effective ACTUELLE commise au nom de Dieu, alors que, selon moi, il FALLAIT enchaîner avec la recherche très concrète de ce qui doit changer dans les religions pour que le problème se règle progressivement. Aveuglement ou démission devant le caractère radical de la réforme à mettre en chantier (et, donc, des pesanteurs écclésiastiques à bousculer)? <br />
Répondre
E
Ce texte est un peu choquant. Je ne suis pas sûre que toutes les institutions religieuses fassent appel actuellement à la violence, d'une part, et les textes religieux sont truffés d'appel à la non-violence, à l'amour du prochain, etc.. Hitler a été à l'origine de beaucoup de violence et de meurtres alors qu'il ne répondait pas à une religion quelconque, et beaucoup d'autres sont de la même veine. Ne serait-ce pas plutôt les humains qui sont violents, certains plus que d'autres, et qui prendraient appui sur certains textes religieux pour se dédouanner de leur violence, comme exutoire ? J'ai tendance à dire que Dieu laisse l'être humain libre de choisir sa manière d'agir, ce sont les humains qui utilisent la coercition. Quand des hommes se disent violents au nom de Dieu, ils le seraient de toute façon au d'une chose ou l'autre. Dieu est juste un prétexte.
Répondre
M
Je remercie Edith pour ce commentaire. Les dieux des villes païennes de l'antiquité furent utilisés pour attaquer les villes voisines. Le Dieu, créateur de l'univers, désacralisant les temples urbains, le Dieu biblique par la vois de ses prophètes (par exemple Isaïe) déracine du cœurs des hommes toute forme de violence radicale. Il est impossible de faire une étude de Dieu (théologie) sans considérer les contextes historiques. Quand des fidèles d'Allah tuent au nom du créateur, ils ne sont que dans le prétexte.