Déménagement

Publié le par Michel Durand

en tant qu’homme, mais aussi en tant que chrétien : on ne peut pas ne pas agir.

on ne peut pas faire n’importe quoi, sous prétexte d’ultralibéralisme

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Coup de fil tout à l’heure… je décroche… un fond musical se fait entendre, et puis une voix, la voix d’une femme qui doit être assez jeune : « Bonjour ; pourrai-je parler à Monsieur Delthil ? », je réponds que c’est moi… C’est le magazine Pèlerin qui me contacte suite à une dizaine de numéros gratuits qui m’ont été généreusement offert… la téléprospectrice me propose dans la foulée de m’abonner pour six mois en bénéficiant d’une forte réduction, je coupe court, poliment, en lui expliquant que je suis au chômage, au RSA, que je vais (devoir) déménager pour me rapprocher des miens, de ma famille, pour pouvoir être logé gratuitement également ; et pour tenter de rebondir ailleurs, avec un peu de chance. La crise économique. Je parle à cette personne qui n’avait rien demandé d’autre que de me vendre un petit abonnement léger, de la crise économique, comme ça, de but en blanc… mince… on pensait pourtant bien qu’elle était finie, ou presque, cette crise (les indicateurs économiques sont repartis à la hausse, me semble-t-il)… avec un peu de chance, on n’en parlera plus — qui sait, peut-être d’ici un an ou deux… Mais il y a une réalité, tenace, avérée, qui me revient à la mémoire et je dirai même plus exactement, à la conscience : celle d’avoir entendu en 2008 ou 2009 certains économistes, certains spécialistes de l’économie et de la finance mondiale annoncer une nouvelle crise économique d’ici cinq à six ans (ça nous amène aux alentours de 2015) si rien n’était changé dans nos manières profondes d’agir et de spéculer. Nous parlons de cela avec la dame que j’ai au bout du fil, et moi d’ajouter — parce que j’ai les pieds bien sur terre — que j’ai rencontré hier un homme que je connais un peu. Il était assis sous un porche d’immeuble, cours Berriat (c’est à Grenoble), avec quelques piécettes étalées devant lui, et un petit mot soigneusement écrit sur un cahier d’écolier. Cet homme s’appelle Patrick. Il a mon âge, à peu près. Il a été employé de la Poste, c’est lui que je rencontrais souvent au guichet de la Poste de Fontaine lorsque j’avais quelques démarches à faire. Maintenant il a perdu son travail. Il fait la manche. Il est réduit à rien, ou presque, aux yeux de la société — de celles et ceux en tout cas qui la composent et qui décidément ne souhaitent pas trop comprendre le pourquoi du comment : il a eu des problèmes, il ne s’est pas assez battu, il a lâché la rampe, il a perdu. Ça s’arrête là. Plus ou moins là.

— (moi) Ils discutent un peu avec vous, les gens, là, qui passent dans la rue ?...

— (lui) Non, pas vraiment…

Je regarde, il est autour de 18 heures, les trottoirs sont bien remplis, le monde défile… et ne regarde pas vraiment cet homme. Certaines personnes détournent le regard. Deux types dont l’un (au moins) semble être SDF : ce n’est pas folichon pour tout vous dire…, et puis il y a la fatigue accumulée de la semaine, le week-end qui est là…

— (moi) Vous avez un logement ?

— (lui) Oui ; enfin, je suis logé chez des amis.

— Vous êtes originaires d’ici ?

— Non.

— Vous avez de la famille ici, à Grenoble ?

— Non. Je n’ai personne.

— Vous n’avez pas pensé vous rapprocher des votre ? vous êtes originaire de quelle région ?...

— De la Bretagne, des Côtes-d'Armor ; vous connaissez…

On parle un peu du pays, l’ami y a encore ses parents, quelques frères et sœurs, cousins cousines…

— Vous serez tout de même moins seuls, là-haut, non ?…

— Oui. Je pense que je vais remonter.

Comme pour ce qui me concerne, après mon déménagement dans le Loiret.

Voilà ce que je racontes à la dame qui voulait me faire part d’un abonnement aux conditions avantageuses, elle qui ne m’avait rien demandé d’autre finalement — et elle, et moi, de nous poser au téléphone sérieusement la question de savoir si ces économistes et ces spécialistes avaient (et ont toujours) raison, quelle en seraient les répercussions aux alentours de 2015 pour l’équilibre du monde ; pour nous en somme. On ne peut pas gommer la question — on ne peut pas gommer cette question : c’est tout bonnement impossible… elle revient, inlassablement elle revient, jusqu’à vous user la cervelle ou jusqu’à ce que vous vous mettiez délibérément à croire que tout s’arrangera, naturellement, comme ça, tout seul, comme par miracle pourrait-on dire…

Combien faudra-t-il encore de déménagements de la sorte (et nous sommes chanceux, avec l’ami, d’avoir de la famille), et combien faudra-t-il encore qu’il y ait de personnes jetées à la rue, ou logées très indignement, ou contraintes de quitter leurs pays, ou de supporter un travail (dégradant parfois) qui n’est en rien en lien et en rapport avec les qualifications et les aspirations des dites personnes ?... Ce sont des questions que je me pose, que je vous pose également (mais vous vous les êtes certainement déjà posées, peut-être maintes et maintes fois d’ailleurs, sans toutefois peut-être trouver de réponse).

La téléprospectrice est toujours au bout du fil, nous sommes plus ou moins à bout d’arguments — elle pour me vendre ses abonnements et effectuer son travail, moi pour trouver des réponses aux questions que je soulève.

— (moi) Il faut fédérer, il faut nous regrouper, toutes et tous ensemble : jeunes et vieux, riches et pauvres, Black-Blancs-Beurs, de droite et de gauche, avec travail ou sans travail, valides et handicapés, croyants et non-croyants, etc.

— (elle) […]

Et moi d’ajouter qu’à mon sens, que ce soit ici en France ou partout ailleurs dans le monde, il faut nous regrouper, oui, réfléchir, partager et croiser les idées, proposer aussi, agir, secouer, insuffler, inventer… pour que le monde soit autre, pour que ce monde soit autre, autrement dirigé et guidé, fondamentalement — et j’ajoute à mon interlocutrice qu’en tant qu’homme, mais aussi en tant que chrétien : on ne peut pas ne pas agir. La vie d’un homme est quelque chose de sacré. La vie d’un Patrick est sacrée, celle d’un Jean-Marie aussi, ou bien d’une Véronique, d’un Lucien, d’une Céline… toutes nos vies à chacune et chacun d’entre nous sont sacrées, on ne peut pas en faire n’importe quoi, sous prétexte d’ultralibéralisme et de libre échange à tout va’ ; non. Nous sommes responsables de nos vies, et de celles des autres également — en tant qu’homme et en tant que chrétiens : nous avons et nous aurons des comptes à rendre là-dessus, immanquablement, et d’ailleurs si souvent notre esprit nous ronge lorsque nous n’agissons pas positivement et humainement.

Je terminais avec la dame que j’avais au bout du fil par lui dire que j’étais client de Yahoo pour mes courriers électroniques, et qu’à chaque fois que j’ouvrais la page d’accueil de l’opérateur, j’y trouvais naturellement les infos du jour ou des tout derniers jours… et presque toutes se faisaient l’écho de scandales divers et variés, de fait divers plus ou moins sordide également. Il n’y avait pas (ou plus) là l’envie, le désir de monter au créneau, de se regrouper, de se rassembler pour tenter d’y voir plus clair et peut-être d’agir, mais cela générait plutôt l’envie de dire que l’autre est ma foi bien inquiétant le plus souvent, dans sa manière de vivre et de frapper.

Si nous ne nous regroupons pas — si nous ne faisons pas cause commune (vraiment cause commune) —, nous irons dans le mur. Certains s’y sont déjà écrasés, d’autres pourraient malheureusement suivre (en masse).

Le mur, nous le connaissons : le désir de pouvoir et d’argent outre mesure, l’individualisme exacerbé, l’orgueil ; l’absence de vie intérieure également, de spiritualité, de foi (l’absence de Dieu).

Nous allons vite, le mur est à deux pas… et on ne vit pas deux fois…

On peut l’éviter ? Il est large.

On peut encore freiner ? Il est temps !

On peut le démonter finalement, ce mur, tenter d’en reconstruire un… ou autre chose encore, une route, des abris, une passerelle ou un pont ? Oui, je le pense, le meilleur est possible, mais toutes et tous ensemble. Radicalement ensemble.

 

Jean-Marie Delthil. 18 juin 2011


Publié dans J. M. Delthil

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