Est-il possible de laisser rouiller en paix dans un coin la grande usine à gaz du Vatican, de repartir à zéro avec les mots de l'évangile ?
Robert, prêtre ouvrier en retraite active, du Prado, toujours attentif à ce qui se vit et se dit, communique sur internet de nombreux textes ; ceux qu’ils jugent comme très important à lire.
Je vous transmets aujourd’hui, une Tribune parue dans Témoignage Chrétien le 3 octobre 2013. Son contenu me semble bien s’incérer dans la ligne des postes précédents.
Mgr Jacques Noyer, conscient que l'Église ne peut bouger en un jour, même avec ce pape qui étonne, aperçoit une « espérance remise en marche ».
François, le dernier des papes ?
« François anticipe dans sa personne une forme eschatologique d'existence, qui en tant que forme générale de vie, appartient encore à l'avenir. » Ceci est une citation de Benoît XVI ! ou plutôt de Joseph Ratzinger quand il n'était que théologien. Je vous précise tout de suite qu'il s'agit de François d'Assise vu par saint Bonaventure et non pas du Pape François annoncé par son prédécesseur.
En le voyant quitter les apparats de Souverain Pontife, comme le premier François rendait sur la place d'Assise ses vêtements de bourgeois à son père, on pourrait le penser. Un pape qui souhaite « bon appétit » à ses interlocuteurs, un pape qui paye sa note d'hôtel, un pape qui voyage son bagage à la main, un pape qui parle de rejoindre les pauvres et les périphéries et qui va à leur rencontre à Lampedusa...
Pendant des mois, je restais bouche bée devant tant de surprises. Nous avions des idées sur l'avenir de l'Église, sur les qualités souhaitées pour le nouveau pape, sur la priorité des réformes à entreprendre. Mais nous n'avions pas prévu cela : un pape qui ne joue pas au pape !
J'attendais ce qui allait se passer : une fin du monde ? En étions-nous aux derniers jours de l'Église quand s'ouvre le Royaume de Dieu ? Hélas, mon âge ne me permet plus de voler facilement dans l'enthousiasme de l'Apocalypse. Je voyais cette Église, son poids, ses habitudes, ses certitudes. Je savais son inertie. Comment ce papillon-là pourrait-il réveiller la baleine ? Je me demandais s'il était possible peut-être de laisser rouiller en paix dans un coin la grande usine à gaz du Vatican et de repartir à zéro, avec les mots de l'évangile. Notre Église serait-elle capable de muer comme un serpent qui abandonne sur place sa carapace encombrante ? À notre pape, il suffit d'une place vide où donner rendez-vous à tous les assoiffés de la Bonne Nouvelle.
L'espérance
Bon ! Je sais que je rêve. On n'efface pas d'un coup le poids de mil ans de chrétienté. Il y a les ambassades. Il y a des cardinaux. Il y a des policiers. Il y a des gardes suisses. Il y a des finances. Il y a des bureaux. Il y a la curie. Alors je me demande s'il saura, avec son sourire désarmant, transformer le décor qu'il ne peut effacer. On a déjà vu quelques gestes prophétiques. On a vu la différence entre un pasteur soucieux des personnes et un docteur soucieux d'un discours. On a entendu l'appel à rejoindre les périphéries au lieu de s'assembler docile autour du centre. On a vu la priorité d'une attention à tous ceux que ce monde ne veut pas voir. On attend des mots neufs, des images inattendues, des gestes improvisés. On commente, on s'amuse... Mais les médias ne voient que des opérations de communication plus ou moins habiles. Dans l'Église, il n'y a pas la révolution. On a changé les portraits dans les sacristies. Mais tout continue comme avant. Du reste, ce serait faire injure au nouveau pape d'imaginer qu'il puisse vraiment dire autre chose que ses prédécesseurs. Qui oserait appliquer la consigne du Pape François aux jeunes : mettez de la pagaille dans tout cela ?
Pourtant je ne parviens pas à me résigner à ce pessimisme confortable. Les grandes révolutions demandent du temps. Il faut qu'elles se cassent les dents sur l'habituel. Il faut qu'elles rongent, qu'elles sapent, qu'on les croie étouffées pour qu'un jour les grandes institutions s'effondrent. M'est-il permis de croire en l'Esprit de Dieu qui renouvelle ainsi la face de la terre ?
Je sais déjà que des hommes et des femmes découragées par l'immobilisme de l'Église reprennent un peu confiance. Des initiatives presque clandestines osent doucement se manifester. Les évêques qui avaient cru faire plaisir au pape en lançant des chrétiens dans la rue pour défendre la morale voient peut-être aujourd'hui que le pape attend d'eux d'autres démarches envers les pauvres.
On est toujours dans l'attente. Attente de nouvelles initiatives du Pape pour approfondir la remise en cause de la pseudo-chrétienté du Pouvoir. Attente d'un écho plus clair de cette parole neuve dans les rouages compliqués de l'Église Attente aussi des réactions qui ne manqueront pas de soulever tous ceux qui ont leur sécurité dans les institutions du passé. Attente surtout que le désir d'avancer sur les chemins de l'évangile soit permis et encouragé. Jamais la tête n'avance sans les pieds !
Il est beaucoup trop tôt pour chanter l'Alléluia du dernier jour. Mais l'espérance déjà s'est remise en marche.
JACQUES NOYER, évêque émérite d'Amiens
(1) La théologie de l'Histoire de saint Bonaventure, Joseph Ratzinger, PUF, page 81.