La solitude s’accepte dans un apprentissage, une recherche sur soi. On arrive à sa vérité d’homme le jour où on est en dans le vide absolu
L’été est le moment propice pour de longues promenades dans des endroits déserts. Il est agréable, par exemple, de s’éloigner des bruits de la maison (ou du camping) pour goûter au silence de la solitude. La nuit approche, tout est calme.
C’est ce que je disais, le dimanche 28 juillet pendant l’homélie du jour :
« Nous nous retrouvons régulièrement pour prier ensemble. Et, dans cette prière, nous n’avons pas peur du silence. Un silence habité. Comme l’été, la nature est propice aux longues promenades, par exemple le soir quand la fraîcheur est venue, n’hésitons pas à nous mettre à l’écart des bruits de la rue, de la maison, pour nous retrouver pas seulement avec nous-mêmes, mais avec Jésus, le modèle des priants. »
Je vous communique un texte de Marie-France Hirigoyen qui se présente comme un éloge de la solitude.
La solitude est une ouverture qui permet de se détacher du monde pour aller vers d'autres possibles, que ce soit la création, une démarche religieuse, ou tout simplement l'amour. Elle permet de se concentrer tout entier à l'intérieur de soi. S'isoler, faire retraite, constitue une sorte de purification, de régénération. On voit ainsi s'affirmer de plus en plus une recherche d'équilibre personnel incluant santé physique et psychique, cette dernière étant vécue comme un art de vivre et une quête de sagesse et de sérénité. D'où le besoin accru d'espaces de silence, de lieux de méditation. C'est ainsi que, depuis quelques années, les retraites dans des monastères, quelles que soient les religions, sont devenues courantes.
L'homme est un être social qui, certes, a besoin d'interactions avec ses semblables, mais tout autant d'intérêts personnels. Et bien des individus hautement créatifs qui ne vivent pas de relations interpersonnelles intimes, mènent pourtant des vies très heureuses, car ils ont la passion de leur métier et un but important dans la vie. Ils ne sont nullement asociaux et entretiennent avec les autres des relations sociales chaleureuses. Ce n'est pas un hasard si la littérature, le cinéma, la BD, ont souvent mis en scène des héros solitaires qui, par leur indépendance, pouvaient aider les personnes en détresse et « sauver l'humanité ».
D'une façon générale, les créateurs ont besoin de solitude, car ils vont chercher à l'intérieur d'eux-mêmes la matière pour leur œuvre. La plupart des philosophes, penseurs, écrivains ou mystiques ont cherché leur inspiration dans une vie de solitude. Pour écrire son Discours de la méthode, Descartes avait éprouvé le besoin de s'enfermer dans un « poêle» (petite pièce bien chauffée) et Montaigne ne quittait sa fameuse «librairie» qu'en de rares occasions. D'autres s'enferment dans le silence des monastères, là où se sont retirés ceux dont Michaux disait qu'ils pratiquaient la « science du retrait enchanté ». Lors du discours qu'il prononça alors qu'il recevait le prix Nobel de littérature 2006 l'écrivain turc Orhan Pamuk insista quant à lui sur la nécessité pour un écrivain de « se retrouver seul dans une chambre pour se frotter à la foule de ses rêves ».
Des individus plus modestes font aussi le choix de se retirer du monde. Qu'ils soient gardiens de phare, explorateurs navigateurs solitaires, moines ou nonnes, ils ont choisi une activité qui leur permet de valoriser leur goût pour la nature et la solitude. C'est ainsi qu'un Français, David Grangette séjourne six mois par an seul dans une île de l'archipel des Kerguelen pour s'occuper de son troupeau de moutons (Le Monde 5 janvier 2007). Comme beaucoup de solitaires, il dit que, dès l'enfance, il était timide et adorait être seul. À l'âge adulte, il a su trouver une activité lui permettant d'assouvir son goût pour la solitude. Le choix de la solitude, préalablement exceptionnel, dans les registres du religieux ou de l'héroïsme, est bien devenu une potentialité ouverte à tous, comme un cadeau luxueux que l'on peut se faire à soi-même.
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Le choix de la solitude n'est pas un refus de l'autre ou une indifférence aux autres, mais une mise à distance qui, à notre époque où la mode est à la promiscuité, peut être, à tort, interprétée comme du rejet. Cela n'exclut pas la présence de l'autre, car si je suis en paix avec moi-même je me rends plus disponible aux autres : il s'agit simplement de refuser de se laisser vampiriser par l'autre. Pour être disponible aux autres, il faut auparavant s'éveiller à soi-même, être en paix avec soi-même.
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À tort, on associe la solitude à l'égoïsme et à l'égocentrisme, alors que la vie seul, et en particulier le célibat, peut permettre une ouverture au monde que ne permet pas la vie de couple, et la solitude joue parfois un rôle de propulseur pour aller vers quelque chose d'autre. La difficulté d'établir des relations solides dans un monde incertain amène les personnes à se replier vers d'autres aspirations. Le manque, l'échec, la souffrance servent alors de levier pour progresser. On peut y puiser la force pour inventer d'autres liens.
La capacité d'être seul, parce qu'elle nous rend disponibles à l'autre, nous rapproche de l'amour, non pas au sens du coup de foudre passager, mais beaucoup plus d'une communion avec l'autre. Alors que beaucoup s'imaginent que l'amour va mettre fin à leur solitude, c'est au contraire la capacité d'être seul qui permet la disponibilité pour l'amour. Quand on cesse de croire que l'autre va vous réparer, qu'on n'attend plus de lui qu'il vienne mettre fin à vos angoisses, de nouveaux liens peuvent se mettre en place.
Les solitaires sont plus exigeants sur la qualité des relations qu'ils entretiennent avec les autres. Face à un monde où les rapports humains tendent à se réduire au travail et au sexe, c'est-à-dire des rapports d'intérêt et de séduction, se sont développés de nouvelles formes de sociabilité, d'autres modes de relation plus intimes, de solidarité, d'amitié: des relations désintéressées, juste pour le plaisir d'être ensemble. C'est une façon de se tenir à l'écart de la superficialité des rencontres éphémères, pour privilégier les amitiés profondes.