Le jeûne est un moyen d’action sociale et politique pour interpeller les hommes sur une injustice, et les appeler à des solutions nouvelles

Publié le par Michel Durand

url.jpg

Voir Libération - Monde ; Devant une foule particulièrement dense qui remplissait la place Saint-Pierre, le pape argentin a demandé aux chrétiens de «renoncer» et de «combattre le mal» en «payant de leur personne» dans leur opposition à toutes formes de guerres.

 

Cercle de silence, veilleurs, jeûneurs, libre expression sur la voie publique… j’ai lu avec intérêt dans le quotidien  La Croix, le point de vue d’Etienne Godinot, président de l’Institut de recherche sur la résolution non violente des Conflits. Cet entretien est à lire à la suite des postes des 8 et 9 septembre. Je vous le communique.

 

« Le jeûne n’a de sens que s’il ouvre à une réflexion politique »

 Selon Etienne Godinot, président de l’Institut de recherche sur la résolution non-violente des conflits, l’appel du pape à jeûner pour la paix en Syrie s’inscrit dans la tradition des actions non-violentes pour interpeller les populations et les autorités politiques.

 

Quel est le sens du jeûne pour vous ?

Étienne Godinot : Le jeûne est une privation volontaire de nourriture pendant une période déterminée – ce qui le rapproche de la grève de la faim limitée – qui permet au jeûneur de se consacrer davantage à la réflexion, à la prière, à la méditation. C’est aussi un temps de purification et de pénitence, comme l’illustrent le Bouddha ou Jésus, qui a jeûné pendant quarante jours au désert, rejetant les trois tentations du mystère, du miracle et du pouvoir. Dans une communauté marquée par la discorde, il peut avoir un objectif de réconciliation. Le jeûne a une dimension éminemment horizontale : il est avant tout un moyen d’action sociale et politique pour interpeller les hommes sur une injustice, et les appeler à des solutions nouvelles. Dans la tradition non violente, les exemples sont multiples : en 1972, Lanza del Vasto jeûne pendant quinze jours pour inciter les paysans du Larzac à adopter une stratégie non violente ; Théodore Monod et ses amis jeûnaient tous les ans à Taverny (Val-d’Oise) contre l’arme nucléaire… Sans parler de Gandhi dont le dernier jeûne fut une grève de la faim illimitée pour que les communautés hindoue et musulmane se réconcilient.


Quelle est son efficacité ?

E. G. : Il est efficace s’il est associé à d’autres moyens – manifestations, boycott, désobéissance civile. Pratiqué seul, il ne suffit pas à provoquer un rapport de force, or la non-violence est l’exercice d’un rapport de force au nom de la justice. Le jeûne n’a de sens que s’il offre l’occasion d’une réflexion politique. Une réflexion spirituelle, bien sûr – les croyants confient à Dieu le mal qui est en eux –, mais aussi politique. Sans cela, un appel au jeûne reste un vœu pieux.


L’appel du pape à jeûner et prier pour la Syrie vous semble-t-il dérisoire ?

E. G. : Non. Certes, c’est insuffisant, mais le jeûne a aussi pour fonction d’alerter, d’interpeller, de dramatiser. On est à la frontière du spirituel et du politique et, à mon avis, l’appel du pape François se situe à ce niveau. Jusqu’ici les papes appelaient de manière très abstraite à prier pour la paix. Ce qui me semble nouveau, c’est que son appel porte sur un jour précis, et pour une cause précise, ce qui incite davantage les croyants à se mobiliser. Je crois à la force de la prière, mais ce ne sont pas les croyants qui prient Dieu d’envoyer la paix… C’est au contraire Dieu qui prie les hommes, à qui il a confié sa Création, d’inventer les moyens de parvenir à la paix. Et parmi ces moyens, figure en premier lieu la stratégie non-violente dans laquelle le jeûne s’inscrit pleinement. Les religions ont pour rôle de proclamer que la résolution non violente des conflits est la règle de conduite des hommes et des sociétés. La réaction du grand mufti de Syrie, qui a écrit au pape pour proposer un sommet interreligieux à Damas ou au Vatican, est déjà un fruit concret de cet appel.

 

RECUEILLI PAR CÉLINE HOYEAU

Publié dans Politique

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article