Cinq cents candidats à l'émigration ont disparu entre Malte et la Sicile. Coulés, semble-t-il, parce que les « passeurs » avaient finalement décidé de s'en débarrasser

Publié le par Michel Durand

Voilà ce que Bruno Frappat écrit dans La Croix du dimanche 21 septembre 2014. Je le lis en pensant à l’urgente réalité de la tenue des cercles de silence.

Cimetière Marin

Migrants

Une goutte d'humanité dans la mer. Depuis des années, l'Afrique et désormais une partie du Proche-Orient ont disposé un sinistre et invisible goutte-à-goutte composé d'êtres humains qui se perdent en Méditerranée. Si nombreux soient-ils, ils ne parviennent pas à rougir la Grande Bleue. Ni à émouvoir l'Europe qui laisse l'Italie se débrouiller quasiment seule face à ces vagues pathétiques. Cette semaine, alors que nous étions tous éblouis par les effets euphorisants de l'été indien, cette belle saison de rattrapage, cinq cents candidats à l'émigration ont disparu entre Malte et la Sicile. Coulés, semble-t-il, parce que les « passeurs » avaient finalement décidé de s'en débarrasser pour une raison que la justice aura du mal à élucider.

Le jour où une dépêche de l'Agence France-Presse nous apprenait le sinistre naufrage, pas un mot au « JT » de France 2. Pas une larme versée sur ces Somaliens, Maliens, Éthiopiens, Palestiniens de Gaza, Syriens qui avaient tous payé des fortunes (plus de 1000 euros, sans doute, par passager) pour gagner le continent européen, ses perspectives à leurs yeux mirifiques, ses sociétés qu'ils imaginaient accueillantes dans l'ignorance où ils étaient du fait que celles-ci se raidissent dans leur hostilité à l'immigration.

Mystère échappant à notre entendement, que cette périlleuse insistance. Depuis une quinzaine d'années, on estime à plus de 20000 le nombre des naufragés de la migration qui, partis généralement de Libye, auront perdu la vie avant d'arriver en Sicile. La Libye, où règne une belle pagaille permettant aux trafics de prospérer sans sanctions, est la porte du Nord, l'issue à laquelle ils ont rêvé et qu'ils ont mis des mois à atteindre. Jeunes, vieux, familles, ils s'embarquent avec leur pauvre barda et leurs trésors d'illusions, s'imaginant que nous les attendons à bras ouverts. Ils ne pouvaient pas savoir qu'ils accéderaient seulement au fond de la mer dans un silence sépulcral et que leur « dernière demeure », toutes illusions englouties, serait un lit de vase d'une noirceur d'enfer.

Nostrum

Nous faisons mine de ne pas savoir que ces migrations croissent régulièrement. Que, depuis le début de cette année, ce sont près de 100000 personnes que l'Italie a dû accueillir, ou recueillir en mer. Ces migrants, ces survivants plutôt, il faut bien les considérer comme des humains, des frères, les traiter du mieux que l'on peut, les nourrir, les loger provisoirement, les vêtir. L'Europe a consenti quelques millions d'euros à l'Italie. Une aumône pour les migrants, et cessez de nous ennuyer avec cela. Que Lampedusa et autres villes s'arrangent avec ces peuplades venues du Sud et qu'on aurait dû tenir à l'écart de notre opulence. Viendra peut-être un jour où l'Italie n'en pourra plus d'être seule dans cette bataille. D'être seule à lutter contre ces tsunamis de pauvres hères. Elle applique un programme de sauvetage et de surveillance baptisé « Mare Nostrum » (notre mer). C'est le nom que les Romains donnaient, jadis, à la Méditerranée quand leur empire contrôlait tout le bassin méditerranéen.

Notre mer… La leur aussi. Celle qui nourrit toutes les envies, qui fait miroiter tous les possibles. Qui est gage de liberté par rapport aux menaces de la vie ordinaire chez eux. Qui est symbole de possibilités de vivre librement loin des régimes pourris qui les meurtrissent ou les pourchassent, loin de la faim qui les tenaille. Fuyant leurs pays, qu'ont-ils à perdre? Nous savons, nous, qu'ils n'ont pas grand-chose à gagner, mais nous appartient-il de leur donner des leçons, de leur dire: attention, danger, l'Europe n'est pas ce que vous imaginez? Vous allez être déçus.

Ne nous faisons pas d'illusions: la pression qu'exercent ces migrations désordonnées, désespérées, n'est pas près de cesser. Le malheur des régions où le hasard les a fait naître ne va pas de sitôt s'éteindre et annuler les envies humaines, les besoins de paix, le ­désir d'une vie digne. Ils viennent, ils viendront longtemps encore, embarquant sur leurs esquifs bondés, risquant tout pour nous rejoindre. Pour l'instant, nous sommes, au mieux effarés et impuissants, solidaires de loin, au pire affolés, hostiles, répressifs. Comment inverser le cours de la tragédie qui se livre aux portes de nos ports?

 

Publié dans Politique, migration

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