L'Europe peut trouver le juste équilibre entre le devoir de protéger ses propres citoyens et celui d’accueillir et d’aider des migrants

Publié le par Michel Durand

Le pape François avec les réfugiés syriens arrivés avec lui de Lesbos, à l'aéroport Ciampino le 16 avril

Le pape François avec les réfugiés syriens arrivés avec lui de Lesbos, à l'aéroport Ciampino le 16 avril

Merci à Jean-Paul d’avoir communiqué cet article : Le Monde, mardi 19 avril 2016

Le pape et la parabole des migrants

François est revenu de Lesbos, en Grèce, avec douze réfugiés syriens
LESBOS(Grèce) ■ envoyée spéciale

Elles sont installées dans le Trastevere. un quartier romain qui jouxte le Vatican. Les trois familles syriennes que le pape François a ramenées, samedi 16 avril, de l'île grecque de Lesbos à Rome, dans un geste autant politique qu'humanitaire, ont exprimé leur reconnaissance dimanche dans la presse italienne. « Nous sommes les invités du pape qui nous a sauvés et nous a redonné la vie», a dit l'un des réfugiés, cité par La Stampa. « Nous avons vu mourir amis et parents sous les décombres, nous nous sommes enfuis parce qu'en Syrie, nous n'avions plus aucun espoir, « a expliqué Hasan. un ingénieur originaire de Damas, accompagné de sa femme et de leur fils de 2 ans.

Selon le Vatican, ces douze personnes - dont six mineurs - ont été tirées au sort parmi les familles de réfugiés « en règle »,arrivées à Lesbos avant l'entrée en vigueur, le 20 mars, de l'accord entre l'Union européenne et Ankara qui permet de refouler les migrants en provenance de Turquie. Elles devraient déposer prochainement une demande d'asile auprès des autorités italiennes. Le pontife argentin n'aurait pas choisi intentionnellement des musulmans, selon ce qu'il a déclaré dans l'avion qui le ramenait de Lesbos, mais cette circonstance illustre à merveille le soin qu'il a de ne pas faire de la religion un facteur de clivage, «Je n'ai pas fait le choix entre chrétiens et musulmans, a-t-il affirmé. Ces trois familles avaient des papiers en règle, et on pouvait le faire. Il y avait par exemple deux familles chrétiennes dans la première liste qui n'avaient pas les papiers en règle. Ce n'est pas un privilège. Tous les douze sont enfants de Dieu ».

Dans l'ile, le pape s'était rendu dans le camp de réfugiés de Moria. Accompagné de Bartholomée. le patriarche orthodoxe de Constantinople, et de Ieronymos, l'archevêque orthodoxe d'Athènes et de toute la Grèce, il a pris une heure pour saluer un à un quelque trois cents réfugiés de diverses origines - parmi lesquels de très nombreux enfants, des bébés. Lors de cette rencontre très intense, certains n'ont pu taire leur angoisse. Dimanche, place Saint-Pierre, François a raconté qu'un homme musulman, accompagné de ses deux enfants, lui avait rapporté que sa femme, chrétienne, avait été égorgée pour ne pas avoir voulu abjurer sa foi. « Ce que j’ai vu au camp de réfugiés était à pleurer », a-t-il commenté dans l'avion.

 

« Combattre la traite »

« Ne perdez pas l'espérance, a-t-il lancé aux réfugiés de Moria, vous n'êtes pas seuls.» «Nous sommes venus pour attirer l'attention du monde devant cette grave crise humanitaire et pour en implorer la résolution », a-t-il ajouté.

Les trois dignitaires chrétiens ont rendu publique une déclaration commune très politique. Ils y appellent la communauté internationale à « affronter cette crise humanitaire massive et ses causes sous-jacentes, à travers des initiatives diplomatiques, politiques et caritatives», à agir pour « protéger les minorités, combattre la traite et la contrebande des personnes, éliminer les routes dangereuses, comme celles de la mer Egée et de la Méditerranée, et pour promouvoir des processus sûrs de réinstallation » des réfugiés ayant fui leur pays. Ils demandent enfin «à tous les pays », tant que dure la « situation de nécessité », « d'étendre l'asile temporaire» et d'octroyer « le statut de réfugié à ceux qui sont éligibles ».

A plusieurs reprises, François a qualifié la crise migratoire en cours de « plus grande catastrophe humanitaire depuis la seconde guerre mondiale ». Près de trois ans après sa philippique contre la « mondialisation de l'indifférence », sur l'île italienne de Lampedusa, le 8 juillet 2013, les migrants sont devenus la grande cause du pontificat. Ils ont été au cœur des voyages du pape en Afrique, en Amérique latine, en Asie. Au centre de quelques-uns de ses plus grands discours - « on ne peut tolérer que la mer Méditerranée devienne un grand cimetière », avait-il lancé aux députés européens en novembre 2014. Et ils sont de plus en plus présents dans ses textes magistériels comme dans Laudato si', l'encyclique sur l'écologie, et Amoris laetitia, exhortation sur la famille.

Le pontife refuse de dissocier réfugiés et migrants économiques -à la différence des dirigeants européens. Pour lui tous obéissent à de bonnes raisons : «Les uns fuient à cause de la faim et d'autres à cause de la guerre », a-t-il résumé lors de sa conférence de presse, samedi. Dans la figure du migrant, Jorge Bergoglio voit une condition quasi inhérente à l'humanité depuis ses débuts : « Toute la Bible nous raconte l'histoire d'une humanité en cltemin », a-t-il déclaré lors de ses vœux au corps diplomatique, le 11 janvier. Mais dans le même temps, autour de l'homme contraint à quitter sa terre, s'articulent tous les fléaux contemporains dénoncés par le pape François : le migrant fuit l'iniquité économique, les désastres environnementaux, les guerres alimentées par les marchands d'armes, les atteintes aux droits de l'homme. Il est la proie de trafics humains, de réseaux, de mafias.

Pour les sociétés qui l'accueillent, il est un révélateur de la valeur qu'elles accordent vraiment à chacun. «La vague migratoire actuelle semble miner les bases de cet esprit humaniste que l'Europe aime et défend depuis toujours (…). L'Europe a les instruments pour défendre la centralité de la personne humaine et pour trouver le juste équilibre entre le double devoir moral de protéger les droits de ses propres citoyens et celui de garantir l'assistance et l'accueil des migrants », avait-il déclaré le 11 janvier. C'est, en acte, la question que le pape a de nouveau posée à l'Europe, samedi depuis Lesbos.»

CÉCILE CHAMBRAUD

 

 

Publié dans Politique, migration

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