La France a instauré la laïcité. C'est sain. Mais sa laïcité est incomplète. Elle doit devenir plus laïque grâce à une laïcité saine
source de la photo 1 et de la photo 2
Au relais chrétiens-musulmans à Toulouse-Minimes, le 1er avril 2016, on a demandé à Robert Divoux, prêtre du Prado, P.O. retraité, de fournir quelques éléments de réflexion sur le thème « Chrétiens et musulmans ensemble pour bâtir une société plus juste ». Sa conférence comprend deux parties complémentaires. L’une sur les racines bibliques de l’Islam et ses développements, l’autre sur la laïcité vue en soi et son implication française.
Dans la ligne des échanges que j’ai régulièrement sur l’imbrication de la culture et du culte, voir par exemple ici (en 2010), j’ai choisi de reproduire en cette page, la partie qui concerne ce point.
Tous les humains sont égaux en dignité
Dans l’héritage chrétiens, il y a la conviction que toutes les femmes et tous les hommes sont égaux en dignité, et que le carburant à utiliser dans nos relations ne peut être que l’amour, en tenant compte de toutes ses dimensions, individuelles, mais aussi collectives (et dans ce cas l’amour porte le nom de fraternité, de solidarité, de recherche du bien commun, de combat pour la justice…)
Dans la « Déclaration universelle des droits de l’homme » adoptée en 1948 à l’ONU, nous lisons, article 1 :
« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »
Et nous chrétiens, réunis dans l’Église catholique nous essayons depuis 2.000 ans de vivre de cet héritage, afin d’être cohérent avec notre foi.
Je dis bien : « nous essayons… ». Car il nous faut reconnaître que ça n’a pas été toujours brillant ! Je ne vais pas ici donner d’exemples, nous en avons tous en tête [l’enrichissement injuste de l’Église au cours des siècles, les croisades, l’inquisition, les compromissions diverses, la volonté de pouvoir et l’oubli du service…].
Mais il faut aussi reconnaître les évolutions que les chrétiens de l’Église catholique ont faites depuis un bon siècle. Et c’est dans ce contexte historique que nous avons aujourd’hui à nous situer.
Pour cela, regardons ce qui s’est passé :
- Le premier pas date d’environ 130 ans, quand le pape Léon XIII a reconnu la République comme forme de gouvernement que les chrétiens peuvent accepter. Prenons conscience que c’est, pour l’Église catholique, accepter l’autonomie du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel. [encyclique Immortale Dei du 1er novembre 1885].
Puis la République introduira peu à peu, au début du XXe siècle, la laïcité. La laïcité qui est à la fois un principe – ce qui signifie qu’elle a une portée générale et fondamentale -, et qui est aussi constituée d’un ensemble de lois jugées nécessaires pour sa mise en œuvre.
En quelques mots : cet ensemble législatif distingue le pouvoir politique des organisations religieuses. Il garantit à celles-ci la liberté de culte (avec cette précision : les manifestations religieuses doivent respecter l’ordre public). Il affirme la liberté de conscience pour chacun ; et il en tire la conséquence suivante : dans ce domaine aucune opinion ne peut être mise au-dessus des autres (par exemple telle ou telle religion, ou l’agnosticisme, ou l’athéisme, ou la libre-pensée ou tout simplement l’indifférence). Le but de cette laïcité étant de construire l’égalité républicaine.
Il faut noter que cette laïcité ne consiste donc pas à combattre les religions (malheureusement certaines personnes vont penser ainsi, et agir en ce sens…), elle vise à empêcher leur implication directe dans l’exercice du pouvoir politique et administratif. Les idées spirituelles, les idées philosophiques sont du domaine de la conscience individuelle et de la liberté d'opinion de chaque femme, de chaque homme ; mais les organismes religieux ou philosophiques ne peuvent imposer à personne leurs croyances, leurs convictions. Par contre, comme chaque personne individuellement, et comme chaque collectif, elles ont le droit de participer au dialogue politique dans le cadre de la République.
La France, après avoir vécu sous ce régime pendant plus de 50 ans, fera ensuite un pas de plus après la guerre mondiale de 1939-1945. L'affirmation de la France comme « République laïque », donc séparée des cultes, sera introduite dans la Constitution de 1946, et elle sera reprise dans notre constitution actuelle, celle de 1958. (On se rappelle que la Constitution est la norme juridique suprême du pays).
Voici l’article premier :
« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. »
Pour clore ce regard sur la laïcité et l’Église catholique, écoutons le pape François.
En mars 2016 il a reçu durant 1h½ une trentaine de personnalités proches du christianisme social. Jean-Pierre Denis, directeur de la rédaction de « La Vie », participait à cette rencontre ; voici quelques extraits des dires du pape François :
« La France a réussi à instaurer dans la démocratie le concept de laïcité. C'est sain. De nos jours, un État se doit d'être laïc. Mais s'il vous plaît, n'ébruitez pas ces propos ! »
La critique incisive suit le compliment… : « Votre laïcité est incomplète. La France doit devenir un pays plus laïc. Il faut une laïcité saine. »… on comprend que la « laïcité saine » dont parle le pape s'oppose quand même un peu à la sainte laïcité qui est devenue notre religion civile… « Une laïcité saine comprend une ouverture à toutes les formes de transcendance, selon les différentes traditions religieuses et philosophiques. D'ailleurs, même un athée peut avoir une intériorité, ajoute le pape, accompagnant la parole par un geste de la main qui part de son cœur. Parce que la recherche de la transcendance n'est pas seulement un fait, mais un droit. » Jeu de mot très espagnol entre hecho (« fait ») et derecho (« droit ») qui s'applique admirablement à une laïcité trop française, qui en vient à considérer le « fait religieux » tout en voulant dénier à la religion le droit de cité, l'enfermant dans la sphère privée.
« Une critique que j’ai envers la France est que la laïcité résulte parfois trop de la philosophie des Lumières, pour laquelle les religions étaient une sous-culture. La France n'a pas encore réussi à dépasser cet héritage. »
Il faut prendre conscience aussi de l’évolution que les catholiques ont faite par rapport aux « droits de l’homme » :
Ces droits ont pris naissance à la Révolution de 1789, mais pendant près de deux siècles leur promotion s’est faite sans l’Église catholique. Celle-ci était même contre, elle estimait qu’accorder des droits à l’homme signifiait retirer à Dieu ses propres droits !
Il faudra attendre le Pape Jean XXIII en 1963, avec son Encyclique Pacem in terris (Paix sur la terre), et le Concile Vatican II pour assister à un retournement spectaculaire de l’enseignement catholique sur les droits de l’homme. Voici ce que proclamera le pape Paul VI :
« Nous puisons aussi dans l’Évangile le motif le plus pressant de nous engager à la défense et à la promotion des droits de l’homme. (…) L’Église croit très fermement que la promotion des droits de l’homme est une requête de l’Évangile, et qu’elle doit occuper une place centrale dans son ministère » (Message du Pape et des Pères Synodaux au monde - 23 octobre 1974).
Les pasteurs de l’Église invitent donc les catholiques à rejoindre toutes les femmes et tous les hommes « de bonne volonté » (une formule chère à Jean XXIII pour rejoindre le maximum de personnes dans le monde) - qu’ils soient chrétiens ou d’une autre religion, ou agnostique, ou encore athée - pour promouvoir un monde juste, fraternel, et avec le souci premier des plus petits, des plus faibles, des plus pauvres.
Et François, le pape actuel, à peine élu, confirmera cette ligne en centrant sur la justice et sur la promotion des plus pauvres le chemin ouvert aux catholiques par leur Église.
Tous les catholiques sont-ils prêts à suivre… ? Je n’en suis pas certain ! Il ne s’agit donc pas de pavaner. Mais au moins la route est tracée, et tout catholique – qu’il soit citoyen français, ou un étranger résidant en France – est appelé à prendre cette route. En le faisant, sa conscience pourra être en paix et dans sa vie de citoyen ou de résident, et dans sa vie d’Église. En un peu plus d’un siècle, quelle avancée !