Ave Maria in metal. La culture chrétienne est la façon qu’a le christianisme de s’affirmer et de cultiver le monde dans sa totalité
Robert Culat ; lien de cettte photo : Robert Culas et Ouest-France
Il n'y a pas que Robert Culat à écrire sur le Metal ! L'âge du Metal.
J’ai été très heureux de lire dans l’hebdomadaire La Vie de cette semaine un témoignage concernant la musique Metal donnée à Clisson. Je n’étais pas au Hellfest ; mais, sur Arte+7, j’ai suivi quelques concerts.
Les cathos qui sont présents à ce festival sont plus nombreux qu’on le pense ! J’en ai déjà parlé en ce lieu et je suis content de voir des disciples du Christ refusent de se faire silencieux devant les attaques de certains catholiques « bien pensants ». Je résume mes sentiments avec cette phrase : « Sataniste, le Hellfest ? Sans vouloir froisser personne, je suggérais volontiers qu’il se passe plus de choses sataniques en une matinée à Wall Street que dans tous les festivals de musique metal qu’on voudra » témoigne le philosophe nantais Denis Moreau. Robert Culat, prêtre, Gildas Vijay Rousseau, organiste, musicien metaleux… ne sont pas seul. Voir aussi ici.
Je vous donne son article à lire. Voir également le site de La Vie [il se peut que cela ne soit pas en accès libre] ; suivre les liens de cette page et lire les commentaires est vraiment intéressant. Dans ce contexte je souhaiterai également que tous les services diocésains arts, cultures et foi, les commissions d’art sacré, l’observatoire Foi et culture se penchent sur la question. « Catholiques, à vos guitares électriques ! Pas pour composer de la « louange » douceâtre ou de la pop catho mielleuse, mais du rock, du vrai, du lourd, du dur et qui fait du bruit… »
Le fameux festival de « musiques extrêmes » s'est tenu du 17 au 19 juin 2016 à Clisson (Loire-Atlantique).
Denis Moreau, y était ; Professeur de philosophie à l'université de Nantes et catholique, il raconte le Hellfest tel qu'il le connaît, et réagit aux polémiques.
Voir aussi sur Presse Océan qui publie des extraits dans ses éditions de jeudi.
« On ne montre pas sa grandeur pour être à une extrémité, mais bien en touchant les deux à la fois » (Pascal, Pensées). Catholique pratiquant, doctrinalement je crois assez conservateur (si l’on tient à me coller une étiquette), je suis aussi grand amateur de metal, de hard-rock et de punk, bref de ce genre de musique qui fait du boucan. Le week-end du 17 au 19 juin dernier, comme tous les ans ou presque, je suis donc allé au Hellfest – cela se passe à Clisson, près de Nantes où j’habite –, un des plus grands festivals d’Europe consacré à ce genre musical. Et comme tous les ans, certains de mes coreligionnaires ont pétitionné pour réclamer sinon l’interdiction du Hellfest, du moins la déprogrammation de quelques-uns des 160 groupes figurant à l’affiche, au motif qu’ils seraient « satanistes » et « antichrétiens ».
Père, pardonne-leur (à ces cathos-là), ils ne savent pas ce qu’ils font. Et ils ne savent pas non plus de quoi ils parlent, ni ce qu’ils ratent, n’ayant manifestement jamais mis les pieds au Hellfest.
Je me souviens de l’édition 2015 : dans la chaude lumière d'un dimanche soir de juin finissant, après m’être gorgé de décibels (Ne Obliviscaris, Exodus, Epica, Wampas, Limp Bizkit, Cavalera Conspiracy, In Extremo : quelle belle journée !), je m'étais trouvé un petit coin tranquille pas loin du « metal corner », et j'avais prié les Complies. C'était vraiment bien.
Trèves de Jérémiades
Les catholiques de France ne pourraient-ils pas en finir avec cette façon geignarde de réclamer sans cesse l’interdiction ce qui leur déplaît ou les heurte – les caricatures de Charlie, telle pièce de théâtre, certains groupes du Hellfest ? Dans une société plurielle comme la nôtre, la coexistence, et parfois le choc, des idées et des visions du monde, sont inévitables. Tant que cela ne suscite pas de trouble à l’ordre public, chacun doit pouvoir s’exprimer, y compris pour dire du mal, ou d’ailleurs du bien, du christianisme.
On peut même aller plus loin : une des choses que réclament à bon droit les catholiques français, c’est qu’on les laisse afficher dans l’espace public leurs idées, y compris (par exemple sur l’avortement, le mariage entre personnes de même sexe, etc.) lorsqu’elles offusquent ou offensent certains. C’est une bien curieuse manière de défendre et promouvoir cette liberté que de passer son temps à la refuser à d’autres ! N’est-ce pas Jésus qui recommandait « Tout ce que vous voudriez que les autres fassent pour vous, faites-le pour eux » (Mt, 7, 12) ?
Intellectuel catholique engagé dans le débat public, ce que j’attends des autres, c’est qu’ils me laissent la possibilité de dire ce que j’ai envie de dire. La moindre des choses est dès lors de ne pas l’interdire à autrui.
Provocations ou folklore ?
Sataniste, le Hellfest ? Sans vouloir froisser personne, je suggérais volontiers qu’il se passe plus de choses sataniques en une matinée à Wall Street que dans tous les festivals de musique metal qu’on voudra. Cela dit, effectivement, on y rencontre parfois des références au diable, dont je ne sais dans quelle mesure elles sont sérieuses, ou seulement provocantes, voire folkloriques – et si jamais elles sont sérieuses, c’est, d’un point de vue catholique, fort triste, parce que ceux qui s’y adonnent sont sur un chemin de perdition. Mais on n’y entend pas que cela : lors de différents Hellfest, j’ai vu le groupe allemand In Extremo qui compte à son répertoire un fort bel Ave maria (en latin !), le chanteur des Wampas faire applaudir la mémoire de l’abbé Pierre, le groupe de punk celtique Dropkick Murphys – dont les membres ne cachent pas leur catholicisme – obtenir un triomphe. On entend aussi des chansons, et on trouve à « l’extreme market » (les boutiques associées au festivals) des produits, qui font référence au druidisme, à la sorcellerie, à l’astrologie, à l’ésotérisme. De ce point de vue là, le Hellfest apparaît comme la forme « rock'n roll » du retour de paganisme que connaît notre société, une prolifération brouillonne de quêtes spirituelles multiformes, inchoatives, inabouties, incontrôlées. On peut considérer ce bouillonnement sur le mode catho-grognon, vitupérer, condamner. On peut aussi se demander : que doit faire, sur la forme comme sur le fond, l’Église pour rejoindre les 50.000 festivaliers du Hellfest, leur proposer ses réponses aux interrogations qui plus ou moins consciemment les travaillent ? C’est une belle question et les catholiques, auxquels le pape François a demandé d’aller annoncer leur foi aux « périphéries », pourraient se la poser davantage, au lieu de se contenter de râler.
Si mon évêque est d’accord (s’il ne l’est pas, je m’abstiendrai, car je place haut dans le panthéon de mes valeurs la belle vertu catholique d’obéissance), je suis donc partant pour aller tenir un stand de l’Église catholique lors de la prochaine édition du Hellfest. On va bien s’amuser.
Sur le fond, la réaction des catholiques anti-Hellfest pose une question d’importance. Ces gens-là militent pour un catholicisme « contre-culturel », qui, souvent travaillé par la nostalgie d’un passé plus ou moins fantasmé, s’oppose de façon frontale aux grandes formes d’expression caractéristiques de notre modernité – ici, le metal. Ils font fausse route, y compris théologiquement parlant. En tant que religion de l’Incarnation, le christianisme prend corps là où il est, c’est-à-dire dans son époque. Il est alors lui-même culture, au sens le plus littéral, agricole si l’on veut. Saint Paul écrit ainsi (1Co 3,9) : « Vous êtes le champ de Dieu » (dans le latin de la Vulgate, « Dei agri cultura estis »). La « culture » chrétienne est d’abord ce que Dieu opère dans l’humanité présente, sa manière d’y « travailler », d’y être un ferment, de s’exprimer avec les mots, les dons et les sensibilités qui se trouvent là.
Nul ne niera bien entendu que le christianisme n’apparaisse comme une puissance de contestation ou de critique de certains aspects caractéristiques de la modernité. Mais plus profondément la culture chrétienne est avant tout la façon qu’a le christianisme de s’affirmer et par là de « cultiver » le monde dans sa totalité, il constitue une force d’enrichissement et de transformation, qui ne peut en aucun cas se penser de manière systématique « à côté, en dehors, autrement » dans son rapport à la culture contemporaine, mais cherche obstinément à s’inscrire en elle.
Autrement dit, au lieu de demander l’interdiction du metal, il faudrait le christianiser, couler dans cette forme expressive qui parle à tant de nos contemporains ce que le christianisme a à dire aux hommes d’aujourd’hui. Il faut jouer du metal chrétien (quoique confidentiel, le genre existe déjà, d’ailleurs).
À vos guitares !
Catholiques, à vos guitares électriques ! Pas pour composer de la « louange » douceâtre ou de la pop catho mielleuse, mais du rock, du vrai, du lourd, du dur et qui fait du bruit, celui qui exprime et prend en charge les aspects tragiques, déchirés, contradictoires de l’être humain sur lequels le christianisme a tant et si bien insisté tout au long de son histoire. Que fleurissent les messes et les requiems metal, les Anima Christi et les Pange lingua punk ! Et lorsque vous croisez des amateurs de metal, au lieu de les mépriser ou de réclamer qu’il se taisent, donnez-vous donc les moyens (humains, intellectuels, pastoraux) de leur dire, avec les mots d’une de leurs idoles, Lemmy, du groupe Motorhead, dans « Ace of spades », une des plus célèbres chansons du genre : « If you like to gamble, I tell you I'm your man ».
Denis Moreau.