Les catholiques soutenant François Fillon, intransigeants sur les mœurs et libéraux en économie ? Un catholicisme bourgeois ?
J’aime bien cet article, très clair, de Bernard Laurent que j’ai rencontré au premier colloque (2009) de Chrétiens et pic de pétrole. Il intervenait avec le titre La doctrine sociale de l’Église. Voir ci-dessous l'entretien enregistré à ce propos.
La Croix lundi 5 décembre 2016
Primaire de la droite : mais où est passé le catholicisme social ?
Bernard Laurent - professeur EMLYON Business School. Chercheur associé au Von Hügel Institute for critical catholic inquiry (Université de Cambridge)
Le catholicisme et le pape ont été invités, à leur corps défendant, dans la campagne des primaires de la droite et du centre. Les commentateurs de la scène politique française mettent en avant le vote catholique pour expliquer le score surprenant de François Fillon. Il est présenté comme le candidat des militants chrétiens de « La manif pour tous » et de « Sens commun » dont la forte mobilisation expliquerait son score élevé. Lui-même ne cache pas sa pratique religieuse et sa proximité avec les valeurs défendues par l’Église.
Notre très grande surprise vient de la réduction du catholicisme faite par les analystes comme par François Fillon au discours sur la famille et à la morale sexuelle.
Pourtant la morale comme la personne humaine ne se divisent pas. Il n’y a pas d’un côté la morale privée, de l’autre la morale sociale, ce que rappelle sans cesse le pape François qui, fidèle à la doctrine catholique, place la dignité de la personne humaine au cœur du magistère pour défendre la vie certes mais aussi pour approcher les questions économiques et sociales : « L’homme (…) représente le cœur et l’âme de l’enseignement social catholique. Toute la doctrine sociale se déroule, en effet, à partir du principe qui affirme l’intangible dignité de la personne humaine » (Compendium de la doctrine sociale de l’Église, n. 107)
La doctrine sociale propose une vision de la société subordonnée à l’idée de la justice qui ne peut être satisfaite par le seul bon fonctionnement des marchés concurrentiels. François juge « grossière » et « naïve » la confiance que l’on accorde « aux mécanismes sacralisés du système économique dominant » (Evangelii gaudium, n.54). L’Église insiste sur la responsabilité des autorités politiques pour permettre à chacun d’être intégré dignement à la société : l’autorité « doit rendre accessible à chacun ce dont il a besoin pour mener une vie vraiment humaine : nourriture, vêtement, santé, travail, éducation et culture, information convenable, droit de fonder une famille, etc. » (Catéchisme de l’Église catholique, n. 1908). Cette intervention de l’État doit se faire dans le respect de l’action des corps intermédiaires (entreprises et syndicats). Autrement dit l’Église se prononce pour une économie aux finalités humaines et solidaires dont l’option préférentielle pour les pauvres est l’expression.
Le programme de François Fillon paraît bien éloigné de l’enseignement social de l’Église. Ses recommandations économiques très libérales ont conduit les commentateurs à le comparer avec raison à Margaret Thatcher : libéralisation plus poussée de l’économie grâce à la dérégulation des marchés, réduction draconienne de la dépense publique, baisse des impôts, remise en cause de la politique sociale avec la réduction de la redistribution à l’exclusion de la politique familiale, privatisation partielle de la politique de santé, augmentation du temps de travail, mépris affiché pour les partenaires sociaux.
Les soutiens catholiques de François Fillon ne semblent guère s’émouvoir de cette distance prise avec l’enseignement social. Les commentateurs politiques n’en disent rien. Église contre bourgeoisie, titrait l’un des livres d’Émile Poulat. Cela traduit-il une évolution sociologique du catholicisme français : intransigeant sur les mœurs - libéral en économie ? La revanche du catholicisme bourgeois ?
Bernard Laurent, économiste, auteur de L’enseignement social de l’Église et l’économie de marché. Janvier 2009, premier colloque de CPP :