C'est un des plus grands périls de notre temps : que l'homme se déshumanise ! Que l'homme devienne de plus en plus l'ennemi de l'homme !

Publié le par Michel Durand

Mgr Olivier Leborgne, évêque d'Arras, célébrant la messe de la nuit de Noël parmi les migrants, le 24 décembre 2021.  (AFP or licensors)

Mgr Olivier Leborgne, évêque d'Arras, célébrant la messe de la nuit de Noël parmi les migrants, le 24 décembre 2021.  (AFP or licensors)

Sommes-nous encore humains ?

(Homélie pour la Nuit de Noël 2021 par Christian Delorme)

 

Dans un monde où tant d'hommes se prennent pour des dieux, où tant d'humains – responsables politiques, scientifiques, artistes, mais aussi gens ordinaires – se croient tout puissants et n'ont plus de limites, voilà que Noël nous parle du choix de Dieu de se faire homme. Pas un homme « sur-puissant », pas un homme en mesure de maîtriser tout ce qui se passe : un nouveau-né ! Un petit d'homme complètement dépendant des adultes. Un être fragile, vulnérable, n'ayant pas encore accès à la parole, incapable de se défendre. Mortel. Susceptible d'être assassiné comme d'autres enfants l'ont été au temps d'Hérode et le sont aujourd'hui encore.

Il fait nuit au-dehors, dans notre hémisphère Nord. Une nuit noire, épaisse. Bien à l'image des temps que nous traversons. Ceux d'une pandémie qui s'est emparée de toute l'humanité dérèglent le fonctionnement de nos sociétés et du monde. Le temps du retour d'idéologies mortifères et racistes qui, voici quelque quatre-vingts ans, ont plongé l'Europe dans d'épouvantables horreurs, dont la Shoah. Le temps de menaces nouvelles : menaces de guerres de la part de plusieurs puissances militaires faisant preuve de nationalismes agressifs, menaces d'un réchauffement climatique qui, d'ici trente ans, pourrait rendre impossible la vie humaine en plusieurs lieux de la Planète, principalement en Asie et en Afrique...

Les périls, au temps de Jésus, n'étaient pas aussi importants que ceux d'aujourd'hui. Mais le peuple juif souffrait de la domination romaine et de diverses situations d'injustice. Il y avait, comme de nos jours, de la détresse humaine, du désespoir, le sentiment que tout était bloqué. Cependant, les Juifs étaient tous nourris d'une espérance qu'ils se répétaient de génération en génération : Dieu va venir ! Dieu va sauver son peuple ! Cette espérance qui s'est réalisée en la personne de Jésus, les coreligionnaires du Nazaréen, pour la plupart, ne la reconnaîtront pas en cet accomplissement. Mais d'autres verront en Jésus le Messie, et plus que le Messie : Dieu lui-même qui est venu habiter notre humanité, Dieu venu se faire homme. C'est grâce à ces hommes et à ces femmes-là que nous sommes rassemblés ce soir. C'est grâce à cette nuée de témoins qui n'a cessé de grandir de siècle en siècle que nous sommes des chrétiens. Ayons pour eux des sentiments de gratitude ! C'est eux qui nous ont enfantés, à la vie et à la foi.

Mais, mes amis, quelle est aujourd'hui notre espérance ? Attendons-nous encore quelque chose de la part de Dieu ? Sommes-nous suffisamment croyants dans sa volonté de nous rejoindre, sa volonté d'être avec nous ? Croyons-nous assez dans son amour ? Tout à l'heure, pour une énième fois, nous réciterons la prière que nous tenons de Jésus, et nous redirons « Que ta volonté soit faite ! ». Or sa volonté, nous le savons depuis Jésus, c'est d'être « avec nous » ! C'est d'être « l'Emmanuel » ! C'est d'être « Dieu sauve », sens du prénom Yeshoua ! Sa volonté, ce n'est rien d'autre ! Quoi d'autre, en effet, pourrait vouloir le Tout-Amour ? Tout le reste n'est que projections humaines ! Car trop souvent nous projetons sur Dieu nos propres désirs de puissance, de vengeance, de règlements de compte , de punitions!

Regardons en direction de la mangeoire de cette maison de Bethléem (ville dont le nom signifie « Maison du pain ») où l'enfant nouveau-né a été déposé. C'est lui que Dieu veut nous montrer. D'une certaine manière, il nous dit : « Ne vous perdez pas à scruter le ciel ! » ; « Ne me cherchez pas dans l'au-delà des nuages ! » ; « Ne vous mettez pas en quête d'une divinité dont vous ne savez rien ! » ; « Si vous voulez me trouver, regardez vers l'homme ! ».

Pour nous permettre de croire en sa divinité, Dieu nous demande d'abord de croire en notre humanité ! Dans sa paternité éternelle, Dieu a dit à son Fils : « Sois un homme, mon Fils ! ». Et à chacun-e d'entre nous, c'est ce qu'il dit encore ce soir : « Soyez des humains ! »; « Soyez pleinement des hommes et des femmes! ».

Ce soir, mes amis, Dieu veut nous redonner de l'humanité. C'est un des plus grands périls de notre temps : que l'homme se déshumanise ! Que l'homme devienne de plus en plus l'ennemi de l'homme ! Que l'homme ne sache plus voir dans les autres humains des frères qui lui sont donnés pour qu'il les aime et pour qu'il se laisse aimer par eux. Quand le Danemark, pays qu'on croyait être devenu parmi les plus civilisés et les plus éclairés de l'Europe, « délocalise », dans des pays étrangers, les demandeurs d'asile et les détenus étrangers, n'assiste-t-on pas à une déshumanisation terrible ? Quand chaque jour des migrants meurent dans les mers qui nous entourent, Méditerranée et Manche, et que nous nous montrons de plus en plus insensibles à leur funeste sort, considérant finalement que, nous pays riches, nous avons le droit de faire la guerre aux migrants, ne sommes-nous pas en train de nous laisser déshumaniser ? Si le pape François ne cesse de nous rappeler – prêchant souvent dans le désert, y compris dans le désert de nos cœurs et dans celui de nos églises  – que la compassion pour les migrants est indissociable de l'attachement au Christ, c'est parce qu'il sait que, si nous nous détournons de nos frères humains les plus en difficulté, c'est notre humanité que nous perdons. « Fratelli tutti ! » s'écrie-t-il à l'adresse de nous tous, à la suite de François d'Assise. « Fratelli tutti ! », c'est aussi la logique de la prière du Notre Père. « Fratelli tutti ! », c'est certainement ce que Dieu veut entendre avec nos « Alleluia » et nos « Gloria » ! Sans cette adhésion au « Fratelli tutti » quelle valeur pourraient avoir nos « Pater Noster », nos « Alleluia », nos « Gloria » et notre « Credo »? Aucune !

Ce soir, mes amis, c'est la fête de toute l'humanité aimée de Dieu. C'est aussi la fête de l'enfance, de toutes les enfances. Car en contemplant Dieu qui s'est fait petit Juif du temps de l'empereur Auguste et du gouverneur Quirinius, c'est la beauté de tout enfant que nous sommes appelés à contempler. Jésus n'a certainement pas désiré être un enfant « exceptionnel », différent des autres ! En lui Dieu a voulu être un enfant. Un point c'est tout ! Un enfant dans lequel chaque enfant de tous les temps, de tous les lieux peut se reconnaître. Si bien que dans chaque enfant, qu'il soit d'Afrique, d'Asie, des Amériques, d'Océanie ou d'Europe, il est possible de reconnaître Dieu. Le Tout-Puissant s'est fait le Tout Enfant. Le Tout-Puissant s'est fait le Tout impuissant. Le Tout-Puissant s'est fait visage pâle, visage noir, visage cuivré. Il s'est fait enfant heureux comme enfant malheureux. Quand l'innocence est bafouée, c'est ainsi Dieu qui est bafoué ! Quand l'enfant est aimé, c'est Dieu qui est aimé !

En ce temps de Noël, souriez aux enfants que vous rencontrerez : c'est à Dieu aussi que vous sourirez ! Mais souriez aussi à l'enfant que vous avez été, et qui a laissé ses traces en vous ! Si Jésus a enseigné à ses disciples d'hier et d'aujourd'hui: « Si vous ne devenez pas comme les petits-enfants, vous n'entrerez pas dans le Royaume de Dieu » (Matthieu 18, 3), il n'a pas voulu nous infantiliser, mais il a voulu nous faire comprendre que nous ne devons jamais renoncer à cultiver en nous et à vivre les richesses de la prime enfance : l'abandon, la confiance, l'ignorance de la haine et de la vengeance, l'ouverture aux autres.

Alors, mes amis : heureuse fête à chaque enfant qui demeure en vous ! Heureuse fête à tous les enfants du monde, de tous les âges ! Honneur et Gloire à Jésus, l'Enfant-Dieu !

Christian Delorme

pere.delorme @ gmail.com

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