Qui se souciait avant ce coup de tonnerre, de l’abandon de tout processus de paix ruinant l’espérance d’un État palestinien viable ?
À la suite de la page du 12 octobre de ce blogue, j'estime opportun de déposer ici l'article ci-dessous :
La violence barbare du Hamas est sans excuse mais pas sans cause
Jean-Paul Vesco, archevêque d’Alger
La barbarie absolue machiavéliquement mise en scène par le Hamas lors de l’attaque surprise contre des populations israéliennes a plongé le monde occidental dans la sidération. Elle a immédiatement et évidemment suscité un déferlement de condamnations unanimes. Sidération et condamnations qui furent miennes, bloquant la mise à distance minimale, l’espace de liberté intérieure dont nous avons besoin pour réfléchir. C’est le piège tendu par le Hamas, et nous y sommes largement tombés.
Sans vouloir renvoyer les belligérants dos à dos sans nuance, on peut aussi y voir, dans la réplique militaire que l’attaque a suscitée, une bonne opportunité saisie par Israël pour tenter d’en finir une fois pour toutes non seulement avec le Hamas, mais aussi avec l’autonomie réduite aux acquêts de Gaza, présentée par le premier ministre israélien comme « la cité du mal qui doit être détruite », à l’image de Sodome. Mais n’y aurait-il pas cinquante, quarante, trente, vingt, ou même dix justes à Gaza (Gn 18, 22-33) ?
Malheureusement, si cette violence barbare est sans excuse, elle n’est pas sans cause. J’ai vécu un peu de l’injustice et de l’humiliation qui sont le quotidien des Palestiniens à Gaza et ailleurs dans des territoires que la colonisation d’État ou « sauvage » a méthodiquement morcelés au point de rendre impossible une unité territoriale souveraine, aussi modeste soit-elle. L’injustice historique et quotidienne, l’usage d’un rapport de force disproportionné, l’humiliation permanente font le lit d’une violence qui n’a rien d’aveugle. Mais cela, nous peinons à le voir.
Qui se souciait encore, avant ce coup de tonnerre, de l’abandon de tout processus de paix ruinant définitivement l’espérance d’un État palestinien viable ? On n’entendait plus parler de rien, le couvercle semblait hermétique et tout allait bien pour nous. Et aujourd’hui, nous indignons-nous des paroles du ministre de la défense, israélien, quand il dit « nous sommes confrontés à des animaux et nous devons les traiter comme des animaux » pour annoncer la privation de toute une population d’eau, de nourriture, de gaz et d’électricité, justifiant ainsi aux yeux du monde un crime de guerre ?
Nous sommes-nous indignés de voir des hommes, des femmes et des enfants noyés sous un déluge de bombes, pris en otages tant par le Hamas que par une vengeance d’État aux moyens militaires illimités ? Ces hommes, ces femmes, ces enfants ne se confondent pas avec le Hamas. Ils en sont pour la plupart eux aussi des victimes.
Je vis en monde musulman, où l’indignation jusqu’à l’indicible, parfois jusqu’à l’excès, est tout entière tournée vers le sort des Palestiniens depuis des décennies. La fracture avec le monde occidental sur ce sujet comme sur d’autres est vertigineuse et ne cesse de s’agrandir.
Il existe bien d’autres situations de conflits plus ou moins ignorés, mais celui-là est un foyer d’infection pour le monde entier. Il nous touche chacun.e de l’intérieur car il touche à Jérusalem, ville de la paix toujours en guerre, ville de la Présence divine, ville aux trois monothéismes inextricablement intriqués. Se mêlent dans ce conflit de la géopolitique et du sacré, de l’histoire sainte et des impératifs de justice très actuels et aussi concrets que la spoliation et la destruction de champs d’oliviers pour la construction d’un mur censé enfermer les uns et protéger les autres. Sans oublier bien sûr le poids de la mémoire tragique de la Shoah.
Comment se tenir entre les deux écueils de l’indifférence ou du parti pris que l’on me reprochera sans doute ? Certainement avoir conscience à la fois de notre impuissance à peser sur ce conflit qui prend le monde en otage, et en même temps avoir conscience de notre capacité à être très concrètement acteurs pour éviter que ce mal ne se propage. Deux moyens : la prière et la relation. La parole est le rempart de la violence.
Une conviction, enfin : la paix durable ne se gagne pas par KO (par chaos). Elle ne se construit que sur la justice. « Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent », dit le psalmiste (Ps 84). Et encore, « paix sur Jérusalem, paix à ceux qui t’aiment » (Ps 121).
NDLR : Repères biographiques :
Jean-Paul Vesco est né à Lyon en 1962.
Après une maîtrise en droit des affaires et un Master in Business Administration à HEC (diplôme d'études supérieures dans le domaine du marketing, finances, ressources humaines et management) il exerce la profession d'avocat d'affaires à Paris entre 1989 et 1995. Mais touché par la vocation il s'engage dans l'ordre des Prêcheurs et il est ordonné prêtre pour l'ordre des dominicains le 24 juin 2001.
Après un passage à l'institut Ratisbonne puis à l'école biblique de Jérusalem, il s'installe en Algérie à Tlemcen dans le diocèse d'Oran où il répond à l'appel de son ordre de refonder une présence dominicaine six ans après l'assassinat le 1er août 1996 du dominicain Pierre Claverie, évêque d’Oran.
Mais en décembre 2010, élu prieur provincial des dominicains de France, Jean-Paul Vesco doit quitter l'Algérie pour s'installer à Paris.
Le 1er décembre 2012, Benoît XVI le nomme évêque d'Oran. Il repart donc en Algérie et prend pour devise épiscopale la phrase « Je veux vivre et donner envie de vivre ».
Le 27 décembre 2021, le pape François l’a nommé archevêque d'Alger.
Jean-Paul Vesco a été naturalisé algérien en février 2023