Le directeur me conseille pour le Bac, les Maths ; mais sachant que je veux devenir prêtre, il me conseille philo en disant : cela change tout

Publié le par Michel Durand

Le directeur me conseille pour le Bac, les Maths ; mais sachant que je veux devenir prêtre, il me conseille philo en disant : cela change tout

Voici une nouvelle page du cahier d’adolescence. La page précédente est ici.

Pourquoi saisir sur l’ordi ce journal manuscrit ? Tout simplement pour rendre compte de la continuité de l’appel, de la constance des appels. L’existence est un unique sillon que l’on creuse ou entretient sans cesse. Unité d’une vie.

Je pense aussi en relatant ce passé à l’importance du dialogue dans les familles. Que les parents prennent le temps d’écouter leurs adolescents.

 

Dimanche 17 avril : Pâques

Hier soir, je voulais aller à l'office de la vigile pascale. Et, afin de ne pas troubler l'entente familiale, je n'y suis pas allé, car j'aurais été seul. En conséquence je préférai y aller de jour avec toute la famille. Mais peut-être aurais-je pu faire les deux ?

J'ai regretté de m'être couché, car la messe (du matin), courte et monotone, ne me remplit pas comme je l'aurais aimée. Je me sens fautif, car, avec un peu de courage, j'aurais très bien pu aller à la messe de minuit ; on m'aurait certainement permis quoique, ayant tâté le terrain, on ne se montra pas favorable à cet avis. Ceci coupe toute ma joie. La prière, la messe, n’est pas si facile quand elles exigent, comme ici, un déplacement. Il y a autre chose qu'une contemplation naturelle : l’engagement.

 

Samedi 30 avril

Triste. Je suis triste et comme souvent, sans le savoir. Rien n'est à la base de cette tristesse sinon le travail, la boîte, mais cela ne peut être une raison notable, car j'en ai l’habitude.

Isolement, solitude. Ma pensée m’assaille ; mon imagination m'accapare. Je réfléchis sur tout, sur rien ; je fais des projets stupides. Je m'envisage dans des circonstances extraordinaires et tout à mon honneur. Risquer sa vie pour sauver une belle et jeune personne des flammes. Soulever un peuple en lui clamant, du haut d'une tribune provisoire, de belles phrases. Que de rêve !…

Aussi, le soir venu, je suis heureux de m'endormir afin que mon esprit ne me tiraille plus. Je suis fatigué de réfléchir puisque je ne peux apporter dès maintenant une solution. Celle-ci devant être appliquée ce qui m'est impossible.

 

Dimanche 1er mai 1960

Aujourd'hui, toujours aussi triste. Ma messe et de participation médiocre. J'y attends un réconfort, une joie et puis il ne vient rien. Rien, aussi ai-je, isolément, la solitude.

Mes pensées sont moins nombreuses qu’hier ; je suis intérieurement plus calme. C'est peut-être ce qui me permit de rechercher le soir, la joie en Dieu. Mon besoin d'élévation, de spiritualisation est intense, aussi vais-je nourrir ce besoin. Ce qui se fit en faisant une promenade seule, puis en lisant dans un parc quelques épîtres de Saint Paul. Saint Paul me plaît, mais je ne retire aucune joie et pourquoi ? Cela relève du cœur et non de la raison, je ne peux pas le dire. Après cette lecture, j'ai fait une autre promenade puis je me rends dans une église afin de méditer quelques pages d'évangile sur la prière. Mais je ne trouve toujours pas la joie. Dieu ne me réjouit pas. Au contraire, mon imagination se met en branle. Mon imagination me fait désirer une apparition. Je souhaite que le Christ me parle… et concrètement. Orgueil, imagination, rêve je te hais. Et c'est triste que je rentre à la boîte. Je travaille puis ayant terminé, j'écris à mère Joséphat.

Le bonheur vint dès le début de cette lettre. Il se fit sentir même durant mon travail scolaire. Joie de délire ; je ne peux me dompter, je suis très expansif. Je chante ma joie à l'aide de psaumes. Ces psaumes montrent toute leur poésie merveilleuse et divine ; je les découvre. C'est le délire, presque la folie. Mais peu importe, j’ai la joie. Après le repas du soir, ma folie se calme, mais ma joie persiste.

Je suis heureux. Merci Seigneur.

J'ai la joie, merci, Seigneur.

J'attaque une semaine avec joie.

Merci.

Merci en dépit de ma folie d'avant le repas.

 

Jeudi 5 mai

Je suis à la piscine alors qu'un type de Godefroy, inconnu, me dit bonjour. Pourquoi ce bonjour ? Extérieurement, il me plaisait. J'aimai son teint mat et sa forte musculature. Il avait l'air sympathique et reflète le vrai casseur capable, mais honnête. Il avait une personnalité à prouver et cela me plait. De plus, il avait quelque chose dans le regard qui indiquait que tout n'était pas facile pour lui, qu’il devait lutter. On sentait en lui, en son inquiétude, son besoin de clarté. Dois-je lui causer ? Une simple conversation pourrait lui être agréable. Cela était possible, car il était avec des camarades que je connais.

 

Vendredi 6 mai

Le type d'hier me dit de nouveau bonjour. Cette fois, je suis bouleversé, car il vient me causer. Son physique me plaît toujours autant. Il représente les portraits artistiques qui ont le don de m'impressionner. Ceux dont la recherche de l'infini est marquée. Visage allongé, très dur de traits tout comme ceux des peintures modernes : Picasso. Modigliani. Buffet. Il représente en quelque sorte le visage idéal et artistique.

À cette conversation, une question se pose (comme hier) dois-je aider ce type qui semble, par ses propos, se perdre dans le jeu. A-t-il besoin de moi ? Nous verrons par la suite.

 

Dimanche 8 mai 1960

Je vais voir le patron pour lui demander ce qu'il faudrait faire l'an prochain. Il me conseille Math ; mais une fois qu'il sait - je lui dis pour la première fois que je veux faire curé -, il me conseille philo en disant que cela change tout. Il me conseille également un directeur de conscience qui me suive de plus près et c'est sur sa proposition que j'irai voir le père Durand (dominicain). Lui, frère inspecteur, religieux, ne veut pas intervenir en disant que ce n'est pas son travail.

Nous discutons assez longtemps et je lui expose ma position avec mes parents. Il faut et nous sommes du même avis, que je décide mon avenir et que je présente à mes parents une solution assez nette.

 

Dimanche 15 mai 1960

Je suis sorti avec mes parents qui sont venus dans le but de connaître mes intentions scolaires. Je devais sortir à 11h. À midi il n'y avait personne. À 12h10, l'heure du repas, non plus. Je m'en vais donc au réfectoire. Et au milieu du repas un camarade vient me chercher : mes parents attendaient depuis plus d'un quart d'heure. Ils étaient vexés en voyant que je n'étais pas là pour leur venue. Ils étaient vexés que je ne sois pas inquiet de leur retard. Comme savent-ils que je ne le fus pas ? Ne savent-ils pas que j'ai regardé du dernier étage si la voiture était dans la rue ? Bref, toute bonne raison n'était pas valable, car ils ont tout de suite pensé ou imaginé que je ne croyais pas qu'ils allaient venir.

Au restaurant, bien sûr, je n'avais pas très faim vu que j'ai mangé déjà une partie de mon repas.

  • « Nous venons ici, exprès pour te faire à manger, et tu ne manges pas, cela nous fait un râler ».
  • « Mais j'ai déjà mangé » sert de réponse.
  • « Oui, oui, n'empêche que tu ne nous fais pas plaisir »

Avec ceci, la journée ne commence pas très bien, et l'ambiance du repas est tendue. Elle l’est encore plus quand le moment est venu de parler étude. Dois-je faire math un philo ?

Comme me l'a conseillé le frère inspecteur, je donne une solution nette afin que mes parents sachent à quoi s'en tenir. Je n'ai cependant pas été aussi tranché qu'il l’aurait peut-être fallu. J'ai, en effet, laissé papa me parler de ses démarches, de ses lettres faites est écrites avec l'école spéciale d'architecture. À savoir que cette école exige la classe de mathélem. Et ensemble mes parents concluaient : « tu feras mathélem. Je n'avais pas encore parlé ; je me croyais donc noyé.

- « Ce n'est pas math que je veux faire, mais philo ».

- « Tiens, du nouveau », répond maman.

- « Ce n'est pas si nouveau, car il y a longtemps que vous savez mon désir d'entrer au séminaire ».

Puis, ensuite, la discussion s'écoule sur mes raisons d'entrer au séminaire, sur mes raisons de faire philo : meilleure préparation et cela me plaît plus que les maths.

On essaye d’éprouver ma vocation ; on me raconte qu'elle serait ma vie si je rate. On me cite le cas de plusieurs connaissances qui ont fait mauvaise route. On pleure , maman seulement ; on ne me comprend pas. On s'inquiète de mon bien-être matériel. On revient sur mon repas en disant « toujours pareil il veut jouer les détacher de la terre, il ne mange pas ». Papa me fait un bout de moral et montre son dégoût pour les curés, pour l'état de curé plutôt, qui n'a rien de naturel. Il m'explique, et fort bien, que ça le dégoûte d'avoir un fils, pour ainsi dire, impuissant. Pour être plus compris, il emploie même le mot « châtré ».

Ils ne me comprennent pas ; je ne les comprends pas, car je pensais qu'il serait un peu heureux de voir que Dieu m'appelle. Et non maman, pleure. Papa entre dans un mutisme complet. Nous attendons la fin du repas et nous partons. Il pleut et nous ne pouvons faire qu'une promenade en voiture. Elle fut très jolie et assez agréable. Chacun tâcha au mieux d'oublier l'incident de midi et la révélation, ce qui rendit l'ambiance moins tendue.

Après cette bonne promenade, je quitte mes parents vers cinq heures.

Il n'est pas utile de dire que j'étais à la fois soulagé -je suis à peu près sûre de faire philo - et (en même temps) tourmenté ; je n'aime pas faire pleurer les autres et encore moins mes parents. Mais pouvais-je faire autrement ? Pouvais-je éviter cet incident ? On m'a averti assez souvent des éclats que cette révélation pouvait produire. Il y en a peut-être un ici d’éclat ? Je pouvais peut-être l’éviter ; cela était peut-être possible ? Mais non, c'était obligatoire. Je ne sais pas ; j'ai la tête chaude, lourde. Je ne me sens bien nulle part.

Je vais à la chapelle en quête d'un peu de paix. Mais mon état empire. J'ai la tête brûlante, tout bout à l'intérieur. J'ai les mains humides et chaudes, crispées. La prière est difficile. Dieu est loin. Pourquoi Seigneur ai-je agi ainsi avec mes parents ? Pourquoi toutes les formules, les prières apprises par cœur, sont prononcées alors que je ne trouve pas la paix. Il n'y a rien à faire, je ne suis que feu. Diable que cet état, mes pensées m’assaillent. J'ai trop de pensées. Je pense trop. Pourtant, Dieu devrait m’aider !

Le temps passe et je me calme. Mon esprit se calme. Mes pensées se calment. J'ai beaucoup moins chaud. Ma tête est moins lourde. Je suis mieux et Dieu ne semble plus si loin. J'ai une paix, une paix apparente peut-être, mais j'ai une paix et je peux prier et je peux rendre compte de ma journée à Dieu. Et je peux demander à Dieu de m’aider et je peux le remercier. Dieu va m'aider.

Le temps passe, le repas passe ; je n'ai pas faim, je ne mange pas. Un camarade s’inquiète de ma disparition. Il me cherche, me trouve, fais un rapport à l’inspecteur qui m'appelle, accepte mon mensonge : « j'étais au dortoir durant le repas ».

À part le camarade, Pirondini et le patron, personne n'a su que j'étais à la chapelle. Heureusement mon amour-propre joue encore.

Au lit je ne peux dormir et vers 11 heures Pirondini qui ne dormait pas non plus approcha de mon lit pour me dire :

- « veux-tu prier pour la conversion de mon père » ?

Hésitation due à l’étonnement, puis je réponds :

- « C’est fort possible ».

Cette phrase me porta un coup supplémentaire et mon sommeil devient plus difficile . Ce camarade est aussi tourmenté ; il n’est pas en accord avec ses parents sur le point religieux. Nous sommes nombreux dans ce cas. Il est difficile de vivre.

Je m’endors. Il ne dormait pas encore. Il est anxieux ; il doit beaucoup penser. Cette nuit, j’ai appris à l’aimer de l’amour de Dieu. Je tâcherai de prier pour son père, mais que lui le fasse aussi.

 

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