Les gens qui se montrent trop sages, trop prudents, trop timorés ne me semblent pas dans la ligne de la vie selon Christ. Lui, révolutionne

Publié le par Michel Durand

Les gens qui se montrent trop sages, trop prudents, trop timorés ne me semblent pas dans la ligne de la vie selon Christ. Lui, révolutionne

Je continue de rende compte de « mon journal d’adolescence » en saisissant sur l’ordi pour le déposer en ce lieu.

Aujourd’hui j’ai l’impression d’être comme à un tribunal personnel. Les premiers éléments d’un jugement qui, un jour, sera dernier. Ce que j’ai vécu l’ai-je vraiment bine vécu ? Peut-on en juger ? Je prends ces pensées comme des éléments de révisons de vie.

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Vendredi 15 juillet

J’ai le bac.J’ai mon permis de conduire auto. Mais je ne peux pas utiliser la voiture sans la permission de papa qui s’en sert beaucoup. Et j’ai besoin de me déplacer. Papa, comme il me l’avait sous-entendu, m’offre un scooter et je l’en remercie de tout cœur. C’est un instrument très utile. Je ne compte pas jouer avec, c’est-à-dire faire de la route pour de la route, mais m’en servir. Aussi dans Digoin, je me déplacerai toujours à vélo. Digoin n’est pas très grand et on ne peut pas y aller vite. Cela déconcerte un peu papa qui pense que je ne suis pas heureux de ce cadeau. Il aimerait que je manifeste ma joie en étant constamment dessus.

 

Mercredi 13 juillet

J’ai un scooter, il faut l’utiliser, en profiter utilement. Lépée Pierre est assez seul dans sa campagne. Il aime peut-être les voyages ; nous en avons souvent parlé dans nos lettres. Un voyage ensemble serait intéressant et on pourrait discuter. Je pourrais mieux le connaître lui, qui est fatigué de penser, lui qui suit la coutume du pays parce que c’est la méthode la plus simple, lui qui n’a plus l’enthousiasme que je lui ai connu.

Une lettre. J’écris une lettre pour lui demander s’il désire faire une petite virée, là où il veut. Je lui demande aussi la date du départ. Et pour le décider, je lui rappelle que l’an passé il était question d’un tel déplacement et que celui-ci ne s’était pas fait, car nous n’avions pas de moyen de locomotion. Mais, cette année, on a ce qu’il faut.

 

Mardi 19 juillet 1960

Pierre me répond et sa lettre est tout ce qu’il y a de plus brève. Il se dégonfle. Cela m’a fortement étonné, car, dans une entrevue précédente, il paraissait enchanté de ce voyage. Il a des difficultés et dans ces circonstances, il ne peut partir. Je suis donc seul pour faire ce voyage et, seul, ce n’est pas intéressant. La déception fut grande.

Mais, seul, je suis libre de choisir où je vais ! Je vais donc à Sept Fons. L’an passé, j’ai déjà pensé y aller, mais je n’en ai pas eu le courage. Cette année, je l’aurai. J’en parle à maman. Je la préviens en préparant mes affaires : tente, sac, etc… Elle fut surprise de ma décision et elle n’apprécia guère que je la prévienne au dernier moment. Claude, qui était présente, se mit du côté de maman, comme assez souvent depuis son mariage. Et je fus pendant un moment inondé de paroles : « tu pourrais nous tenir au courant de tes intentions ; c’est la moindre des choses ».

Alors que ma décision fut connue et que maman partait à Lyon, je me dirigeai sur Sept Fons. J’avais l’intention d’y rester deux jours pour ensuite me rendre à Vichy chez des amis, Aubertin. J’y étais invité.

 

Jeudi 21 juillet

À Sept Fons.

J’y suis venu dans le but de me rapprocher de Dieu et aussi d’éclaircir certains problèmes. Le Père Alphonse m’aida dans cette dernière tâche et j’ai beaucoup aimé ses explications. Nous avons parlé de mes rapports avec mes parents, de mon caractère à dompter. Il nota, d’après ce que je lui explique de moi-même, mon âme d’artiste, et il releva que j’étais hypersensible. Ceci à cause des troubles, des obsessions sensuelles que je possédais. Il ya eu d’autres sujets de conversation, mais ils ne valent pas la peine d’être relatés. En effet, dans l’atmosphère de la trappe, j’étais avec Dieu et la parole de Dieu est plus forte que celle des hommes. J’ai donc retenu beaucoup plus la pensée de Dieu que les paroles du moine. Lui-même m’a dit qu’il était plus important de prier que de discuter et surtout qu’il est important de bien préparer les discussions. Je les préparais, mais vite.

J’avais un peu peur de venir à Sept Fons. J’avais peur d’entendre Dieu. J’avais peur d’entendre que Dieu me dire de transformer complètement ma vie. J’avais peur d’apprendre que je devais renoncer à mes projets, que je ne sois pas capable d’accomplir sa volonté , là où je la vois.

Je veux servir près du Christ et je craignais que Dieu me dise non. Heureusement, il n’en faut pas ainsi. Dieu ne me dit pas non. À vrai dire, il ne m’a rien dit, mais, sur ce point, son silence est une acceptation. Il ne m’a rien dit ; il ne m’a pas dit « non », mais il m’a aidé (à voir plus clair). Il a été près de moi. Il m’a montré que Dieu pouvait être près des hommes (des humains).

Les deux jours passés à Sept Fons furent donc nourrissants en dépit de la solitude qui, vers la fin, m’opprimait. Cette solitude que je ressentais , ce silence qui m’accablait constitue une ombre ; mon empressement de partir, les deux jours passés, s’ajoute à cette tâche. C’est une preuve peut-être de mon ingratitude pour Dieu. Je ne l’aime pas suffisamment et voilà pourquoi le ressenti de solitude. Je me suis senti seul parce que je n’avais pas laissé à Dieu assez de place dans mon cœur. Et pourtant ? Je serai tenté de dire qu’il l’avait pris tout entier mon cœur. C’est l’orgueil qui me fait parler ainsi et je ne connais pas assez Dieu et je ne comprends pas assez nos rapports et je n’aime pas assez.

Le pourquoi de tout ceci ? Je ne peux pas le dire ; je suis incapable de le dire. Dieu m’indiquera la vérité quand je l’aimerai plus. Et je l’aimerai plus, car il m’aidera. Et je comprendrai, car j’aimerai Lui est les autres. Et pour aimer, il y a le Christ pour m’aider. Le Christ est plus fort que n’importe quels discours ou sermons.

 

vendredi 22 juillet

Je suis de nouveau sur les routes. Je rode le scooter en direction Moulins où je fais une tentative pour voir Pirondini Daniel, mais il était à Roanne.

Après je vais à Vichy. Ici, il n’y avait que Madame Aubertin et Paul et je préférai voir Denise (son épouse). Avec elle, et sa sœur, je peux sortir ; elles sont libres alors que Paul travaille. Je quitte donc Vichy pour Magny Cours où je cherche Pierre Lépée. Le mot chercher est juste, car, n’étant pas chez ses parents, je dus aller le voir dans une ferme et une ferme, quand on ne connaît pas (le chemin), c’est dur à trouver. À neuf heures je peux enfin le rencontrer. Il était fourbu de fatigue. Il venait de faire les foins. Je lui ai demandé de venir dormir sous la tente ; il n’a pas voulu. Vraiment, il me déçoit : préférer son lit, même pour une nuit ! On aurait pu discuter ce soir. Mais il était fatigué. Bref, il me déçoit ; il aime trop le confort et pas assez l’aventure. Je serai donc seul ce soir et ce soir, la solitude me pèse.

Je dûs trouver un camping. Il y en avait au bord de l’Allier, mais je ne l’ai pas vu avant 22 heures. Monter la tente tout seul est assez difficile, surtout pénible dans la nuit. Je me suis demandé si un moment, je n’allais pas pleurer tellement les circonstances étaient contre moi. Je l’avais cherché ; pourquoi partir seul sur les routes, pourquoi compter sur l’amitié des autres.

Enfin, après avoir mangé pour mon repas de pain et de fromage, après une courte prière - je n’avais pas le cœur pour causer à Dieu - je m’endors seul dans ma tente, seul dans la nature en disant que je ne recommencerai jamais ces voyages sans m’assurer du désir réel des amis. Dire que j’étais stupide au point de croire pouvoir décider à dormir sous la tente ! Pauvre orgueilleux, imbu de ta personne.

 

Samedi 23 juillet

Je pars à Magny chez ma tante puis je vais à Vichy sur le soir en essayant de ne plus penser à la journée d’hier. Ce fut facile à Vichy où j’ai trouvé Denise avec toute sa joie unie à celle de Paul. Tous les trois, nous avons parlé de l’Église. De telles discussions étaient déjà arrivées avec eux. Et pourtant, ils sont adultes.

 

Dimanche 24 juillet 1960

Le mari d’Odette Cheneau est mort. Il est mort d’un cancer après une maladie d’un mois. Mais, avant le début de ce mois, alors qu’il ne montrait aucun symptôme de maladie, il dénonçait de fréquentes et grandes fatigues. « Je suis fatigué, disait-il, après un voyage en auto ». Un homme normal ne serait pas fatigué. Moi aussi, depuis les épreuves du bac, je ressens une fatigue qui ne me parait pas normale. Cela fait plus de trois semaines que je me repose et je suis encore fatigué. Mon sommeil est long et jamais je ne me réveille en pleine forme. Durant la journée je ne suis pas très vif ; mes membres sont raides et ils sont pesants après le moindre effort physique. D’où vient cette fatigue que je trouve anormale à mon âge ? Est-ce le cancer qui se manifeste comme chez le mari d’Odette. Si oui, dans un mois je serai mort et cela me fait peur. Bien sûr, mon angoisse n’est pas grande, car je ne crois guère à cette suggestion ; toutefois, je n’ai pas envie de mourir maintenant, car je veux auparavant rendre ma vie utile. Je suis moins brave devant la mort aujourd’hui où je semble mieux la comprendre qu’il y a seulement quelques mois : ne pas avoir peur de la mort, c’est difficile quand on ne connait pas son état spirituel et que l’on a conscience que cet état est important.

 

Mercredi 27 juillet 1960

Des déceptions, j’en aurai beaucoup ce mois, et elles viennent toutes de projets qui ne s’accomplissent pas. La déception d’aujourd’hui vient du curé Joseph Décréau (membre très éloigné de la famille) qui m’avait promis en juin de me prendre une semaine chez lui. Je m’enthousiasmai de ceci, car je pourrais avoir une vie religieuse plus sérieuse. Je connaitrai également sa vie de curé de campagne. Je ne voulais pas tellement de conseils, je voulais le voir agir. C’est ce que je lui explique quand il m’a écrit qu’il ne pouvait pas me recevoir et que cela n’avait pas grande importance, car à Clermont, j’étais bien entouré.

Mais je ne peux pas lui en vouloir, car sa vie, en été, comme il me le dit, n’est pas en pleine activité. Il est, pour ainsi dire, en vacance et je pourrais penser que les curés de campagne n’ont rien à faire. Est-ce une raison valable ? J’ose dire que non, car le peu que j’aurai appris ou pratiqué en l’aidant m’aurait servi.

Joseph me déçoit, même dans ses idées ; il n’est guère enthousiasme et me paraît top prudent. Beaucoup plus prudent que certains autres prêtres.C’est peut-être là le vrai, mais j’y vois plutôt de la sagesse, de la pure sagesse humaine. Or, j’en ai horreur de cette sagesse toujours tiède. J’en ai horreur, car pour moi, le Christ n’est pas un sage, mais, un révolutionnaire. Son avènement, sa révélation ont révolutionné le monde.

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