Comment mettre au centre de nos communautés paroissiales les pauvres, les ignorants du Christ et comment nous font-ils vivre selon l’Église ?

Publié le par Michel Durand

Jeunes réunis pas le Secours populaire - ville Entraigues 84

Jeunes réunis pas le Secours populaire - ville Entraigues 84

Source de l'illustration

 

Antoine Chevrier, nommé à la paroisse Saint-André (quartier de le Guillotière à Lyon) demanda et obtient de l’évêque la possibilité de quitter le ministère paroissiale. Pourquoi s’engagea-t-il dans cette voie ? Tout simplement parce que les jeunes de la rue, issus de familles pauvres, qu’il réunissait au presbytère proche de l’église faisaient trop de bruit et que cela indisposait le curé et, pouvait-il dire, aussi les paroissiens. La gifle du curé sur un jeune fut déterminante. Jean-François Six indique cet événement et je place ci-dessous les pages concernées (page 134-136).

Il n’est pas rare que le mode de vie d’une paroisse ne convient pas aux personnes qui ne fréquentent pas l’Église : les pauvres, les ignorants, les pécheurs. J’en parlais notamment  le 19 février.

 

J’en parlais ou, plus exactement, cette réalité du non accueil de celles et ceux qui sont loin du Christ demeurait présente en mon esprit dans l’écriture de ce jour, 19 février.

Je ne suis pas le seul à constater qu’une paroisse rencontre le risque de s’enfermer dans l’entre-soi. Les responsables du Prado le notent dans leur numéro de janvier 2023, N°155, page 42 :

« 7-9 novembre, le Prado de France a fait appel aux pradosiens qui ont une charge de curé. Une quarantaine d'entre eux ont répondu présent à la session de formation dont le sujet était “ le charisme du Prado et le ministère paroissial ”. Ce ministère paroissial est la forme “courante” d'un ministère exercé par des pradosiens et dans laquelle ils font vivre le charisme.

Néanmoins, il nous faut chercher sans cesse quelle est la forme la plus appropriée pour donner vie au charisme : il est toujours la source d'une conversion pastorale. Le choix du père Chevrier, de sortir de la forme du ministère lié à la paroisse, en accord avec l'évêque de Lyon, nous montre les polarités auxquelles nous sommes parfois exposés. Y aurait-il des conditions du ministère qui étoufferaient la force spirituelle qui invite à aller aux périphéries pour y rencontrer les pauvres et leur annoncer l’Évangile ?

Comment former des communautés de disciples missionnaires, selon le langage du magistère d'aujourd'hui ? Comment mettre au centre de nos communautés les pauvres et comment ceux-ci nous font-ils comprendre et vivre l’Église ? »

 

 

Jean-François Six :

La nouvelle génération de prêtres que l'abbé Chevrier désire voir se lever, c'est une génération de prêtres insérés dans le monde. Très concrètement, il souhaite que le prêtre soit au courant de la vie et de la science de son temps : il écrit à un séminariste que le prêtre « a besoin de science » : « Un prêtre qui n'est pas instruit ne peut pas faire tout le bien qu'il pourrait et devrait faire. » Il lui recommande, en même temps que la science, « ces vertus solides dont le prêtre a tant besoin dans le monde ». Cette idée du « prêtre dans le monde » inspire cette phrase d'un sermon prononcé autour de Pâques 1857 : il regrette que les grandes générosités aillent « se cacher dans le cloître ».

L'abbé Chevrier poursuit son projet et veut le mener à bien. Il griffonne un jour sur un bout de papier : « Trouverait-on dix âmes de cette trempe ? Si elles existaient, je voudrais avoir ces dix âmes, et avec ces dix âmes, je voudrais convertir tout un peuple. » C'est dans cette perspective qu'il faut situer l'initiative qu'il prend autour de mai 1857, d'un groupe de jeunes : la Société de Saint-Louis-de-Gonzague, qui tient très vite la première place dans son travail apostolique. « Je viens d'établir à Saint-André une société de jeunes gens, écrit-il le 6 juin 1857 à F. Convert ; je désirerais enrôler tous les jeunes gens de Saint-André, mais cela n'est guère possible. Cependant, j'en compte aujourd'hui vingt qui seront fidèles et qui, je l'espère, serviront de noyau pour tous les autres. » Il demande à F. Convert, séminariste de Saint-André, et à l'un de ses amis, G. Meunier, de consacrer leurs vacances à ce groupe de jeunes sur lequel il fonde de grands espoirs, notamment celui d'y trouver de futures vocations de prêtres-pauvres. La Société prend bientôt de l’extension.

Mais cela n'est pas du goût de M. Barjot, le curé de l'abbé Chevrier. Les jeunes font beaucoup de bruit ; un jour, M. Barjot sort de l'église et gifle l'un d'entre eux ; les parents protestent violemment : « Une démarche conciliante aurait peut-être tout arrangé. L'abbé Chevrier pria, supplia pour l'obtenir, ce fut en vain. Un jour qu'il insistait et rappelait doucement que la mission du prêtre est toute de patience et de mansuétude, on lui répondit qu'il était un imbécile. » « Le dimanche de la Fête-Dieu », M. Barjot signifie brutalement à son vicaire de cesser ce moyen nouveau d'apostolat et aux jeunes gens de se disperser : « Leur directeur conseilla l'obéissance et en donna l'exemple. Son influence fut assez grande pour obtenir leur soumission. » L'expérience n'a duré que quelques semaines.

En cette fin de juin 1857, Antoine Chevrier, qui vit depuis sept ans dans cette paroisse Saint-André, en ce quartier sous-prolétarien de La Guillotière, est maintenant convaincu qu'il est nécessaire de faire naître ce groupe de prêtres-pauvres. Quand il veut réaliser son projet, l'obstacle ne vient pas des pauvres, qui, pour beaucoup, attendent l’Évangile, ni de Dieu, qui a appelé et a confirmé son appel, mais des prêtres : son confrère, son curé. Antoine Chevrier ne peut pas ne pas saisir que la principale difficulté à accomplir sa vocation vient du clergé lui-même, de ce clergé qui devrait être consacré, en premier lieu, aux pauvres, aux abandonnés, aux non-chrétiens. Demander à l’Archevêché de changer de paroisse n'est pas la solution : un autre curé et d'autres confrères n'accepteront pas davantage cette vocation qui le fait passer pour un religieux. Et lui, pourtant, se refuse à être vu tel : « Les religieux observent les conseils évangéliques, pourquoi les prêtres séculiers ne les observeraient-ils pas ? Est-ce que la perfection n'est pas pour eux aussi bien que pour les autres ? Et même, ne le doivent-ils pas davantage, eux qui vivent au milieu du monde, eux dont la mission est de porter partout la bonne odeur de Jésus-Christ, et de faire briller la lumière de son Évangile ? Les religieux sont dans leur cloître ; mais le prêtre vit au milieu des hommes, et plus que les autres, pour faire le bien, il doit être plus saint et plus parfait. »

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