Lorsque nous mourons, nous passons par la mort a l’immortalité ; et la vie éternelle ne peut être donnée que si nous sortons de ce monde

Publié le par Michel Durand

Le Bon Pasteur, Rome, catacombe, Priscilla, deuxième moitié du IIIe siècle

Le Bon Pasteur, Rome, catacombe, Priscilla, deuxième moitié du IIIe siècle

Carême, en marche vers la résurrection

 

Il m’est agréable de reprendre un article publié jadis dans le revue de la Pastorale des réalités du tourisme et des loirs (Prtl), Confluences.

Tant de drames et de morosité nous entourent ! Il est juste et bon d’ouvrir la porte de la joie.

 

L’art des premiers chrétiens

 

Pour saisir la particularité de l’expression plastique chrétienne, je suis persuadé que nous avons, aujourd’hui, intérêt à nous immerger dans l'art paléochrétien. Il indique, à sa source, au-delà de notre histoire, comment le message du Christ fut inculturé chez les Romano-byzantins, les Gallo-romains, les Coptes, les Celtes etc. Donc, puisqu'il semble qu'à cause des multiples mièvreries religieuses des siècles précédents, nous ne savons plus représenter le Ressuscité, le regard sur cette époque lointaine est une chance de saine inspiration notamment pour traiter du thème de la prochaine biennale d'art sacré contemporain « le passage ».

 

Poisson (ictus) et corbeille de pains, Rome, cimetière de Lucine, première moitié du IIe siècle

 

L'art des premiers siècles chrétiens : un art joyeux

À travers tous les thèmes rencontrés dans les peintures et sculptures des catacombes se dégage un trait dominant : la joie. Il s'agit d'un art funéraire qui dépasse les craintes et la tristesse de la mort, et revêt une apparence joyeuse.

Au IIIe siècle, saint Cyprien1 renvoie au Royaume des cieux :

« Nous ne devons pas pleurer nos frères que l'appel du Seigneur a retirés de ce monde, puisque nous savons qu'ils ne sont pas perdus mais partis avant nous. (...)

Nous devons donc les envier au lieu de les pleurer, et ne pas nous vêtir ici-bas de sombres vêtements alors qu'il ont revêtu là-haut des robes blanches. Ne donnons pas aux païens l'occasion de nous reprocher avec raison de nous lamenter sur ceux que nous déclarons vivants auprès de Dieu (..).

L'apôtre Paul, d'ailleurs adresse reproches et objurgations à ceux qui s'affligent du départ des leurs [1Th 4.13.14ss]. (...) Et le Christ notre Seigneur et notre Dieu nous avertit par ces paroles : «Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s'il meurt, vivra ; et tout homme qui croit en moi ne mourra jamais » [Jn 11.25-26].

« Lorsque nous mourons, nous passons par la mort a l’immortalité ; et la vie éternelle ne peut être donnée que si nous sortons de ce monde (…) Aspirons, mes frères, au jour qui doit assigner à chacun sa vraie demeure et qui, après nous avoir arrachés a ce monde et libérés de ses pièges, nous rendra au paradis et au Royaume. Quel voyageur lointain n'aurait hâte de rentrer dans sa patrie ? Quel navigateur pressé de revoir les siens ne souhaiterait avec ardeur qu'un vent favorable lui permit d’embrasser plus vite ceux qui lui sont chers ? Notre patrie, c'est le ciel. » (saint Cyprien, Traité sur la mort, 20-22.26, PL 4, 596-597.601-602 ; cit. Lectures chrétiennes pour notre temps, abbaye d'Orval, Belgique, 1972).

Les plafonds et les murs des catacombes sont divisés en compartiments par un système de lignes droites et de courbes. Des figures gaies, gracieuses et attachantes, apparaissent, d'abord de petites tailles, puis de grandes tailles. Sur les peintures pariétales, les petites figures isolées au centre de leur champ délicatement encadré, représentent des orants ou des Bons Pasteurs, dont l'effet décoratif semble importer plus au peintre que la signification exacte : ils sont employés comme motifs alternants et interchangeables, à l'intérieur de leur cadre.

 

Spiritualité de l’espérance

Les sujets peints soulignent l'esprit des catacombes, une spiritualité de l’espérance. Durant l'Antiquité, les catacombes romaines remplissent deux fonctions : l'une funéraire, la deuxième martyriologique2. En dehors du culte des morts et des martyrs, elles n'ont jamais servi, sinon exceptionnellement et tardivement, au culte eucharistique. Encore moins ont-elles servi de refuge ou d'habitation. Des différences apparaissent entre les tombes : celles des pauvres, anonymes, celles des moins pauvres, avec un nom, une invocation, une date, et celle des riches, somptueusement décorées. Malgré ces différences, un même esprit, un souci commun, préside à toutes ces sépultures : celui d'assurer à tous, même aux plus déshérités, une tombe décente pour une dépense proportionnée.

 

Le repas eucharistique des chrétiens, Rome, catacombe de Pierre et Marcellin, première moitié du IVe siècle

 

Les inscriptions font des vœux pour la paix (pax tecum, in pace). Elles sont quelquefois accompagnées d'un symbole équivalent, comme l'ancre, la palme, la colombe, le rameau d'olivier. Elles souhaitent aussi au mort le refrigerium, c'est-à-dire le réconfort, le soulagement, la sécurité. Elles peuvent exprimer la foi en la vie, la vie éternelle, avec les saints, la foi en Dieu (vivas zèsès). Ou elles prennent la forme des prières, adressées au mort pour les vivants, aux saints pour le mort, ou encore prière faite par les vivants pour les vivants. Quelquefois les inscriptions comportent le mot Ichtus3, ou la représentation d'un poisson.

Les sarcophages et les peintures expriment le même idéal de vie d'outre-tombe. Les archéologues insistent beaucoup pour les mettre aux origines de l'art funéraire chrétien, sur des thèmes qui sont communs aux deux arts : les scènes champêtres, idylliques, maritimes, les décors végétaux, floraux, fluviaux, les personnages comme le berger, le pêcheur, le philosophe, voire l'orant. Tout cet arsenal décoratif, qui a servi à l'art païen avant d'être christianisé, exprime précisément cet idéal de paix dont parlent en clair les inscriptions.À plus forte raison en est-il ainsi des thèmes proprement chrétiens (le cycle de Jonas, Noé dans l'arche, Daniel et les lions, les trois Hébreux dans la fournaise, plus tard les scènes de la vie du Christ).

Ces thèmes expriment la certitude de l'intention salvatrice de Dieu, et finissent par la montrer réalisée dans le Christ. ainsi certaines scènes désignant ou suggérant les sacrements, baptême et eucharistie.

Le credo chrétien pour les fresques est un témoignage d'une communauté exprimant sa foi. Le christianisme naissant est un chant au Christ-Vie. À travers tous les développements de pensée ou d'expression, du Bon Pasteur des catacombes au Christ en majesté des basiliques, c'est toujours le Sauveur et l'œuvre du Salut qui sont chantés. Salut figuré et préparé dans l'Ancien Testament, salut réalisé par le Christ sur cette terre, salut continué par l'Église, salut achevé au ciel. Ce thème résonne. joyeusement dans ces lieux de mort apparente que sont les catacombes, témoignage irrécusable de la foi et de l'espérance des premiers chrétiens4.

Dans ce monde des morts-vivants, s'élève de galerie en galerie, de chambre en chambre, le chant de foi et d'action de grâces des « sauvés », d'autant plus impressionnant qu'il monte au cœur d'un monde païen en détresse qui cherche vainement des raisons d'espérance et qui n'en a jamais si peu trouve.

« Le message chrétien n'est pas l'annonce d'une condamnation : il appelle à la pénitence pour appeler au salut. Il n'est pas acerbe, il n'est pas revêche, il n'est pas désagréable, il n'est pas ironique, il n'est pas pessimiste. il est joyeux et fort, il est généreux. Il est rempli de beauté et de poésie. Il est plein de vigueur et de majesté. Oui, il présente la croix : la souffrance, le sacrifice, la mort, mais pour apporter le réconfort, la Rédemption, la vie. » (Mgr Mortini, Apostolat des laïcs, Doc. 1.86, 1957).

À travers les fresques souvent estompées ou endommagées toute l'Antiquité chrétienne se lève sous nos veux.

 

1) L’exil. Il est mort décapité lors de l'une de ces persécutions.

2) Victor Saxer, L'esprit des catacombes, p.70.

3) Chaque lettre du nom Ichtus est l'initiale des mots lesous Christos Theou Uios Soter, Jésus Christ fils de Dieu Sauveur.

4) Roma Nobilis 316.346.