L'appel de l'Esprit à quitter l'Église (institution marquée par une histoire révolue) pour se rendre dans le Monde.

Publié le par Michel Durand

page rédigée en mars 2011, que j’ai peut-être déjà publiée, mais qui demeure d’actualité.

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Revenant sur le choix des ouvrages que j'ai plaisir à lire, je me suis surpris de constater avec quelle force ou obstination, ils revenaient toujours sur le même thème : institutionnalisation outrancière de l'Église, ce qui, aujourd'hui, la place quelque peu (plutôt beaucoup) en dehors de l'Évangile. C'est tout le problème de la modernité, du dialogue avec le monde que l'enfouissement hiérarchique ecclésial n'arrive pas à réaliser sereinement. La crainte du monde est telle que, tout en traçant des pointes de dialogues, l'on continue à s'adresser à lui, en affirmant être le seul possesseur de la vérité. Dogmatisme de l'Église.

Romanciers (dont je dis qu'il serait intéressant d'organiser un colloque avec eux pour entendre leurs motivations à écrire ce genre de fiction) et théologiens s'accordent sur ce constat. Joseph Moingt peut résumer ma pensée. Je cite, un peu pris au hasard dans son abondante littérature : « Il est légitime d'inférer que le mal dont souffre l'Église… a son origine dans une communication défectueuse avec la société et qu'elle en est en partie responsable du fait d'ingérences arbitraires hors de ses frontières et de méfiances spontanées envers toute revendication de se soustraire à son autorité. » Ou encore : « Nous n'envisageons pas une extinction définitive… de l'Église institutionnelle, mais nous ne pensons pas non plus qu'elle survivra à l'état de mort dans lequel nous la voyons s'enfoncer sans renoncer à la puissance sur laquelle elle avait bâti son histoire »…. « C'est pourquoi nous nous étions résolus à parler un langage nouveau, dans lequel la foi renonçait aux prétentions d'un savoir démonstratif et se résignait à voiler Dieu de la folle sagesse de la Croix, à annoncer un Dieu caché aux sages et aux puissants, qui ne cherche pas à établir son triomphe sur le monde, qui ne s'en désintéresse pas pour autant ni ne s'en éloigne, loin de là, mais qui s'enfonce au cœur du monde pour mieux servir les hommes et les entraîner à sa recherche, qui est leur salut ».

Quand je dis « quitter l'Église », il faut bien sûr entendre cette église hiérarchique marquée par une culture et une histoire qui plonge ses racines dans le moyen âge occidental et féodal. Il faut aussi envisager de quitter cette Église concentrée sur le don des sacrements qui requiert la présence sacerdotale (hiéros). Quitter cela pour suivre l'Esprit saint donné aux fidèles laïcs, l'Esprit qui souffle où il veut et quand il veut. Je prendrais le temps de m'expliquer plus longuement sur le travail salvifique de l'Esprit dans la société. Pour l'instant je veux seulement souligner combien la hiérarchie a du mal à saisir l'œuvre pastorale des fidèles laïcs agissant, dans l'Esprit, à l'édification du corps du Christ, l'Église du Royaume. Joseph Moingt écrit à ce propos :  « Pour devenir vraiment une Église témoignage, il lui faudra se restructurer au-dedans d'elle-même sur la base du laïcat, qui se tient le plus immédiatement en communication avec ce monde auquel elle ne sait plus parler. – Si l'avenir de l'Église est menacé par le tarissement des vocations sacerdotales, l'Esprit Saint y a pourvu en donnant aux fidèles laïcs de participer également au sacerdoce du Christ, ce qui leur confère le droit d'offrir à Dieu un « culte spirituel ». 

Mais, voilà, ce culte spirituel n'est ni comptabilisable, ni monnayable. Comment une communauté, ayant peu d'activités strictement cultuelles pouvant lui apporter de l'argent, va-t-elle subvenir à ces frais fixes ? Payer les diverses taxes que l'État impose, par exemple pour être conforme aux normes de sécurité des locaux recevant du public ? Il me semble qu'une solidarité de fonctionnement doit jouer au niveau de tout un diocèse, mais cela n'empêche pas que les chrétiens, localement, doivent devenir capables de répondre à cette nécessaire autonomie financière. En fait je pense à cela, moins pour l’aspect économique que pour l'attitude pastorale fondamentale, usuelle qui voit l'action de l'Église surtout dans le fonctionnent ordinaire lié aux sacrements : baptême, mariage, eucharistie... Une société qui n'a plus cette demande se trouve privée du salut offert par le Christ, si on limite la mission universelle du salut à cette seule dimension sacramentelle. Et, par ailleurs, la baisse du nombre de prêtres porteurs des sacrements en limites encore l'accès.

C'est en ce sens que je dis et redis que les baptisés conscients de la mission reçue au baptême, doivent se sentir sacerdotalement engagés à œuvrer dans le sens de l'annonce universelle du Salut. Ce n'est que dans l'accueil de l'action de l'Esprit en eux – ce qui bouleversera les usages de l'institution- que l'Église trouvera un nouveau visage adapté à la société faite de démocratie et non d'obéissance monarchique. Mon souhait est alors que ce qui se vit déjà en de nombreux endroits soit écouté et entendu. Il ne suffit pas, certes de consulter les laïcs ; mais le faire est un pas nécessaire ; les écouter et les entendre ; de ne pas décider dans une orientation qui ne tiendrait pas compte de l'échange. Je dis cela en pensant aux audits que l'autorité ecclésiale lyonnaise a mis en place et dont les critères de recherches sont principalement quantitatifs. « Une paroisse qui n'aurait même pas dix baptêmes dans l'année et qui a moins de 5 enfants inscrits au catéchisme, qui ne célèbre aucun mariage et très peu de sépultures…mérite-t-elle encore le nom de paroisse ? Est-elle économiquement viable ? Non. Alors, "il faut arrêter cela tout de suite !" » Mais, dans ce cas, que deviendront les multiples contacts pris sur des bases humaines avec des personnes, des associations, des familles qui affirment avoir, une fois pour toutes, fait le point avec une Église, bien trop compromise avec le pouvoir de l'argent ?

Ce problème pastoral n'est pas récent. Je repense au Père Antoine Chevrier (normal, vu ma formation pradosienne) qui obtient de l'archevêque la permission de quitter le "ministère ordinaire". Que voulait-il dire par là ? Tout simplement que l'ambiance propre à un presbytère, les prêtres qui y vivaient, les fidèles qui se sentaient ici chez eux, constituait un obstacle à l'annonce universelle du salut Les pauvres, les ignorants, les pécheurs, disaient Antoine Chevrier se constataient exclus de la vie de l'Église du Christ, il fallait construite ailleurs une autre Église. Ce fut l'achat de la salle de bal du Prado. Les finances furent obtenues grâce à des dons privés et au risque pris par le Père Chevrier. Cet exemple devrait nous être utile aujourd'hui pour que l'annonce de l'Évangile continue à se faire en dehors des cercles ecclésiaux habituels. Je pense bien évidemment à tout ce qui est en place sur les pentes de la croix-rousse dans le domaine artistique, politique, et associatif : des actions où les fidèles du Christ sont largement impliqués. L'annonce du salut se réalise par le biais de ces "outils", non pour immédiatement introduire dans l'Église, mais apporter un plus d'humanisation. L'esprit agit en chacun et chacune afin que l'humain rencontré, les personnes avec qui l'on chemine atteignent leur stature adulte, leur plein épanouissement, leur parfaite stature humaine. Cette mission est, à mon avis, ce que l'Église-institution doit aujourd'hui soutenir, au-delà du territoire d'une paroisse classique. Le faire, c'est répondre à un besoin actuel et du monde et de l'Église.

Pour terminer aujourd'hui sur ce sujet, je trouve honnête de rappeler tout le bonheur que je découvre depuis plusieurs années à lire la théologie de Joseph Moingt et de Christoph Théobald. Nombreuses phrases écrites par mes soins ne doivent leur formulation que grâce à leur réflexion. Je ne revendique donc aucune originalité dans ce que j'écris. Ainsi, dire que la situation que vit actuellement l'Église, sa pauvreté humaine et économique (tout ce que nous expérimentons à la paroisse St Polycarpe des pentes de la croix rousse) est un heureux signe des temps qui nous permet de retrouver l'urgence de la vocation universelle au salut en renonçant à l'impérialisme du particularisme cultuel. Sans renoncer aux sacrements qui sont une nourriture spirituelle de compagnonnage avec le Christ, les fidèles chrétiens construisant l'Église, porteront « témoignage à l'Évangile et à l'Esprit du Christ de la façon la plus largement accessible aux hommes de ce temps. Telle est la prise de conscience à laquelle nous accédons aujourd'hui ».

Publié dans Eglise

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