La croissance butera sur un mur si elle n’intègre pas l’enjeu de la raréfaction des ressources naturelles

Publié le par Michel Durand

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Le pic pétrolier atteint en 2010


Fin 2011, le groupe « chrétiens et pic de pétrole » a proposé au quotidien La Croix un article Forum soulevant la question de l’inéluctable décroissance dans l’économie actuelle. Celui-ci ne fut pas agréé par la rédaction. Le journal parle de plus en plus de ce problème mais toujours en employant des mots qui se veulent certainement plus positifs : croissance zéro (un concept désormais historique), croissance nulle, croissance négative. C’est quand même mieux que décroissance. Je reproduis ci-dessous (fin de page) ce forum pour la croix, daté de novembre 2011.

Mais pourquoi donc je repense à cet article ?

Tout simplement parce que ce lundi 26 mars 2012, l’éditorial de La Croix rédigé par Guillaume Goubert aborde la question de la réalité de la décroissance sous le titre des Ressources rares.


Comme il se doit, semble-t-il selon la philosophie du respect des lecteurs, le mot qui fait peur, décroissance, n’est pas employé ; mais la réalité est bien là. Je note avec plaisir que le groupe chrétiens et pic de pétrole ne se trompe pas en utilisant le symbole du pétrole comme réalité évidente, le signe que les Nordistes industrialisés doivent changer leur mode de vie s’ils veulent survivre à la déplétion des matières premières. Je vous invite à lire cet éditorial. Les caractères en gras sont de ma responsabilité, afin de mieux cerner la similitude avec la recherche de CPP, chrétiens et pic de pétrole.

Ressources rares.

 Cette année encore, l’Europe va vivre dans la hantise de la sécheresse, y compris la Grande-Bretagne, contrée que l’on aurait imaginée à l’abri d’un tel sort. Année après année, il se confirme que nous vivons une ère de changement climatique important. Le débat reste ouvert sur les causes de ce phénomène, mais il est d’ores et déjà nécessaire de s’adapter à des risques de pénurie en eau douce. Deux solutions se présentent pour faire face : d’une part, chercher de nouvelles ressources, par exemple en dessalant l’eau de mer. D’autre part, économiser davantage l’eau. Bien entendu, les deux options peuvent se conjuguer. En France, on peut à la fois créer des réservoirs d’eau et cultiver moins de maïs au profit d’autres cultures moins gourmandes en arrosage. Cependant, la tentation sera toujours grande de chercher de nouvelles ressources plutôt que de faire l’effort de changer ses habitudes pour consommer moins.

Au fond, la situation de l’agriculture face au problème de l’eau est celle de toutes les activités économiques face aux limites des ressources naturelles. La problématique est exactement la même du côté du pétrole. La production de brut, actuellement, ne parvient pas à satisfaire la demande, fortement en hausse en raison du développement rapide de pays comme la Chine, ce qui pousse les prix au plus haut. Là aussi, la tentation est grande de chercher de nouvelles ressources, comme par exemple les gaz de schiste, quels que soient les risques pour l’environnement. Ne vaudrait-il pas mieux mettre davantage l’accent sur des modes de vie et de production plus économes en énergies fossiles ?

La crise que traverse l’économie mondiale depuis la fin de 2008 a relégué assez loin en arrière les préoccupations environnementales. Le souci prioritaire, évidemment légitime, est de relancer la machine pour éviter une longue période de dépression. Cependant, il faut rester conscient que la croissance butera tôt ou tard sur un mur si elle n’intègre pas l’enjeu de la raréfaction des ressources naturelles.

Guillaume Goubert

 

L’auteur affirme que le souci de relancer la machine est légitime. C’est justement cette légitimité que CPP interroge :

Les chrétiens face à l’impasse de la croissance…

La croissance ? La poule aux œufs d’or qui fait rêver l’opinion publique en un monde meilleur, contre vents et marées. Nos politiques, de droite comme de gauche, risqueraient de perdre toute crédibilité s’ils cessaient de la promettre, alors même qu’elle est systématiquement à la baisse, comme en ces temps de crise : avec 1% de hausse annuelle du PIB on devrait pouvoir encore gagner les élections ! La croissance, celle à deux chiffres que l’on envie à des pays comme la Chine mais qui nous fait peur car elle nous menace et risque bien de nous écraser. La croissance, fer de lance de l’économie, mais aussi de la science qui prétend découvrir et maîtriser tous les secrets de son origine et de sa destinée. La croissance impossible quand on parle des réserves en ressources naturelles, c’est le cas aujourd’hui particulièrement pour le pétrole. Beaucoup disent que l’on ne peut continuer ainsi. On va droit au mur ! La croissance, signe de la volonté de l’homme d’aller au-delà de ses limites, de sa mort même, malgré ou à l’encontre de sa finitude ! Et en plus on sait qu’elle aura fait une multitude de victimes avant que n’en subissent les conséquences ceux qui ont le pouvoir ou qui en profitent, dont nous sommes. Car dès aujourd’hui la croissance ne fait pas que des heureux ! Elle n’est qu’un rêve inaccessible pour une part importante de la population mondiale qui vit sous le seuil de pauvreté, qui meurt de faim même, qui en réalité subit les conséquences de l’accaparement des richesses de la création par une part minoritaire de l’humanité…

Les chrétiens n’ont-ils pas une responsabilité dans l’affaire ?

La bonne nouvelle de l’Evangile est une voie de sagesse qui devrait être mise en œuvre pour répondre à cette question d’une croissance impossible pour tous et donc injuste. Certains pensent qu’il est possible de trouver une voie radicalement nouvelle qui ne soit pas celle de la croissance à tout prix. Dans l'Eglise, depuis des décennies, le Pape et les évêques se sont prononcés avec détermination pour des modes de vie plus sobres et épanouissants face aux “modèles” promus par la société de consommation. En 1982, les évêques de France ont publié Pour de nouveaux modes de vie ; ce texte a fait date, trente ans après rien n’a vraiment changé, au contraire ! Ils ont donc récidivé en 2011, avec un nouveau texte  : Grandir dans la crise.

Face à la crise, devant l’impasse de la croissance, un autre mot revient aujourd’hui : le développement. On ne peut nier que l’homme est un être en perpétuelle évolution, qu’il est appelé à se développer pour trouver une place juste et équitable dans cette création qui lui est destinée comme un bien précieux et inaliénable. Paul VI l’avait souligné dans son encyclique Populorum progressio : « Le développement est le nouveau nom de la paix. » Mais ce terme de développement se prête aujourd’hui à trop de duplicité et d’ambiguïté pour être une parole de vérité, surtout quand on le qualifie de durable. Le développement ne serait-il pas plutôt un des noms de la guerre : guerre pour le pétrole ou pour les ressources naturelles en voie de disparition, guerre pour l’eau potable, le blé ou le coton… ? Quelle que soit la manière de l’aborder, le développement résiste difficilement à l’objection du cercle infernal de la croissance sans limite.

Alors, depuis des années, d’autres parlent de décroissance, du moins d’objection de croissance. Ce mot fait peur. Il signifierait un retour en arrière. Ce serait abandonner tout ce que la science et l’intelligence de l’homme ont donné au monde en terme de progrès, de bien-être, de développement justement… Cela ne pourrait que générer un collectivisme insupportable et rendre l’humanité triste et sans avenir. Coupons court aux caricatures habituelles : l’objection de croissance est tout sauf une invitation à une logique de soustraction ou de retrait. Il ne s’agit pas de nier l’économie, la consommation, ou la science, mais de refuser leur absolutisation et la volonté d’aller toujours plus au-delà des limites de la planète et de l’homme. La décroissance n’est pas une simple diminution quantitative mais un projet de société portant les valeurs chrétiennes de partage, de modération et de gratuité.

Pour autant la décroissance n’est pas le renvoi au seul chemin individuel, celui de la « sobriété » volontaire ou de la pauvreté évangélique. Bien évidemment, ces choix sont importants et sans transformation personnelle rien ne sera possible. Mais formatés par l’individualisme forcené qui imprègne notre société, et qui par conséquent nous traverse tous plus ou moins, nous aurons tout naturellement tendance à négliger les « choix de société » pour privilégier ces « choix de vie ». C’est pourquoi, il est urgent de transformer les manières de penser et de vivre du monde, de la collectivité et il faut entrer dans une optique non seulement individuelle et spirituelle mais aussi institutionnelle et politique au sens large du terme. La décroissance veut être un lieu où s’articulent collectivement toutes les volontés individuelles.

Oui il ne faut pas avoir peur de se confronter à des réalités telles que le productivisme qui ne jure que par la croissance et entraîne le monde à sa perte. Alors il faut mettre toutes les ressources de l’intelligence et de la foi pour inventer de nouveaux modèles de société qui donnent à chacun des sept milliards d’humains la chance de vivre pleinement. C’est un projet de longue haleine qui demande courage et détermination, où le théologien devra travailler avec le politique, le contemplatif avec l’actif, le croyant avec l’athée... Il n’est pas trop tard ! Saurons-nous ensemble entraîner l’humanité sur un chemin d’espérance pour construire un monde meilleur et pas seulement dans l’au-delà ?

Gwendolyn West (Chrétiens et pic de pétrole Lyon)

Henri Aubert sj (Espace saint Ignace Lyon)

Novembre 2011

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