L'attrait communautaire des années 70

Publié le par Michel Durand

Il me faut revenir, je le peux maintenant, au courant communautaire, pour préciser la place qu'il tient dans l'Eglise, ou plus exactement, pour préciser l'attention que les prêtres, responsables, pasteurs, facteurs de liens portent sur lui. L'analyse menée précédemment (voir au 25/09/08) me permet la présente réflexion.

Quelles sont ces communautés ?

Communautés de partage, communautés de vie, communautés marginales, communautés critiques, communautés de prières, communautés de quartier, communautés d'immeuble, communautés où le facteur de rassemblement n'est plus géographique, mais politique, communautés visiblement liées à l'Eglise par le prêtre qu'elle a sollicité, communautés oecuméniques, libres par rapport aux églises, communautés charismatiques, communautés de recherche de la foi... cela foisonne, foisonne.

Une enquête sociologique serait utile pour atteindre, une fois de plus, l'objectivité la plus certaine. Peut-on se fier à sa propre expérience ? C'est seulement au nom de cette dernière que je parle. Est-ce suffisant ? Agissons comme si ; je dis ce que je pense. Voilà. 

Dans ces communautés, il n'est pas usuel de prêter attention aux milieux d'origine des gens. Par exemple, dans le cas où la volonté de se réunir autour de Jésus-Christ sera très nette, on se réjouira de la variété sociale des communautaires. « C'est comme la communauté chrétienne décrite dans les Actes des apôtres ! »

En fait, tous ces regroupements sont-ils si divers ? Qui se retrouvent dans ces réalités chrétiennes·ou anarchistes ? Beaucoup d'intellectuels, certains de « gauche », des étudiants, des enseignants, des ingénieurs, des professions libérales... très peu d'ouvriers. Nous le remarquons aisément dans les rencontres organisées sous l'égide de « La Vie Nouvelle », des chrétiens pour le socialisme, du Renouveau charismatique. Nous le sentons dans les diverses publications. À l'intérieur comme en dehors des perspectives chrétiennes, la proportion de gens issue de la bourgeoisie est forte dans tout le mouvement communautaire, que celui-ci soit dominé par la conquête de la liberté, par la soumission à une théologie orientale ou occidentale, par la recherche d'une alternative au travail salarié, par la volonté de refaire la société ou de la fuir... 

Faisons une autre constatation. Dans ces communautés, l'habitude est généralement prise de poser les questions à un niveau très profond. On se veut radical et on l'est. Si bien que, fort souvent, au regard de la vie actuelle, on en reste au niveau de la discussion. La radicalité révolutionnaire des questions posées est telle que celles-ci ne peuvent pas être immédiatement opératoires. Il suffit de regarder l'exemple qu'offre Taizé avec la « Seconde Lettre au peuple de Dieu ». La remise en cause de ses habitudes qui y est demandée s'approche de la conversion ! Aussi, à la limite, ne serait-il pas légitime de se demander si ce type d'interrogations, à cause de l'ampleur de la tâche à accomplir, ne démobilise pas au lieu de polariser les énergies vers un but, simple, bien connu, bien délimité, aisé à atteindre ; but que propose généralement l'action syndicale.


Nombreux responsables des Mouvements d'action catholique ne se posent plus la question ; il semblerait qu'ils aient déjà tranché. « Ces gens ne sont que des rêveurs, disent-ils ; surtout ceux qui passent tout leur temps à prier ! » A un jeune lié à Taizé et connaissant bien les communautés de Renouveau charismatique, un aumônier de Mouvement de jeunes répondit : « on n'a pas besoin de gars qui planent. Il nous faut des militants. » Que signifie cette appréciation dont les odeurs sectaires ne peuvent se camoufler. 

Donc, gens principalement de la bourgeoisie qui n'épousent pas une militance immédiate, mais qui montrent un penchant pour la recherche intellectuelle et spirituelle. En un mot, tout est réuni pour ne pas plaire a priori au clergé. D'une part, les curés se sentent - et sont - attaqués à cause de « leur » paroisse moribonde. D'autre part, les aumôniers ne se sentent pas interpellés par ce qui se présente avec si peu de concret. N'est-ce pas parce que les regards ecclésiastiques sont principalement tournés vers « ce qui se vit de concret dans la vie », je reprends l'expression devenue classique, qu'une réunion d'information sur le Renouveau et les groupes de prière, ne rassembla pas à Lyon une poignée de prêtres catholiques ? Celle-ci fut surtout organisée à leur intention. Ne pourrait-on pas porter la même interrogation par rapport à l'attitude de la majorité des chrétiens pratiquant vis-à-vis de Taizé. Qui prend en considération les appels que nous lancent les jeunes du « Concile de Jeunes » ? En d'autres termes, et vous comprendrez mieux pourquoi j'ai parlé de « jalousie », d'où vient que les énergies dépensées au service du monde ouvrier ne se retrouvent pas aussi auprès du monde indépendant, des tentatives communautaires qui se font jour à côté de l'action catholique et des paroisses, sans oublier le besoin de découvrir Dieu-transcendant par la prière ? Paul Schmitt, évêque de Metz, dans la préface de l'ouvrage de P. A. Liégé écrit: « l'auteur lance un appel aux croyants, persuadé qu'il est que les problèmes les plus graves de l'Eglise d'aujourd'hui entraînent une urgence : la rénovation en profondeur de l'être-ensemble et du vivre-ensemble des chrétiens. Evêque d'une Eglise interpellée par les profondes mutations du monde, comment n'en serais-je pas également convaincu ? C'est pourquoi je souhaite que cet ouvrage trouve un grand nombre de lecteurs et que ces lecteurs deviennent des acteurs » Le livre est peut-être épuisé (je le souhaite), la réflexion bien avancée, les « acteurs » nombreux ?... bon ! Je me présente candidat pour une interrogation supplémentaire.

Avec qui, me demanderez-vous ?

Effectivement. Avec qui ?

Je crois que l'Eglise d'aujourd'hui souffre grandement de l'esprit de secte. On sort peu de son « tiroir », du « lieu où l'on parle », où l'on se trouve confortablement installé avec son vocabulaire et ses habitudes. Je crois avoir déjà écrit combien serait intéressant l'échange, en profondeur, des points de vue des différents groupes. Je veux signifier, par là, qu'il est impossible de ne se sentir interpellé que par ce qui vient de « son monde ». Si le mouvement communautaire est une chance pour l'Eglise de demain, n'est-ce pas avec tous, dès maintenant, qu'il faut en parler ?

 

 

Publié dans Il y a 30 années...

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