Biennale de Lyon : une terrible logorrhée en est née.

Publié le par Michel Durand

 Le point de vue de Nicole Esterolle

La Chronique n° 18

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Pop surréaliste Tom Schorr


Voici un  tout petit extrait du  texte de cinq pages bien tassées (dont l’une vous est jointe) que Thierry Raspail, le Directeur de la Biennale d’Art Contemporain de Lyon vient d’écrire pour la préface du catalogue de cette manifestation, qui a pour titre « une terrible beauté est née »:

 « La plasticité des faits d’histoire, comme celle des œuvres quelles qu’elles soient, et qu’elles s’espacent dans le temps ou non, délimite un cadre, une configuration et des périphéries, qu’il est vain d’énoncer a priori. (…) Mais à cette histoire, il faut bien un début, car avant d’être un qui (playlist), l’exposition  est un comment. Qu’est-ce qu’un début ? s’interrogeait Louis Althusser avant d’étrangler son épouse (…) Comme l’histoire générale, mais pour un temps seulement, l’exposition doit pouvoir tracer sans trahir les propriétés combinatoires d’une morphologie définitivement conjoncturelle, sans passé ni avenir, au présent. Et contenir en prélude (ce qui interdit au « savoir constitué », comme à la « certitude des choses », à la « pensée  readymade », à la « structure » et au « fondement »), d’imposer un type, fut-il « idéal (Weber), un modèle, (un telos), et contenir, ce qu’à défaut de mots nous empruntons à Carlos Ginsburg, « des éléments impondérables » : le flair, le coup d’oeil, l’intuition. »

Je vous soumets cela, car j’aimerais savoir si je suis la seule, à ressentir le caractère absolument abscons, insensé, délirant, complètement halluciné ou explosé du dedans, de ce texte qui, lu à haute voix, vous fait desquamer* la langue et sortir de la fumée par les oreilles. Un texte, dont on se demande d’ailleurs  si son auteur n’a pas trop fumé la moquette et ne va pas bientôt manger son chien, sa sacoche  ou la plante verte de son bureau.

J’aimerais savoir aussi si je suis la seule à détester le  caractère éminemment anxiogène de l’épais catalogue où cette tartine de mots   figure , avec sa sinistre  mise en page toute en noir et sa ligne graphique façon archives  du  KGB, avec ses articles  optiquement illisibles et intellectuellement malodorants, avec ses terrifiantes images, ses cinq pages entièrement blanches, ses doubles pages de cercueils, d’entrée de cimetière ou d’intérieur de bouche aux dents fracassées, avec cette poisseuse complaisance pour les misères du monde, avec cette obsession permanente du questionnement sans fond sur le réel ou sur l’histoire, avec cette compacité inouïe de négatif, de morbide  et de désenchantement… Bref, savoir si je suis la seule donc, compte tenu de ce pathos catastrophile ou nécrophile, à m’inquiéter sur  les chances de survie sur cette terre, de l’art, de l’humanité, des animaux et des plantes vertes.

Car enfin , cette Biennale n’a rien  d’une inoffensive amusette  de quartier, c’est une énorme  machine de guerre médiatique qui  est devenue l’emblème de notre vitalité culturelle  nationale (pas étonnant d’ailleurs, qu’avec cette réussite planétaire, son directeur,  parvenu au paroxysme  de boursoufflure de son ego, puisse  se permettre impunément de faire preuve d’une telle frénésie  langagière et d’une incontinence  rhétorique  qui lui serait fatale dans tout autre domaine. Il paraît d’ailleurs, qu’au mieux de son exaltation mégalomaniaque ou de son ivresse de pouvoir, il lui arrive de grimper sur son bureau pour hurler comme Tarzan en se frappant la poitrine). Car cette Biennale est une colossale usine à gaz culturel. Elle fait la fierté des édiles locaux.  Elle coûte je ne sais plus combien de millions d’euros à la région, à la ville et aux sponsors (Dont les casinos Partouche au fameux slogan : « la culture pour tous, partout, Partouche »). Elle emploie des centaines de personnes. Elle occupe avec ses manifestations annexes des centaines de lieux dans les zones prioritairement défavorisées des alentours. Elle fait venir des wagons  entiers de journalistes transbahutés logés-nourris-abreuvés et encadrés pire qu’en URSS. Elle  se paie quatre pages centrales dans le Monde signées par la dream team de la critique d’art française : la fameuse triplette Dagen -Lequeux - Bellet, etc.,

Je m’inquiète donc de cette croissance exponentielle d’un contenant qui semble ne pouvoir se faire que par diminution accélérée de la possibilité de retour  d’un contenu positif, vivant, sain, senti, pensé, coloré, travaillé, inventé, généreux, prospectif, aimable à voir et qui élève l’âme…

Je m’inquiète de voir politiques et journalistes, tous ensemble piégés dans un même mécanisme incontrôlable, honteux parfois de ne rien pouvoir faire et dire pour réguler cette emballement de l’inepte, qui ne leur fasse risquer de perdre leur rôle et attribution dans cette même mécanique décérébrée.

Mais je me réjouis  en voyant le Conseil Régional proposer en ses grandioses locaux tout neufs, cette exposition intelligente  et gaie de peintres de la tendance Lowbrow et Pop-surréalistes, en contre point de cette biennale stupide et triste, et comme pour se faire pardonner le soutien obligé qu’il apporte à cette dernière.

(Et je vous joins aussi cette belle image du Pop surréaliste  Tom Schorr, qui pourrait pour l’occasion  s’intituler « Tarzan, la honte de la jungle »)

Vous pouvez par ailleurs  suivre l’actualité toujours passionnante  du schtoumpf émergent sur la scène artistique internationale en allant sur le site : www.schtroumpf-emergent.com

Ce site vient d’être remodelé pour mieux accueillir vos réactions et commentaires.

(Cette chronique est envoyée régulièrement à 9000 chroniqueurs,  diffuseurs d’art et décideurs institutionnels  en France)

 

 

 *{v.i.ou v.pron.} Se dit de la peau qui se détache sous forme d'écailles, de squames.

{v.t.} Débarrasser la peau de ses squames (cellules mortes).

Publié dans Art

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J
<br /> <br /> Oui, c'est vrai, la formulation est alambiquée, excessivement abstraite ; néanmoins il me semble qu'il y a une intention dans ces propos qui est une sorte de constante de la pensée, non pas<br /> artistique en elle-même, mais de la pensée sur l'art contemporain (c'est-à-dire à propos de l'art contemporain) ; il s'agit d'une pensée<br /> pseudo-philosophique (Thierry Raspail ne parle-t-il pas lui même de 'philosophie de bistrot' dans un de ses propos?! je ne pousserais pas l'outrecuidance à lui appliquer à lui-même ses propres<br /> jugements !) qui capte à son profit les intentions des poètes, parfois d'ailleurs abusivement ou du moins de façon fort peu explicite (voir remarque ci-dessous) . La finalité, l'intention<br /> (pour reprendre le mot déjà utilisé, qui me semble bien convenir) de cette pensée est finalement simple ; on s'interdit d'enfermer la création artistique dans un 'sens', à plus forte raison dans<br /> un 'héritage' ou dans un système de pensée symbolique (tel que religieux par ex.).<br /> <br /> <br /> L'art n'est donc plus qu'un 'comment' (mais le terme porte à confusion) que l'on appréhende par les moyens d'une subjectivité débridée et se justifiant par des mots d'une grande banalité au fond<br /> : le 'flair' (que l'on s'attribuera facilement) capable de sentir et ressentir 'l'impondérable'...<br /> <br /> <br /> Cette démarche n'est pas foncièrement illégitime ; elle est tout simplement discutable ...<br /> <br /> <br /> remarque : j'ai relu attentivement la poème de Yeats : il ne se laisse pas saisir facilement ; il comporte une part de mystère, y compris dans ce qu'il veut entendre par 'terrible beauté'.<br /> Peut-être Yeats veut-il par là affirmer le pouvoir du poème comme créateur d'une beauté capable de dire les choses au-delà d'un parti-pris<br /> d'humanité (parti pris qui aurait dû par ex. conduire le poète à louer le sacrifice de ses irlandais fusillés ce qu'il ne fait pas réellement).En somme ce qui serait terrible ce<br /> serait de décrire le sacrifice de ces hommes fusillés comme qqe chose de relatif, et ainsi de l'amoindrir dans sa charge symbolique en n'y participant pas. Une sorte de sentiment d'absurde<br /> émane de ce poème (où l'on trouve par ex. le mot de 'farce'). On reste bien dans le même registre d'une modernité, que Thierry Raspail définit comme ' la mémoire commune de notre culture<br /> occidentale ' ce qui, vous en conviendrez est quand même un peut court, et balaie un peu facilement les 15 à 20 siècles fondateurs qui précédèrent. Il y a, en bref, une forme de narcissisme<br /> et d'autosuffisance dans la 'modernité' et peut-être aussi dans ceux qui s'en prévalent.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Merci pour votre regard et commentaire. Ne voir que l'objet d'un moment et le comment de son existence,  n'est-ce pas le signe d'un individualisme forcené issu d'une idéologie libérale ?<br /> <br /> <br /> <br />