Le hasard existe-t-il ?

Publié le par Michel Durand

Tout n'est que providence disent les plus fidèles à Dieu.

Le maître de tout l'univers oublierait-il le plus petit de ses Fils ? Une mère risquerait de le faire. Dieu non.

Depuis plusieurs années, au moins ces deux dernières, j'ai rencontré des jeunes adultes –parfois, plutôt en mal de vivre- qui ont coulé leur vécu dans l'acte littéraire. Je veux parler de journal. Récit d'une épreuve. Expression de sentiments. Témoignage d'une découverte ou redécouverte de la force de l'Évangile. Souvent, j'ai encouragé à poursuivre l'ascèse de l'écriture.

journal2008.jpgÉcrire pour soi-même ou écrire pour être lu ?

Il faut d'abord répondre au besoin ressenti de déposer sur le papier (voir l'ordinateur) ce que l'on a envie de dire. Écrire devient alors l'essentiel acte thérapeutique qui donne le goût, puis le désir de vivre. Certes, dialoguant avec les personnes concernées, je ne pense pas avoir employé le mot "thérapeutique". Cela fait trop clinique, et l'autre n'est pas fou. Mais, je suppose avoir insisté, j'espère pas trop lourdement, sur le bien ressenti quand on a eu le courage d'extraire de son cœur les idées qui encombrent l'esprit.

Et il n'est pas question de griffonner n'importe quoi, n'importe comment.

Écrire donne l'occasion d'organiser ses pensées, les clarifier, les hiérarchiser. Il en va de même pour la parole. Celle ou celui qui ose parler à une personne dont l'oreille et le cœur savent écouter se sent apaisé, libéré. "Je me sens mieux". "Je comprends mieux ; vous m'avez tout expliqué". Pourtant, l'écoutant n'a presque rien dit.

J'ai observé que la personne qui avait le courage de reprendre son texte afin de l'améliorer, s'assurant ainsi d'avoir avec justesse traduit sa pensée, se mettait, parfois avec une semi-conscience, dans la position de l'écrivain. On pense : je n'écris pas seulement pour moi - tout en sachant qu’écrire d'abord pour moi demeure l'acte premier - j'écris dans la perspective éventuelle d'être lue ; perspective ou espérance.

C'est alors que le projet d'une possible publication s'installe dans le journal et l'acte d'écrire se transforme, dans l'ascèse des relectures et corrections, en œuvre littéraire. Cela sera prouvé par l'acceptation d'un éditeur.

Personnellement, si j'encourage la recherche de perfection dans la transmission des pensées, je suis plus silencieux (il m'arrive que l'on me demande conseils) face à la volonté de s'enquérir d'un éditeur. Mais, je déconseille fortement l'édition à compte d'auteur. Avant de dépenser son argent chez un imprimeur, il faut s'assurer des moyens de communication à notre portée pour la diffusion du livre.

Il me semble agir ici comme avec les artistes peintres que je rencontre notamment par le biais de l'association Confluences-Polycarpe. Quand peindre devient une nécessité vitale, il ne faut pas hésiter à répondre à cet appel. Peindre, donc. Comme il s'agit de peindre pour son plaisir, il faut coûte que coûte garder toute sa liberté. La création artistique, dès qu'elle devient nécessité alimentaire, perd grandement en qualité créative. Avec les plasticiens, je dis souvent qu'avoir un travail rémunéré apportant de quoi vivre constitue la garantie de la force originale de la création. En ce domaine, avant de devenir professionnel, c'est-à-dire de pouvoir vivre de son art, il "convient" d'avoir fait ses preuves.

Mais, je parlais de hasard.

auteur708.jpgOui, alors que mes pensées  concernaient les écrivains rencontrés, je feuilletais chez le libraire l'ouvrage de Jean-Pierre Jossua : "La passion de l'infini", littérature et théologie, nouvelles recherches, Cerf, octobre 2011. Or, avec le service catholique "arts, cultures et foi", nous avons le projet d'un colloque mettant en avant le travail artistique comme reflet (miroir) du monde. Assurément, cette étude sera d'une immense utilité. Et pourquoi ne pas y inviter Jean-Pierre Jossua ? J'en reparlerai.

Écoute '& voir.

 Pour l'instant, je témoigne d'une joie profonde quand j'ai lu dans les pages de ce livre la définition donnée à propos du "Journal". Jean-Pierre Jossua cite Philippe Lejeun :

Journal : "récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa personnalité"  (p. 121)

Et aussi, être aussi vrai que possible : "La sincérité est une sensation, qui détermine un certain ton de la voix, ce qui peut s'associer et s'ajuster (avec ce ton) à la fabrication la plus imaginaire ; et ceci, de "bonne foi" ou de "mauvaise foi", écrit Valéry à propos du journal de Gide. Et l'on sait bien que la "mauvaise foi" peut être ou non consciente" (p. 133).

Raconter sa vie dans un journal pour rencontrer la vie de beaucoup d'autres, les éventuels lecteurs, c'est ce que j'ai expérimenté avec Charles Juliet au cours d'une exposition de ses textes à l'Espace Confluences-Saint-Jean. À cette occasion, j'ai admiré son attention aux gens, les visiteurs, et sa délicate capacité d'écoute.

Le dialogue de l'Église avec les arts doit emprunter ce chemin. Écoute, dialogue arts et foi. Que les croyants en la résurrection –donc les responsables de l'Institution Église,- développent une démarche en terme, écrit J.P. Jossua, "de présence juste, ajustée, dans les cultures contemporaines, par opposition à la perspective de pouvoir, de savoir, de surplomb –héritage de l'ancienne symbiose de la chrétienté et obstination à ne pas accepter la sécularisation de la culture – qui a été et reste assez largement celle des autorités et des milieux ecclésiastiques" (p.11).

Le journal d'une personne donne à entendre et à regarder ce qui se vit dans la vie de tous les jours. Et qui n'est pas foncièrement sincère (même en invoquant des jugements erronés) quand il s'exprime dans le laborieux acte d'écrire ?

Publié dans Témoignage

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