Regard d'une communauté locale sur l'illusion de la croissance

Publié le par Michel Durand

De par leur fidélité à la Parole du Christ, les chrétiens des communautés locales sont amenés à plus de dépouillement et ainsi à passer de l'illusoire à l'essentiel.


apero.jpgApéro après la messe à Marboz

Huit chrétiens, conscients de la force de leur baptême, s'expriment sur leur vision de l'humanité notamment dans leur tâche de délégué pastoral au sein d'une communauté locale. Cela de passe dans le diocèse de Poitiers avec l'évêque Albert Rouet. Le site de cette Église (www.poitiers-catholique.fr) rend compte de tous les débats de ce groupe sous le titre : "l'arbre à palabres".

Les communautés locales ont été mises en place parce que "le regroupement à l'ombre d'un clocher ne correspond plus à la mobilité actuelle, à la vie en réseaux". Cette initiative, écrit Albert Rouet, vise, entre autres, à "permettre aux baptisés confirmés d'exprimer les dons que chacun reçoit de l'Esprit pour le bien de tous : tabler sur la fraternité entre chrétiens et la proximité avec chacun

Dans cette réalité de "gouvernance" d'une église locale, Stéphane Marcireau, professeur de philosophie à Poitiers, 40 ans, témoigne : "L'expérience de délégué pastoral me permet d'avancer que les "verres de l'amitié", dont il ne faut pas être avare, aident vraiment une communauté à se constituer humainement. Non pas que les personnes aient forcément besoin de se désaltérer, mais parce que ces temps incarnent la pause qui permet de se rencontrer, de discuter et de mieux se connaître. Les nécessaires réunions qui jalonnent une année doivent s'imprégner de cette respiration au cours de laquelle les membres d'une communauté peuvent satisfaire les besoins d'appartenance et d'estime. En effet, les membres d'une communauté ne sont pas des rouages destinées à "faire tourner une boutique" et les délégués pastoraux doivent commencer par se soucier du bien-être et de la reconnaissance mutuelle des membres de la communauté".

Dans le troisième ouvrage publié à ce propos,  "vers une Église de confiance", Bayard, janvier 2011, un chapitre est ouvert sur la "croissance". Nous y voyons la réflexion d'une "communauté locale qui vit au cœur des interrogations humaines. Je trouve intéressant, ainsi dans la ligne du travail de "Chrétiens et pic de pétrole", de rendre compte de la finale de leur recherche.

L'article est rédigé par Jean-Yves Meunier, 40 ans, agent d'assurance. Il pose la question de la croissance : un modèle économique désuet et donne quelques éléments de réponse en citant Paul Ariès, "la simplicité volontaire contre le mythe de l'abondance", les empêcheurs de tourner en rond, la Découverte : "Un individu incapable de se donner des limites va nécessairement les chercher  dans le réel ; développements des conduites à risque, toxicomanie, suicide, etc. Une société incapable de se donner des limites va aussi les chercher dans le réel : épuisement des ressources, réchauffement planétaire, explosion des inégalités, etc.".

Une fois accompli ce rapide parcours, il se demande "quelle progression est souhaitable" pour les communautés locales. Je cite (p. 218) :

Le chrétien est sans cesse tiraillé entre "être dans le monde" et ne pas être du monde. Cette situation complexe, mais faussement paradoxale n'invite pas le chrétien à se retirer de la vie terrestre. Bien au contraire, cela incite tout chrétien… à œuvrer ici et maintenant dans un esprit non soumis aux modes de vie, aux préjugés, aux opinions réductrices et dévoyées. Le chrétien est appelé à ne pas idolâtrer les acteurs et les idéologues, mais à les critiquer sous la lumière de la Parole. Voilà pourquoi ceux qui se reconnaissent disciples du Christ doivent intégrer cette exigence de discernement…

De par leur fidélité à la Parole du Christ, les chrétiens des communautés locales sont amenés à plus de dépouillement et ainsi à passer de l'illusoire à l'essentiel. Ce renoncement (ce qui est majoritaire et ancré dans l'imaginaire collectif est difficile à dépasser) est une vertu chrétienne qui n'est pas sans lien avec le stoïcisme et l'épicurisme (bien compris)…

Se contenter de ce que l'on a, c'est renoncer à ce que l'on ne possède pas. Le renoncement a ce pouvoir de court-circuiter l'envie irrésolue, les désirs insatisfaits et les besoins non essentiels. Et donc de contrarier cette croissance sans fin et sans limites… Refus de parcourir des voies sans issue."

(Le renoncement à l'idéal de croissance offre des perspectives nouvelles).

"Concrètement, ce qui est le plus important pour la communauté locale, ce qui devrait être son critère d'évaluation, ce n'est pas le nombre, c'est le lien. Que nous importe au final que l'Église soit pleine le dimanche si rien ne se vit à l'intérieur de la communauté locale. Créer du lien passe en premier point par une vraie convivialité, non pas une simple gaieté de façade, mais le souci de développer les échanges entre les individus, d'accueillir les étrangers en groupe". Et de citer Paul Ariès : "La convivialité comprend donc la question des institutions : sont-elles en mesure d'engendrer des vrais humains ? Par vraiment humains, il faut entendre des personnes, à la fois instituées et autonomes. Une bonne institution ne garantit ni l'entre-soi, ni l'entre-nous, mais l'entre-tous. Elle relève davantage du registre de la fraternité que de la seule solidarité. On choisit, en effet de qui on est solidaire, mais jamais ses frères et sœurs". Cette fraternité trouve son socle chrétien dans la conviction que nous sommes tous fils de Dieu. Au nom de notre Père à tous, nous sommes unis. Cette unité ne se juge pas au nombre, mais à la qualité de l'union…

Il s'agit de se détacher des égoïsmes, des impasses de sa vie antérieure pour entrer dans une vie nouvelle conforme à celle du Sauveur (donc, la connaître par la fréquentation de l'Évangile – se mettre à la suite de Jésus-Christ). Mais ce nouvel attachement ne se fait pas de manière isolée. Chaque chrétien doit pouvoir trouver en son coreligionnaire non seulement un soutien, mais encore un ami sur lequel il peut compter. "Je vous donne un commandement nouveau : vous aimer les uns les autres ; comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. À ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l'amour les uns pour les autres" (Jn 13, 34-35. Ainsi, la progression de la communauté locale devra passer par la cible d'une union conviviale et aimante".

 

Il me semble qu'il importe de compléter ce regard puisé au sein d'une communauté locale propre à l'Église de Poitiers en ajoutant l'importance de l'engagement politique vu dans tous ces niveaux. Il me semble, en effet, que le dernier paragraphe de Stéphane Marcireau invite à une réflexion et action dans le sens du politique. Tout ce qu'il relève de ce devoir. Cela aurait été bien qu'il le précise. Mais dans l'ensemble de l'ouvrage, vers une Église de la confiance, je ne vois pas cette dimension abordée pour elle-même. Serait-ce que, en ce lieu également la question ferait peur ?


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