Prenez et mangez-en tous, ceci est mon corps. Christ se donne plus qu’à regarder

Publié le par Michel Durand

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Lyon basilique N.D. de Fourvière

Pour une reconnaissance de l'Eucharistie dans sa totalité. Marcel Metzger, professeur émérite de l'université de Strasbourg, Faculté de théologie catholique

La présentation du fondateur de la communauté de l'Emmanuel, dans La Croix du 29 mars, rappelait que l'adoration eucharistique est un des « piliers » de ce mouvement. À son sujet, une des personnes interrogées disait qu'à l'époque de la fondation, vers 1972, « ce n'était pas la tendance de l'Église  ». Ce propos m'a surpris. En effet, quand on parle de tendances dans l'Église, en particulier à propos de l'Eucharistie, de quoi s'agit-il ? La pastorale relève-t-elle de tendances, ou d'orientations délibérées ?

En fait, la pastorale des Églises a pour guide les commandements du Christ : « Faites ceci en mémoire de moi » , « Allez dans le monde entier, proclamez l'Évangile à toute la création » , et tous les autres envois en mission. De ces paroles découlent l'organisation du Repas du Seigneur, qui est la réalisation plénière du Ps 22 (« Le Seigneur est mon berger » ), et toute l'évangélisation. Dans sa mise en œuvre des orientations fondamentales reçues du Christ et des apôtres, la pastorale est régulée par la Tradition et par des décisions conciliaires et synodales. Cela a été manifesté de façon évidente par la tenue du concile Vatican II, depuis sa convocation et son organisation jusqu'à l'application de ses décisions, car ce concile a été réuni non pas pour des questions de doctrine, comme la plupart des conciles précédents, mais pour définir les orientations pastorales requises par notre temps. Les « tendances », par contre, sont des courants, plus ou moins vigoureux, souvent nés d'une initiative personnelle, mais pouvant imposer leurs options à des responsables pastoraux. Pourtant, à aucun moment elles n'ont été soumises à une délibération conciliaire ou synodale ; elles cesseraient alors d'être de simples tendances.

Pour la pastorale de l'Eucharistie, les orientations actuelles ont été fixées par le concile Vatican II. Elles sont exposées principalement dans la Constitution sur la Sainte Liturgie , et complétées par des indications inscrites dans la plupart des autres documents conciliaires. Or, ces décisions ont été votées par la quasi-unanimité des évêques, venus de tous les continents. En revanche, dans les textes du Concile, il n'est pas fait mention explicite de l'adoration eucharistique. Certes, celle-ci a fait l'objet, à plusieurs reprises dans l'histoire du deuxième millénaire, de décisions conciliaires ou d'interventions de la hiérarchie ; mais c'était toujours pour la cadrer et la limiter, en en proscrivant les dérives et les excès.

Les enseignements du concile Vatican II sur l'Eucharistie sont nombreux et denses. Ils la reconnaissent comme « le sommet et la source », lui appliquant directement une qualification valant pour l'ensemble de la liturgie (Constitution sur la Sainte Liturgie, n° 10). Le propos le plus explicite à ce sujet se trouve dans le décret Ministère et vie des prêtres, n° 5 : « Les sacrements, ainsi que tous les ministères ecclésiaux et les tâches apostoliques, sont tous liés à l'Eucharistie et ordonnés à elle. Car la Sainte Eucharistie contient tout le trésor spirituel de l'Église, c'est-à-dire le Christ lui-même, lui notre Pâque, lui le pain vivant, lui dont la chair, vivifiée par l'Esprit Saint et vivifiante, donne la vie aux Hommes, les invitant et les conduisant à offrir, en union avec lui, leur propre vie, leur travail, toute la création. » (voir aussi code de droit canonique, can. 897.)

Cette affirmation solennelle a été déployée dans les orientations pastorales du Concile, donnant de nouvelles impulsions aux Églises. Elle a profondément renouvelé la pastorale, en la replaçant dans le dynamisme de l'Eucharistie. Les acquis du Concile, en l'occurrence, sont immenses : revalorisation de l'assemblée liturgique, attention à la Parole de Dieu comme présence actuelle du Christ à ces assemblées, action de l'Esprit Saint dans et par l'Eucharistie, adoration du Père dans la célébration elle-même, par l'Église unie au Christ et dans le souffle de l'Esprit, accueil de la résurrection par la participation au Mystère pascal, envoi en mission pour l'annonce et le partage, sanctification de toute la vie, louange des communautés et des fidèles dans le cours du temps (liturgie des heures).

Mais l'adoration eucharistique, elle, n'est pas inscrite dans les livres liturgiques. Il y est juste fait allusion dans quelques lignes du Missel, pour le soir du Jeudi saint. Elle est statique et s'arrête au Christ. Si on la complète par des éléments copiés de la messe, ce ne sera jamais qu'une pâle copie de la célébration eucharistique elle-même. Aussi, pour reprendre une formule devenue célèbre, le modèle est toujours préférable à la copie. Pourquoi ne songe-t-on pas à déployer pleinement la célébration eucharistique, qui peut « prendre son temps », et même s'étendre sur quatre heures, comme dans certaines liturgies orientales ! Ou intégrer l'Office des Lectures.

L'adoration eucharistique n'a été développée que pour suppléer les déficiences d'époques antérieures, dont la liturgie était inaccessible et dont la théologie de l'Eucharistie était plus apologétique que spirituelle, par sa focalisation sur la présence réelle, ignorant les trésors de la mystagogie. À présent, dans la mouvance du concile Vatican II, la célébration eucharistique est reconnue dans sa valeur irremplaçable comme sommet et source. Dans ces conditions, en édifiant leurs spiritualités, pourquoi les nouveaux mouvements, tendances et autres groupements spirituels ne choisissent-ils pas comme « pilier » la célébration eucharistique plénière, plutôt que la seule adoration eucharistique, un élément annexe plutôt que le centre, source et sommet ?

 

METZGER Marcel

 

La Croix, 30 juillet 2011 

Publié dans Eglise

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