Un « Non » au dogmatisme des croyants comme des athées

Publié le par Michel Durand

Décidemment, Pierre Régnier semble ne pas vouloir écouter ce que lui disent ses « amis chrétiens », ses anciens jocistes des années 50.
J’ai beaucoup hésité à publier dans cette colonne son commentaire et regrette qu’il ne le fasse pas par la voie usuelle des « commentaires ». Pourquoi le publier ? Comme je l’ai déjà dit, parce qu’il reflète l’opinion de beaucoup. Mais là, je dois dire que je trouve ce témoignage athée trop fort en dogmatisme. L’attitude dogmatique de l’athée est tout autant risible que celle du croyant. Pierre a-t-il le sens de l’histoire humaine personnelle ? des incarnations inévitables et des évidentes errances ? La vérité qu’il cherche semble ne pas appartenir à notre monde composé de pesanteurs, mais à un au-delà inexistant. A mon sens, la quête de sens demande plus de réalisme et d’humilité.
J’ai découvert dernièrement un article, bref et bien construit, sur la transmission de l’Ecriture Sainte. Je pense vous le communiquer dans ce blogue. Le poids de l’histoire humaine ne peut être évacué de la compréhension du sens de la création. Il enlève toute tentation de certitude, même celle qui consiste à voir en Dieu un engendreur de crimes.


Voici le texte de Pierre Regnier

« Je suis désolé mais, ayant voulu poursuivre le dialogue "Dieu criminogène ?" je n'ai pu le faire à la suite des textes du 23 juin, mon commentaire m'étant cette fois déclaré trop long. A toutes fins utiles le voici ici :

Comment ne pas blesser ?
Invariablement c'est vers cet autre problème que je suis conduit lorsque je pose celui de la théologie criminogène à mes amis chrétiens : "Mais enfin, Pierre, tu me connais, est-ce que tu me crois vraiment violent ? Est-ce que tu crois que je vais à la messe pour y chercher des raisons de maltraiter ou de tuer mon prochain ?". Un autre détournement - conscient ou pas, je veux bien l'admettre, mais je dois l'exposer ici pour ce qu'il est - consiste, au lieu de réfléchir au problème posé, à rappeler les meilleurs fruits de la religion. "Tu sais bien, me dit-on, que c'est la foi qui conduit des croyants à mener une vie exemplaire, à se sacrifier pour le bien des autres, à devenir des saints".
Ce dernier mot prononcé pourrait nous entraîner très loin, bien des "saints" de l'Eglise ayant eu beaucoup de sang sur les mains, et pas forcément parce qu'ils défendaient la veuve et l'orphelin. Mais je ne conteste nullement l'existence de saints authentiques dans les différentes religions. Je les admire et les respecte, demandant toutefois que l'on reconnaisse que, chez les athées, on trouve aussi bien des vies admirables, tout aussi exemplaires. Je n'ai pas envie de m'étendre ici sur la récupération religieuse, sur cette petite tricherie qui consiste à faire de ces athées "des croyants qui s'ignorent". Tant mieux si la religion, aussi - seulement aussi – conduit des fidèles à répandre dans la société, et à mettre eux-mêmes en pratique le meilleur des vertus humaines. C'est ce meilleur que vont chercher mes amis catholiques à la messe, et plus généralement dans leur église, comme d'autres dans leur temple, leur synagogue ou leur mosquée. Je le sais d'autant mieux que j'y suis allé longtemps avec eux.

Pourtant je le dis tout net : ces amis m'agacent, parfois m'indignent et alors, s'il le faut, je n'hésite pas à les blesser. L'enjeu mérite que l'on passe par là. Je me pose souvent cette question : ces amis particuliers que furent, dans les années cinquante, mes compagnons de la JOC (1), ceux qui voulaient toujours plus de concordance entre les belles paroles de l'évangile et la réalité de l'Eglise, ceux qui mettaient tant d'espoir dans Vatican II, que sont-ils devenus ? Où expriment-ils leurs exigences chrétiennes d'aujourd'hui ? Et s'ils n'en ont pas à exprimer bien que, contrairement à moi, restés chrétiens, dois-je conclure qu'ils sont devenus de pauvres papistes comme les autres, béats devant le savoir faire médiatique du chef, comparable à celui des plus douteux politiciens - et bénéficiant des mêmes complaisances journalistiques - convaincus que ce qu'il y a de plus sacré, dans leur religion, c'est la hiérarchie et l'institution, le respect "de ceux qui savent", les plus authentiques valeurs chrétiennes dussent-elles en périr ?
Car enfin, la conception criminogène de Dieu, ce sont les deux derniers papes qui confirment que c'est la bonne. Et cela en un temps où la violence religieuse effective est quotidiennement présente et partout visible, disposant de moyens plus redoutables que jamais, mettant l'humanité tout entière devant cette angoissante question : comment s'en débarrasser ? Le pape actuel fut, lorsqu'il n'était que le cardinal Ratzinger, responsable de la commission de rédaction du catéchisme aujourd'hui en vigueur. Le pape Jean-Paul II l'a signé et présenté au monde entier. Plusieurs chapitres y confirment explicitement la conception ancienne, traditionnelle, de la parole de Dieu mais le passage numéroté 106 les résume tous : "Dieu a inspiré les auteurs humains des livres sacrés. "En vue de composer ces livres sacrés, Dieu a choisi des hommes auxquels il eut recours dans le plein usage de leurs facultés et de leurs moyens, pour que, Lui-même agissant en eux et par eux, ils missent par écrit, en vrais auteurs, tout ce qui était conforme à son désir, ET CELA SEULEMENT." (c'est moi qui souligne). Alors c'est clair : les très nombreux passages de la Bible qui, selon les cas, font dire à Dieu qu'il commet des crimes (dont certains massacres de populations entières), qu'il commande à ses fidèles de commettre de tels crimes ou qu'il se réjouit quand ceux-ci en prennent l'initiative, ces passages DISENT L'EXACTE VOLONTÉ DE DIEU, tout autant que ceux qui disent "Aimez-vous les uns les autres". Et ce sont les papes Jean-Paul II et Benoît XVI qui nous demandent de les prendre à la lettre. La fameuse "lecture fondamentaliste" des livres saints, contre laquelle on nous met en garde à tout moment, ce sont eux qui nous disent explicitement qu'elle est la bonne.

En septembre 2005, après la 19e rencontre de la Communauté Sant'Egidio j'ai proposé au Figaro une libre opinion (non publiée) titrée "Les prisonniers de SantEgidio". J'y écrivais ceci : "les pacifistes les plus concrets de la communauté Sant’Egidio …/…  n’ont pas pour autant réfléchi au vrai problème, systématiquement évité ou déformé partout depuis que ces vraies causes de la violence ne peuvent plus être efficacement cachées, celui de l’interprétation PAR LES INSTITUTIONS RELIGIEUSES de ces textes. Celles-ci continuent de prétendre qu’il n’y a qu’un problème d’interprétation DE LECTEUR. C’est là que réside la plus manifeste tricherie. C’est très explicitement que des terroristes tuent au nom de Dieu. C’est très explicitement que des textes sacralisés par leur religion font dire à Dieu qu’il commande de tuer. C’est très explicitement que LES PLUS HAUT RESPONSABLES de ces religions maintiennent qu’il s’agit bien là de la parole de Dieu. Il faut donc obtenir d’eux qu’ils CHANGENT leur interprétation de PRÉSENTATEURS ET D'ENSEIGNANTS, DE TRANSMETTEURS, et qu’ils affirment désormais très explicitement le contraire : « quand il y a appel au meurtre dans nos textes sacrés, ÇA N'EST PAS LA PAROLE DE DIEU». Notre époque, qui affronte incontestablement des problèmes de violences nouvelles – par leur forme, leur intensité, leur complexité – a au moins le clair devoir de transmettre aux générations futures – enfin ! – cette radicale réforme."

Puisque, Michel, vous citez le prophète Isaïe, je pourrais ajouter que c'est lui - mais aussi Amos, Jérémie, Ezéchiel, Jésus et bien d'autres - qui demandent aux judéo-chrétiens de rejeter celles des prétendues paroles de Dieu qui leur sont devenues insupportables (2). Ezéchiel, sur la "rétribution personnelle" : "Qu'avez-vous à proférer ce dicton en terre d'Israël : "Les pères mangent du raisin vert, et les dents de leurs fils sont agacées" ? …/… La personne qui pèche c'est elle qui mourra" (Ez 18). Mais nous sommes là sur une mauvaise voie. Vous avouez, Michel, des insuffisances en théologie. Que pourrais-je dire, moi qui ne suis pas prêtre ? Mais cela n'a AUCUNE IMPORTANCE. Ce n'est pas "un scientifique, à la parole crédible" qui "va répondre" car il n'est pas plus compétent que vous et moi face au vrai problème qui nous est posé. Et ce n'est pas non plus par une "approche rationnelle de la Révélation" que l'on trouvera la juste réponse, car ce vrai problème nous est posé à tous, croyants et non-croyants. Libre au chrétien de passer sa vie entière à chercher, en son for intérieur, par quelles "voies impénétrables" Dieu peut conduire au bien en assurant (aussi, par ailleurs…) la promotion du mal; c'est son droit. Ce dont je parle est un simple problème de Droits humains DE TOUS et je demande, puisqu'il concerne et préoccupe tout le monde, qu'on le pose exactement comme on le pose, par exemple, pour un parti politique. Si je suis judéophobe, si je suis raciste, si je crois les femmes inférieures aux hommes, si je méprise les homosexuels, ou d'autres catégories d'individus je ne peux fonder un parti pour promouvoir ces sentiments, fusse en recommandant la lecture de textes anciens qui les affirmaient sains et justifiés. La loi, qui ne tient compte que de la seule raison profane, me l'interdit et c'est heureux. Il n'y aurait AUCUN PROBLÈME si, comme vous le suggérez, Michel, c'était LA RECHERCHE DE LA VÉRITÉ qui était sacrée pour les croyants et si, pour l'église catholique, c'était seulement, comme le dit Edith, "la perception que les hommes ONT EU de Dieu" (c'est moi qui souligne) "au cours des siècles qui peut être criminogène". Mais justement, le dogmatisme, l'intégrisme, le fondamentalisme des dirigeants de toutes les religions les empêche de le dire clairement ainsi SANS DIRE AUSSI LE CONTRAIRE. Ils ONT aussi (croient-ils) à maintenir AUJOURD'UI le dogme du TOUT sacré, le pire comme le meilleur et, quand ils disent la validité du meilleur c'est pour masquer le maintien du pire, dont ils pérennisent par ailleurs aussi la validité.
Je regrette que les pacifistes non-croyants, convaincus que seule la raison profane doive ici être requise pour empêcher les crimes religieux, fassent si peu CONTRE LES BASES de ces crimes, maintenues intactes dans toutes les religions monothéistes. Et je fais tout pour les convaincre d'aller plus loin. Mais bon Dieu ! c'est surtout à ceux qui croient en Dieu de combattre l'officiel maintien de la conception criminogène, car le monde entier cherche, lui, les moyens de retirer aux croyants qui tuent, leurs raisons de le faire, la simple honnêteté obligeant à constater que bon nombre d'entre eux les ont bien acquises au sein de leur religion. J'ose dire brutalement que, si les croyants ne mènent pas ce combat, alors il est normal, il est juste, il est SAIN que les pacifistes agnostiques ou athées les considèrent comme complices des tricheurs dogmatiques. Toutes proportions gardées, bien sûr, et chacun à son juste niveau, mais DE PLUS EN PLUS complices.

(1) Voir l'article "Violences religieuses" où Michel Durand, en présentant mon premier texte, me présentait aussi.
(2) Rappel d'une parole de Dieu authentique - si j'en crois le catéchisme - incluse dans les Dix commandements mais qu'on oublie toujours de citer, et qui dit la curieuse conception de la justice de celui qui l'exprime "car moi, Yahvé, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, châtiant la faute des pères sur les fils, sur la troisième et sur la quatrième génération pour ceux qui me haïssent" (Ex. 20,5)

Pierre Régnier, 29 juin 2007


Il me reste à inviter Pierre à plus de sérénité dans sa non foi au Ressuscité avec moins de dogmatisme. A cet effet, je pense ne plus transcrire ses textes.

Publié dans Bible

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