Laïcisme d’Etat et sacramentalisme d’Eglise conduisent à une privatisation de la démarche chrétienne.

Publié le par Michel Durand

Depuis plusieurs mois, années… des tensions existent entre la Municipalité et l’Eglise à propos d’un édifice, l’église du Bon Pasteur (1er arrondissement) pour laquelle j’ai des projets alliant culte et culture dans le domaine des arts vivants : créations artistiques scéniques.

bonpasteurlyon.jpgCette église a été prêtée à l’école des Beaux Arts dans les années 80. Quand cette institution municipale a quitté les lieux, elle ne nous a pas informés et aucun état des lieux ne fut fait. Aussi, suite à des squats (personne ne surveillant les locaux et des clés provenant vraisemblablement des Beaux Arts continuant à être utilisées), il y eut de nombreuses dégradations, notamment dans l’installation électrique. Vues les dégradations actuelles, je ne peux décemment recevoir du public même pour une lecture d’Evangile, encore moins pour une création musicale supportant cette annonce biblique au milieu d’un « peuple » limité à 50 personnes à cause des issues de secours bloquées. Il faudrait que la municipalité fasse le minimum en déblayant ce qui reste des Beaux Arts et en évacuant les diverses dégradations. Des bénévoles sont disposés à faire le reste.

Nous sommes venus voir les lieux en visite officielle. J’ai rappelé que s’il ne paraissait pas opportun de réhabiliter un lieu de culte eucharistique hebdomadaire pour le quartier qui en comporte déjà deux, il serait bien, par contre, d’imaginer avec l’aide de professionnels du spectacle une alliance culte, culture. Mettre ce lieu au service de la création artistique avec un projet en accord avec l’Eglise.

Mais voilà que la loi du 9 décembre 1905 prévoit « une affectation exclusivement cultuelle de l’édifice, à peine de désaffectation ».

D’où ma réflexion et l’invitation que je vous adresse à y participer. Voir à la fin du document la présentation du projet pour le Bon Pasteur – Lyon.

 

Suite à la rencontre d’hier (lundi 10 mai) au Bon Pasteur, je souhaite vous partager quelques réflexions afin  d’affiner l’échange concernant la rencontre du droit civil et du droit canonique.

Sur une paroisse et dans une église paroissiale, le curé n’agit jamais seul. Des chrétiens conscients de la dimension sacerdotale de leur baptême apportent leurs pierres avec le charisme qui leur est propre. Pasteur, le curé n’accepte pas tout ce qui se présente sans discernement, mais opte pour telle ou telle action en fonction d’une ligne pastorale cohérente.

L’acte cultuel que les fidèles du Christ accomplissent, en présence ou en absence de prêtre, ne peut qu’être imprégné de « cultures ». C’est ce qui me fait dire qu’il ne saurait y avoir de culte sans culture et que, dans tous les arts, la participation d’artistes professionnels est un avantage pour la mission de l’Eglise. Dans sa fonction pastorale, le curé est dans son droit quand il choisit de collaborer avec des artistes plutôt que d’autres. Le discernement passe par la rédaction d’un cahier des charges et la libre acceptation de celui-ci par les personnes concernées.

J’entends dire tantôt dans des milieux municipaux, tantôt à l’intérieur de lieux d’Eglise, qu’il n’est pas possible de produire un spectacle dans un espace affecté au culte catholique parce que, disent les premiers, le culturel n’a pas sans place dans un lieu affecté au culte*, alors que les seconds affirment : ce n’est que culturel, donc cela ne peut pas se tenir dans un sanctuaire qui ne doit pas être foulé par le profane. L’une et l’autre position, anthropologiquement argumentée, confine le rôle du curé à l’intérieur de sa sacristie. Laïcisme des uns et sacramentalisme des autres obtiennent le même résultat, à savoir, la réduction de l’expression religieuse dans la sphère du privée intime.

L’homme est un tout. Vouloir séparer sacré et profane, culte et culture est une illusion. Dans sa mission, le fidèle du Christ, le prêtre à sa suite, s’adresse à tout l’homme.

La convention signée avec le directeur de la Compagnie Perceval entre dans cette traditionnelle dynamique. En effet, si au milieu du XXe siècle, les curés travaillaient au sein de patronage, avec salle de théâtre, salle de cinéma, terrain de sports et des créateurs compétents, au XVIIe, ils passaient des commandes d’oratorio, de messes, de nocturnes… où les créateurs avaient une réelle liberté malgré les contraintes.

Compétitions artistiques, multiplicités des interventions, expressions artistiques diverses se trouvent au service de l’Annonce de l’Evangile. En ce sens, un spectacle vivant de qualité concourt à l’élaboration du culte.

Plusieurs phrases de la convention signée avec la Compagnie Perceval l’indique :

Dans l’introduction : … pour la mise à disposition et la gestion de l’église du Bon Pasteur  … au profit de la Compagnie Perceval, il importe qu’en soient précisées les conditions, sachant que ce lieu demeure consacré au culte.

§ 1… Bien que la compagnie Perceval soit prioritaire, cette occupation et cette utilisation ne doivent présenter aucun caractère d’exclusivité en sa faveur. … En accord avec la Compagnie Perceval, les espaces seront donc prêtés à d’autres structures, sur présentation du responsable de la Paroisse Saint Polycarpe ou sur invitation de la compagnie Perceval elle-même. Cet accueil se fera sous forme résidentielle et fera l’objet d’une convention signée entre la Paroisse Saint Polycarpe et la structure invitée

§ 3 Cette occupation est à titre précaire et révocable à tout moment. Après accord avec la Compagnie Perceval, la Paroisse pourra, sans signature de convention, y célébrer un culte au moment où elle le souhaite et même exiger la reprise des lieux à titre temporaire dans le cadre d’une manifestation exceptionnelle ou à titre définitif sans qu’il soit possible pour la Compagnie Perceval de s’y opposer et de demander une indemnité.

Pour terminer je précise la question : Quel droit empêcherait un curé de définir un accord avec un paroissien désireux de mettre son art au service du Christ tout en travaillant au service de sa propre compagnie ?

11 mai 2010

 

* « l’affectation au culte interdit à l’affectataire d’organiser des activités non cultuelles dans l’édifice, à peine de désaffectation de ce dernier » (lettre du 13 mars 2009).

 

 

Proposition pastorale pour l’église du Bon Pasteur (23 janvier 2010).

Cette réflexion émane des rencontres autour du Bon Pasteur qui sont survenues à la suite du problème posé par la pose d’Antennes de téléphonie mobile.

Le bâtiment, de droit affecté au culte catholique, est totalement vide depuis sa non-utilisation par l’École des Beaux Arts de Lyon. Comment peut-on défendre une affectation alors que l’on n’utilise pas l’espace concerné ?

Il est certain que l’action pastorale propre à la paroisse Saint-Polycarpe des pentes de la croix-rousse n’a pas besoin de cette église. La demande de désaffectation de l’église Saint-Bernard fut provoquée par les mêmes raisons de pastorale paroissiale.

Par contre, la densité de la réalité artistique des pentes de la Croix-Rousse invite à réfléchir sur une utilisation possible de ce lieu dans le cadre de la création artistique musicale, scénique, les arts plastiques demeurant concentrés sur Saint-Polycarpe dont les activités cultuelles et pastorales occupent le tiers de l’espace.

Il s’agit alors de développer une présence chrétienne qui s’adresse à toute l’agglomération où seraient intimement unis art et spiritualité, culture et culte. L’église du Bon Pasteur est suffisamment vaste pour que l’on puisse organiser en ses murs des salles de répétition et une salle de spectacle ou concert tout en maintenant la présence du culte. Afin de me faire comprendre, je choisis un exemple pour le futur, inspiré des nocturnes de Charpentier.

Au XVIIe siècle des commandes étaient passées aux musiciens pendant la semaine sainte. Pensons aux « Sept dernières paroles du Christ » (Haydn, XVIIIe s). Lecture d’une parole, homélie du prêtre, méditation silencieuse et musicale. Bien sûr, il ne s’agit pas de reproduire la musique baroque qui a aujourd’hui de nombreux adeptes, mais de favoriser la création contemporaine, musique d’aujourd’hui encore dite actuelle pour éviter les problèmes que contient le mot « contemporain » dans tous les domaines artistiques.

Le projet est donc celui d’un centre artistique contemporain : un centre d’art sacré contemporain (CASC), ou actuel (CASA).

Dans l’immédiat, je reçois une demande formulée par un metteur en scène, Pierre Heitz, de la compagnie Perceval. M. Heitz est paroissien actif à St Polycarpe des pentes de la croix rousse. Il envisage en un premier temps d’animer les lieux en y travaillant pour ses répétitions théâtrales. Il envisage en ma présence, avec d’autres membres de la communauté, une lecture de la Parole au sein d’une liturgie dont le but premier, au début du printemps, serait de donner vie à ce bâtiment fortement malmené par diverses occupations sauvages. Ce serait un acte cultuel rendant au bâtiment sa destination sacrée dans l’orientation de l’Église chrétienne. Bien sûr la musique sera présente (Héroan Loiret) pour lier parole et méditation. Nous aurons ainsi la marque qu’il n’y a pas de culte sans culture.

Cette initiative s’inscrit dans le court terme. Et pour la mettre en œuvre il suffit que la Mairie (Les Beaux Arts) nous rende les locaux en état de fonctionnement, au moins le déblaiement des scories et autres détritus laissés par l’école et la bonne marche de l’électricité, comme, du reste, le stipule les conventions signées par mes prédécesseurs avec le directeur de l’école des Beaux Arts. Une opération de propreté fut prévue par le Maire du premier arrondissement, Nathalie Perrin avec Nathalie Planas, Mission des Pentes. Mais il semblerait que les crédits ne soient pas accordés par la Mairie centrale. Cette opération de nettoyage, à laquelle des habitants du quartier acceptent de se joindre bénévolement, aurait dû se faire en novembre 2009. Nous l’espérons dans le mois à venir.

Actuellement, il me semble que rien ne se fera si l’Église ne fait pas entendre son désir que soient respectés les accords qui furent signés. Je souhaite donc que l’évêque de Lyon se détermine sur ce projet en indiquant, si tel est le cas, qu’il le soutient et qu’il demande que soient données les conditions effectives pour le réaliser.

Au moyen et long terme, est à étudier le projet d’une ouverture du bâtiment pour recevoir plus de 50 personnes. Dans ce cas, il s’agit de réviser ou refaire toute l’installation électrique pour la mettre aux normes actuellement en vigueur, de rendre accessible les entrées et sorties de secours, d’aménager les espaces pour qu’il puisse recevoir du public, tant pour les concerts que pour les réunions de culte.

L’église du Bon Pasteur, avec son architecture néo-romane, ses vitraux de Lucien Bégule, ses statues monumentales méritent de recevoir des visiteurs guidés par une présentation pédagogique du patrimoine apportant les clés bibliques et ecclésiales pour une bonne compréhension de l’iconographie. Le sanctuaire est à repenser dans le sens des liturgies selon le concile Vatican II. Tout étant à faire, nous pouvons facilement imaginer une heureuse harmonie entre ce qui est nécessaire à l’expression culturelle et à l’acte cultuel contemporain. Le lieu pourrait alors s’associer à diverses nuits sonores, nuits blanches ou autres manifestations artistiques urbaines de qualité où le défi serait de révéler la dimension spirituelle de la création artistique contemporaine.

Ce projet unissant dans la durée culte et culture a déjà été imaginé. M. Thierry Martinez, habitant près du Bon Pasteur est à même d’établir une étude chiffrée. D’autres habitants du quartier peuvent également participer à l’élaboration du concept. Nous connaissons, par exemple, des architectes pouvant apporter un avis autorisé et des scénographes ou professionnels du spectacle pour nous guider dans les choix.

Il va sans dire que cette perspective s’inscrit dans le long terme et qu’il ne suffit pas d’en établir la faisabilité. En  effet, le fonctionnement d’un tel espace nécessite du personnel qualifié qu’il est sans aucun doute bon de prévoir dès maintenant en vue de sa formation. Aux compétences techniques pour la gestion d’un lieu ouvert à tous : choix d’évènements, communication… doit être joint une compétence théologique et ecclésiale pour que soient en permanence imbriquées les dimensions cultuelles et artistiques du projet.

La rédaction de cette double page dépend du contexte propre aux quartiers dits les pentes de la Croix Rousse. Il va sans dire qu’une pastorale auprès des artistes dans le cadre du monde du spectacle peut s’imaginer avec d’autres lieux.

Le service de L’Église catholique « arts, cultures et foi » pose de diverses façons la question d’une présence réelle dans ce milieu pour répondre aux attentes spirituelles qui s’y expriment et pour œuvrer avec les ressources que proposent les artistes à l’Évangélisation de notre contemporanéité. Il demeure disposé à étudier un tel projet s’il devait se concrétiser ailleurs que sur la paroisse Saint-Polycarpe des pentes de la croix rousse. En ce qui concerne le Bon Pasteur, les tensions avec la Ville de Lyon, les habitants du quartier sont telles, qu’il n’est plus possible de continuer à parler de l’affectation au culte de cette église sans avoir un projet précis d’occupation.

 

Publié dans Anthropologie

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