Combien de personnes souffrent de la confiscation du 'pouvoir' que des prêtres exercent plus à la manière des chefs des nations

Publié le par Michel Durand

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Rembrandt Saint Paul en captivité 1627 à Stuttgart

 

J’adresse particulièrement ce billet aux « pierres vivantes » de l’Église du Christ à Saint-Polycarpe des pentes de la Croix-Rousse en nous invitant cette Semaine-Sainte à lire la lettre de Paul aux Éphésiens.

Nous sommes l’Église par notre baptême et nous avons reçu mission d’annoncer à toute l’humanité le don qui nous fut accordé. Les offices du jeudi, du vendredi, du samedi saint et du dimanche de Pâque reprendront cette méditation.

Construire l’Église en tant que Pierres vivantes, n’est-ce pas le témoignage que les fidèles du Christ de Saint-Polycarpe ont offert à  la grande Assemblée du dimanche des Rameaux. La préparation fut tellement grande que tous les actes, même les improvisés, furent signifiants. Ceux et celles qui ont pris la parole, chanté, jouer d’un instrument de musique en furent les signes évidents. Témoignage, sacrement, mystère, signe posé spontanément qui montre le désir, en Église, de mettre en œuvre le souhait de Dieu ;: une humanité fraternelle aimante.

Ainsi, l’Église, qui est plus qu’une ONG humanitaire, offre par l’œuvre de chacun de ses membres le mystère du don de Dieu pour qu’en Christ soit efficacement vécu l’Amour.

Voici, ci-dessous, la méditation de Roland Letournel, prêtre du Prado, sur la lettre de Paul aux Éphésiens.

 

RLetournel_20090701_02.jpgL'EGLISE, A LA LUMIERE DE LA LETTRE AUX EPHESIENS

 


«La plus belle œuvre du monde» (P. Chevrier)

 «Dans la fondation de l'Eglise, la plus grande œuvre du Tout-puissant, la plus belle œuvre du monde, Notre Seigneur n'emploie aucun moyen extérieur, il prend un homme auquel il communique sa vie, son esprit, il en choisit douze qu'il forme à la vie évangélique ... » (VD 222).

L'Eglise ! " Le terme, est souvent employé avec les sens trop juridiques et trop restreints qu'on lui donnait à l'époque du P. Chevrier ; quelquefois il désigne seulement la hiérarchie... " (Note du P. Berthelon, (VD 540). Qui peut dire qu'aujourd'hui le mot Eglise n'est pas entendu par beaucoup avec de pareilles restrictions ?

Le Père Chevrier n'en est que plus admirable quand il qualifie l'Eglise comme " la plus belle œuvre du monde, la plus grande œuvre du Tout-puissant " ! Aurait-il parlé ainsi s'il n'avait étudié et contemplé, avec toute la foi et l'amour dont il a été capable, en vue de la faire connaître aux pauvres, " la richesse insondable de Jésus Christ " ? "0 Verbe! 0 Christ! Que vous êtes beau! Que vous êtes grand ... "

Être d'authentiques 'disciples missionnaires en Eglise' (Aparecida) a toujours été une rude épreuve. L'épreuve se double de nos jours de défis d'ampleur jusqu'alors inconnue comme l'insensibilité à la question de Dieu, et non plus seulement la contestation de l'Eglise dans ses imperfections et ses prétentions...

Travailler en Eglise oblige à une vision de l'Eglise qui ne soit pas qu'utilitaire, voire résignée ! La Lettre aux Ephésiens donne envie non seulement d'entrer plus avant dans la contemplation qu'elle propose, mais d'inviter les apôtres d'aujourd'hui à entrer dans la stimulante espérance qu'elle dégage (Ep 1,18)... La plus belle œuvre du monde ! S'il en est bien ainsi, comment les passionnés de Jésus Christ ne redoubleraient-ils pas de dynamisme dans l'Esprit Saint pour " faire connaître, avec franc-parler, le mystère de l'Evangile ? " (6,19).

1. " La plus grande œuvre du Tout-Puissant " Eglise mystère ...

L'Eglise dans sa réalité plénière, déjà révélée, mais à peine entrevue dans la foi.

 

La Lettre aux Ephésiens fait apparaître l'Eglise comme le projet de Dieu totalement abouti (1, 11 ; 3, 11), prototype de l'homme achevé à la taille du Christ dans sa plénitude (4,13), l'homme nouveau (2,15). Révélation du mystère tenu caché depuis toujours en lui le créateur de l'univers, l'Eglise, sagesse multiple de Dieu (3,9-10), nous est dès maintenant donnée à voir comme l'aboutissement de son " dessein bienveillant " :

Récapitulation et accomplissement de la création toute entière par le Christ Jésus et en lui (1,9-10) ; lieu de réconciliation où tous les murs de séparation sont renversés (2,16). La réussite est totale, et cette réussite, c'est l'Eglise ! " Le Christ tout entier ", disait Saint Augustin.

Toute la création, et toute l'humanité donc, est déjà parvenue à ses fins. Elle n'est pas arrivée pour autant à sa fin, bien sûr. Les deux sens du mot fin indiquent bien ces deux phases d'une même réalité : la finalité, réalisation ultime et le point final d'un processus.

Une comparaison dans le domaine sportif rend bien compte de cette distinction. Le vainqueur d'un championnat peut être connu avant même que toutes les équipes aient fini de jouer... Mais la connaissance du résultat d'ensemble n'enlève pas l'intérêt des matchs encore à jouer. Les dés ne sont pas pipés.

La victoire du Crucifié-Ressuscité et ses effets pour l'homme et l'univers entier sont définitivement acquis. Mais ici la comparaison sportive devient trop courte. Elle ne peut rendre compte de l'originalité d'une telle réussite ! Ce n'est pas un succès qui n'appartiendrait qu'à lui. Il le tient de son Père et pour tous ses frères. Tout être humain qui aura dit oui au salut offert participera pleinement à la vie et au bonheur en Dieu, selon la mesure dont chacun sera capable sans doute. Premier-né d'entre les morts, le Christ assure le Passage de tous et de la création tout entière. Ce 'dessein bienveillant de Dieu', son projet absolument gratuit et d'un amour sans mesure (2,4; 3,19), son désir et sa volonté (1,9) de faire participer tous les hommes à son bonheur ainsi que la totalité du monde visible et invisible, tout a été déjà acquis et le demeurera éternellement. Sa réalisation plénière est et sera assurée par le Christ et en lui. Son Esprit nous en donne les arrhes et ces premiers dons suffisent à orienter et conforter notre marche, personnelle et communautaire.

Cette totalité, cette 'Plénitude' prend pour nom Eglise (ce mot plénitude, plérôme qu'affectionne Ephésiens). Eglise déjà perçue comme parfaitement réalisée. Pourquoi ? Parce qu'elle est 'Corps du Christ'. Réalité, plénitude, qui cependant se présente à nos yeux, encore trop myopes pour la saisir clairement, sous le terme de 'mystère'... L'Eglise dans le sens où l'emploie Ephésiens est comme le 'réceptacle' de cette humanité totalement réalisée. C'est le Christ total, l'Homme nouveau tel qu'il est déjà en Christ, tel qu'il sera pour tous. Corps du Christ donc, selon l'image privilégiée par saint Paul. Peuple de Dieu (même si Ephésiens emploie peu ce terme, peut-être parce qu'il risquerait de ne désigner qu'Israël, se comprenant comme le peuple de Dieu). Mais ce nouveau peuple de Dieu est devenu le peuple composé de la multitude des peuples. Et il ne peut être nommé tel que parce que le Christ a sapé à sa base tout mur de séparation et de haine, qui dès lors ne peut que finir par s'écrouler. Cette Eglise présente dans les réalités humaines permet donc à toutes les nations d'avoir accès auprès du Père (2,18), puisque les païens sont admis au même héritage, membres du même corps, associés à la même promesse, en Jésus Christ, par le moyen de l'Evangile (3,6).

Tout nous est donc donné de la réalisation plénière de l'Eglise. Donné et paradoxalement donné à faire ! Au terme nous parviendrons, tous ensemble, à ne faire plus qu'un dans la foi et la connaissance du Fils de Dieu, et à constituer l'Homme parfait, dans la plénitude de l'âge, qui réalise la plénitude du Christ (Ep 4,13). Mais c'est un terme qui reste à venir à notre regard humain.

L'Eglise prend alors son second sens : l'Eglise dans son cheminement historique concret. Là encore Ephésiens nous en brosse un tableau 'édifiant', au sens littéral du mot, c'est-à-dire constructif, qui encourage à édifier l'Eglise, à travailler à sa croissance, de sorte que la construction avance vers Celui qui en est 'la pièce maîtresse' (2,20) et s'ajuste à Lui, en ajustant les constructeurs les uns aux autres.

C'est une croissance qui ne peut se vivre en vérité que 'dans l'amour', 'la vérité dans l'amour', l'insistance est forte (4,15-16). Tous et chacun sont appelés à devenir membres actifs de ce corps qui a besoin de tous ses membres pour parvenir à l’état d'adultes' (4,13), littéralement: 'd'homme achevé', 'à la taille du Christ dans sa plénitude'.

 

Mais difficile réception du terme Eglise chez nos contemporains

 

La Lettre aux Ephésiens développe une magnifique conception de l'Eglise. Mais avouons que ce n'est pas l'image que nous avons spontanément en tête quand nous prononçons le mot Eglise... Encore moins la manière dont la plupart des gens en parlent! Pour avancer dans une foi lucide et un travail apostolique déterminé, on ne peut sans s'illusionner, faire l'impasse sur la réalité actuelle de 'l'Eglise'...

Sans oublier les ambigüités d'une telle vision de l'Église et les dangers qui la guettent, " car, à côté du risque de l'enthousiasme et de l'eschatologie déjà réalisée, on ne peut oublier que la lettre aux Éphésiens a parfois donné naissance à une lecture de type politique : (Dans) la chrétienté devenue majoritaire et triomphaliste... l'ère constantinienne a vu l'Eglise se tromper de Seigneur : l'empereur au lieu du Crucifié, le Serviteur souffrant." Bien conscients de la réception difficile du terme Eglise chez nos contemporains, nous connaissons aussi les divergences toujours actuelles entre chrétiens à son sujet pour avancer dans le dialogue œcuménique .

Il parait d'autant plus important de travailler à progresser dans la connaissance du mystère de Dieu déployé dans l'Eglise Il nous faut en effet avoir bien en tête, et dans le cœur et la volonté, une telle vision de foi pour vivre l'Eglise au plus concret de notre travail quotidien de disciple et d'apôtre, 'comme la réalisation du projet de Dieu' et se passionner pour sa 'croissance' ! Sinon, nous serons toujours tentés de 'durer' par résignation, crispation... ou 'fidélité' béate, quand ce n'est pas 'conquérante'. Autant de contrefaçons aussi bien de l'espérance que d'une nécessaire analyse des situations.

Il n'est pas sans importance de nous rappeler que la Lettre aux Ephésiens est rédigée alors que la réalité ecclésiale est toute neuve, en genèse. Trente ans à peine ! N'existaient encore que des communautés locales restreintes, aussi porteuses qu'elles soient d'universel. "Merveilleuse utopie", d'une certaine manière. "Image d'une plénitude impossible", mais nécessaire pour mettre sur le chemin de tous les possibles de Dieu... Déjà la situation des premiers chrétiens d'Asie, en grande partie d'origine païenne et non plus seulement juive, "obligeait" Paul et ses collaborateurs à élargir et traduire leur compréhension du Christ. A longueur d'histoire, les faits démentiront la réalisation de 'l'utopie' : Israël et l'Eglise, juifs et arabes, chrétiens divisés, et tous les murs qui à peine tombés se reconstruisent ailleurs. "Mais le phare est solidement planté. Il révèle la consistance et la force de la présence du Christ qui a vaincu par sa croix et son exaltation, toutes les puissances qui dominent le monde" (M. Bouttier).

Une telle vision de l'Eglise comme ‘prototype' de l'humanité réconciliée et de toute la création transfigurée (Ep 1,22-23; 2,20-23) peut nourrir et stimuler aujourd'hui l'audace missionnaire des disciples du Christ. C'est le crucifié-ressuscité qui nous présente le 'dessein bienveillant' de Dieu, le Projet qu'il lui a confié : il nous le donne comme prototype, comme modèle à mettre en œuvre avec sa force et la lumière de son Esprit. Pour que la Construction, le Corps tout entier, "réalise sa propre croissance dans l'amour" (4,16).

C'est en contemplant ce magnifique projet que nous trouverons toute l'ardeur voulue pour le transformer en 'programme', pour l'actualiser, l'adapter à chaque époque de l'histoire des hommes et de notre Eglise !

Nous y trouverons encore plus de goût et courage pour 'étudier' Jésus Christ dans l'infinie richesse de ce qu'il nous révèle de Dieu et de nous jusque dans les détails des Ecritures dont la lecture se renouvelle et s'affine sans cesse. Malgré ses limites théologiques, le langage du Père Chevrier lui-même tellement il est imprégné de l'Evangile, devient évocateur :

"C'est avec lui qu'il faut bâtir, c'est pour lui qu'il faut édifier… Entrez vous-mêmes dans la structure de cet édifice comme étant des pierres vivantes" (VD 103). Une relecture des Titres de Jésus Christ en ce sens trouve une nouvelle saveur. VD 100-105. "Il est notre chef’’ cite trois fois Ep 5,23 et 4,15 ; 'Il est notre modèle', 'le fondement de toutes choses' Ep 2,19; 'la racine' Ep 4,15 ; 'le centre vers lequel tout doit converger' reprend longuement Ep 1,1 et 2,14 ; 'le fondement inébranlable' : 'Jésus Christ et l'Eglise'... (Cf. VD 511).

Le regard sur "la fin vers laquelle tout doit aboutir" oriente et dynamise "nos travaux, nos actions et toute notre vie" (VD 105). Alors à l'époque où nous sommes, la voie se dégage pour actualiser et développer les orientations du Concile Vatican II, en particulier sur l'Eglise sacrement, signe et moyen du Salut pour le monde. Sans doute faudrait-il aborder d'abord quelques questions autour du mot 'mystère' cher à la Lettre aux Ephésiens, mais difficile à entendre aujourd'hui; repréciser des mots-clés et leur articulation. Ainsi: Mystère appliqué à l'Eglise, Royaume, Evangile.

2. L'espérance que vous donne son appel» Eglise sacrement ...

L'Eglise dans sa réalisation au cours de l'histoire toujours en pleine construction

 

Dessein réalisé en Jésus Christ, révélé à l'apôtre, déployé dans l'Eglise création de la grâce, cette même Eglise devient l'instrument de cette grâce sans limite. Vatican II l'a rappelé : à proprement parler on ne construit pas le Royaume de Dieu, pas plus que l 'Homme nouveau, ni la Plénitude du Christ. Cela nous est donné. Il s'agit de l'accueillir. On 'entre' dans le Royaume', selon les termes des évangiles. On 'parvient' à la Plénitude ; on 'revêt' l'homme nouveau. Tout nous est donné à faire d'une certaine manière.

Pour que tous puissent connaître ce mystère, accueillir ce don, y avoir accès dès maintenant, les moyens sont nécessaires. Corps du Christ, Temple de l'Esprit, Famille de Dieu, Peuple de peuples : C'est cette réalité aux images multiples, que nous sommes chargés de bâtir, de faire grandir comme un signe qui indique le Chemin et fournit les moyens d'accès à la réalité ultime.

On ne peut faire fi du malentendu persistant évoqué plus haut, en employant le terme Eglise sans plus de précautions, tant ce langage paraît "exculturé". Le mot Eglise est inaudible pour beaucoup de nos contemporains, sauf quand les positions émises sont perçues comme tranchantes, mais alors elles suscitent de nouvelles et profondes incompréhensions... Et pourtant, même déroutantes, les attentes sont là ! On ne peut se préoccuper de l'annonce sans se soucier de sa réception. Cette plongée la Lettre aux Ephésiens me conduit, pour ma part, à travailler quelques pistes :

 

Vivre la foi sous le mode de l'espérance

 

Comment avancer les yeux ouverts, soignant aussi bien la vision latérale que la vision lointaine ? Les deux directions opposées qui caractérisent notre époque, rejets et attentes, nous conduisent, sans aucun doute, à une 'nouvelle évangélisation' . En donnant bien toute sa portée au mot 'nouveau', pas seulement son sens de 'renouveau'. Les Actes des Apôtres avaient déjà bien diagnostiqué les deux processus de 'conversion' qui s'offrent aux bénéficiaires de l'Evangile. Pour les juifs, il s'agit de 'revenir' à Dieu dont ils se sont détournés en méconnaissant Jésus et en le condamnant (13,27). Pour les païens, ce n'est pas un retour, c'est une • venue' vers Dieu (14,15-16 ; 15,19).

La réalité du monde d'aujourd'hui est complexe. Les constats douloureux autant que les nouvelles donnes, encourageantes mais fragiles, suffisent à disqualifier toute tentative de prétendre dire le Projet de Dieu en surplombant la société. "Nous n'aurons pas de parole unique", disait déjà Paul VI... pour offrir l'Heureuse Nouvelle à des 'aréopages' aussi différents, complétait Jean-Paul II. Il se trouve, et ce n'est pas un des moindres encouragements pour les apôtres d'aujourd'hui, que l'artisan le plus convaincu de la radicale et indépassable nouveauté de l'Evangile, l'apôtre Paul, comptait d'abord parmi ses détracteurs les plus virulents ! C'est pourtant bien lui que le crucifié-ressuscité a choisi comme "serviteur et témoin" de ce Jésus que l'Eglise naissante lui a fait découvrir. Paul a compris mieux que quiconque que 'Dieu n'a pas besoin de défenseurs, mais de témoins'.

Il n'a pas découvert d'emblée la 'plénitude' de l'Eglise. S'il en a eu la 'révélation' à un titre exceptionnel, il l'a aussi découverte en la vivant et l'annonçant dans le monde où il était envoyé. La Lettre aux Ephésiens nous en livre l'expression la plus aboutie qu'elle soit de Paul lui-même ou d'un des continuateurs de son œuvre. Elle reprend, reformule les apports essentiels de l'apôtre en fonction de circonstances nouvelles, d'autres courants de la foi issus des premiers temps du christianisme, pour les transmettre aux générations futures...

"La grâce que Dieu m'a accordée pour réaliser son plan à votre intention" (3,2): Ephésiens accumule les termes pour montrer comment la mission de l'Eglise se déploie dans le temps et l'histoire. C'est 'grâce à l'Eglise‘, 'par le moyen de l'Eglise'(3,1O) que le Plan de Dieu, que le mystère du Christ peut être connu. Paul a une vive conscience d'avoir été choisi comme 'ministre' (3,7) de cet Evangile, comme un 'instrument de choix' (Ac 9,15), témoin engagé. Aussi exceptionnels que soient sa vocation et l'envoi qu'elle comporte, il se situe bien avec et parmi les autres apôtres et prophètes (3,7 ; 4,11). C'est par eux et avec tous les 'saints' (tous les baptisés) que l'Eglise fait signe et donne aux croyants les moyens nécessaires pour vivre du Christ. Les moyens de la mission, ce sont d'abord des personnes. Ces personnes, qualifiées de ministres, sont des 'dons' faits aux hommes pour que l'Evangile leur parvienne. "Ce n'est pas le livre qui instruit, mais le prêtre... il en prend un, douze... ") (VD 222).

Les signes que nous donnons ont beau être pauvres, fragiles et ils le sont, ils n'en sont que plus signifiants selon la logique de l'Evangile : c'est l'expérience même que Paul traduit si bien lors de l'évangélisation de Corinthe... Aujourd'hui, les signes que nous sommes sont souvent bien quelconques, et même hélas très défectueux.

Les membres de l'Eglise sont aussi limités et pécheurs que le reste des hommes, ni plus ni moins et tout compte fait peut-être plutôt moins ! La direction peut cependant être indiquée sans ambigüité. Même si une boussole est inesthétique ou cabossée, maculée, l'aiguille peut toujours indiquer le nord, pourvu qu'elle ne reste pas bloquée trop longtemps.

En ce qui concerne l'Eglise, ce n'est pas de l'optimisme que de dire cela. C'est tout simplement et plus profondément le résultat d'un acte de foi. C'est de l'espérance l'état pur. La foi vécue sous le mode de l'espérance. L'Eglise a beau être défigurée, déstabilisée, le crucifié-ressuscité est toujours là pour maintenir le cap. Il nous l'a promis. Et nous croyons qu'il tient parole. Certes, il ne paye pas pour autant les bêtises ! (A. Chevrier). Mais si les membres de l'Eglise ont souci de témoigner d'un Dieu qui les sauve eux les premiers, alors ils pourront devenir crédibles. "Nous ne venons pas comme des justes parmi les pécheurs, comme des gens qui ont conquis des diplômes parmi des gens incultes. Nous venons parler d'un Père commun, connu des uns, ignoré des autres; comme des pardonnés, non comme des innocents ; comme des gens qui ont la chance d'être appelés à croire, de recevoir la foi, mais de la recevoir comme un bien qui n'est pas de nous, qui est déposé en nous pour le monde : de cela découle une façon d'être"

Qu'est-ce qui nous motive vraiment, prioritairement ? Faire connaître Jésus Christ le plus largement possible à tous les hommes, en commençant par les laissés pour compte et les éternels oubliés, pour qu'ils participent en membres actifs à la vie que l'Eglise manifeste ? Et vraiment tout faire pour cela... Ou bien avoir tellement souci de l'Eglise comme instrument du salut que nous restons bloqués sur le moyen plus que sur la fin ?

 

Des moyens et des hommes pour faire signe

 

Le Ressuscité donne à l'ensemble de l'Eglise, et à chacun, les responsabilités et les charismes nécessaires pour être signe et moyen du salut, l'Eglise sacrement (G.S 1). Le terme n'est pas explicitement dans le langage de l'apôtre, mais Ephésiens ne sépare pas les deux mouvements : l'Eglise est réalisation plénière du projet de Dieu déjà acquise et instrument, sacrement du salut pour le monde. La diversité comme l'unité, que Paul met en valeur (Ep 4,16), procèdent du même don gracieux de Dieu. Mais la 'coresponsabilité' qu'induit ce don n'est-elle pas encore trop souvent perçue comme un remède à nos insuffisances, pénuries et autres limites ?

Jean XXIII a eu ce 'coup de génie' de réunir un Concile parce que l'Eglise avait et a de plus en plus besoin de tous pour réaliser sa mission dans ce monde que Dieu aime. Redemptoris Missio (n° 6 et 7) traite des acteurs de la mission et de la nécessaire coopération. Benoît XVI y insiste le 7 mars 2010 :

"Il est nécessaire que les mentalités changent à l'égard des laïcs, que l'on cesse de les considérer comme collaborateurs du prêtre pour les reconnaître réellement coresponsables de l'être et de l'agir de l'Eglise". Nous sommes vraiment en situation pour vivre et inviter à vivre cette coresponsabilité dans nos tâches de pasteurs, dans les différents services, communautés, mouvements que nous accompagnons. Les orientations de nos Eglises locales continuent à travailler dans ce sens. Parfois trop timidement...

Les tendances actuelles mettent en avant les grands rassemblements. C'est heureux et la démarche correspond bien à notre époque. Faire cela sans omettre l'importance des 'institutions' (terme un tantinet provocateur) car elles sont incontournables pour 'instituer' précisément des nouveaux chrétiens de façon durable... Deux accents méritent d'être travaillés aujourd'hui ; ils semblent bien correspondre au 'besoin de l'époque et de l'Eglise' : une haute estime des missions confiées et une mise en œuvre plus déterminée de la 'coresponsabilité différentiée'.

 

Une haute estime de la mission confiée

 

En Ep 3,2-13, l'auteur met sous la plume de Paul la haute estime qui était la sienne de la grâce que Dieu lui a accordée pour réaliser la mission du Christ en faveur des païens. Paul avait une conscience aigüe de l'originalité de son appel et de son ministère, tout en le situant en deux mots parmi les autres ministères, celui des apôtres et prophètes. La profondeur de sa découverte lui a donné une grande hauteur de vue missionnaire.

Ep 3,5.18, et plus largement le début du chapitre 4, montrent combien Paul prend en considération 'tous les saints' donnés par le Seigneur pour 'bâtir le corps du Christ'. N'y a-t-il pas urgence, et pas seulement en France sans doute, à entrer dans une telle hauteur et largeur de vue pour examiner notre manière d'être et d'agir en coresponsables de la mission ? En cultivant l'estime d'abord ! Le plus grand amour inclut l'estime. Dans un travail commun, l'amour ne peut se contenter du respect de l'autre - ce qui n'est déjà pas mal! Mais il nous incite à un regard plus ample: non seulement sur ce qu'il est, mais sur le rôle, la responsabilité, la mission qu'il ou elle a reçue du Seigneur, différemment de moi, mais aussi bien que moi! Cela n'oblige pas à toujours se ranger aux points de vue de l'autre, encore moins à ses méthodes, si on ne les partage pas 'raison pour raison, j'aime autant la mienne que la vôtre', disait le P. Chevrier avec son humour lyonnais - mais la confrontation et le travail à faire ensemble peuvent alors se vivre dans un tout autre esprit... Estime de ceux auxquels nous sommes envoyés; de celles et ceux avec qui nous exerçons la mission ; une haute estime aussi de la mission elle-même car c'est la mission du Seigneur lui-même à laquelle il nous associe. Jésus n'a cessé de montrer à ses disciples toute l'estime qu'il porte aux petits, à la veuve pauvre, à la foule et même à ses détracteurs... Saint Paul est exigeant avec ses collaborateurs, mais quelles merveilles d'estime il est capable d'exprimer ! (1 Co 16, 10-24 ; Rm 16 ... ).

 

Une mise en oeuvre déterminée de la 'coresponsabilité différentiée'

 

La mission est : "Accordez votre vie à l'appel que vous avez reçu". L'exhortation s'adresse aux baptisés afin qu'ils soient réellement en état d'accomplir le ministère pour bâtir le corps du Christ, grâce à l'activité convergente des ministères. L'appel à l'unité se fait insistant: "Accordez votre vie à un même appel ... " Appel à tous donc. Appel à chacun aussi et à certains de manière particulière. Au cœur de cet appel à l'unité, Ephésiens donne le fondement de la diversité des ministères : l'initiative du Seigneur lui-même (Ep 4,1-16) .

Donnée à la mesure de chacun (v.7), elle pourra se réfracter en divers dons pour que s'accomplisse le ministère - comme le prisme ou de l'arc-en-ciel détaillent la richesse d'une seule et même lumière blanche. L'accent est sur l'unité en vue de l'annonce de l'Evangile. C'est sur ce don gracieux, cette unité fondamentale que pourra s'établir la nécessaire diversification des ministères, au contenu davantage explicité en 1 Co 12 et Rm 12,3-8.

Artisans du 'monde à venir' (1,21), un véritable travail de laboratoire, d'élaboration nous est confié au cœur même de l'action. En étant supporters les uns des autres (Ep 4,2)... Plus notre travail est limité dans le temps et l'espace, plus il sera dynamisé si nous le situons dans l'ensemble de la mission de l'Eglise. N'est-ce pas d'abord un acte de foi ? Invitation pressante à relire ainsi notre responsabilité sous cet angle de la 'coresponsabilité différentiée'. A soigner le regard que nous portons sur la situation actuelle de l'Eglise que nous servons...

Concrètement : maîtres ou serviteurs ? Certes, notre Eglise n'est plus au centre de la société, ni en surplomb comme si elle n'avait qu'à donner des directives pour être suivie. Mais il y a tellement d'autres moyens de garder la mainmise sur les instances dont nous sommes partie prenante. Combien de personnes, des laïcs en responsabilité, des religieuses aussi, souffrent de la confiscation du 'pouvoir' que des prêtres exercent plus à la manière des chefs des nations (Lc 22,25-26) qu'en serviteurs. Pour vous, rien de tel, poursuit Jésus... En clair aujourd'hui, accordons-nous vraiment attention à l'appel de l'Eglise à vivre dans cet esprit la coresponsabilité, la collégialité ? Quoi qu'il nous en coûte de paraître perdre quelque chose de notre identité de prêtre, de curé, d'aumônier, de LEM ... Mais, (Ph 2,6-7) faisant foi, Jésus n'a pas craint en s'abaissant de perdre son identité ! Et Paul n'a rien perdu de l'autorité que lui avait promise le ressuscité sur le chemin de Damas ... en acceptant de "tout perdre", en renonçant "au prestige de la parole", en ayant souci de vivre l'évangélisation en équipe d'une part, et d'autre part de mettre en place des responsables et des animateurs diversifiés ...

 

"La mission en est encore à ses débuts", écrivait Jean-Paul II (RM 1; 40), en nous faisant voir "les horizons immenses de la mission ad gentes" (33-34). Participer ensemble, dans la confiance et le partage des tâches, à une même construction, une vraie joie chez celles et ceux qui en font sincèrement l'expérience! Les constructeurs ne font pas que poser des pierres, mettre les autres à l'action. Ils s'inscrivent eux-mêmes comme pierres vivantes ... Vous entrerez par votre plénitude dans toute la plénitude de Dieu (3,19; 4,13) ; le 'terme' en effet, ce n'est pas seulement l'achèvement d'une construction, c’est aussi l’accomplissement des cosnructeurs. En lui vous vous construisez ensemble (Ep 2,22). Sans cette perception renouvelée du but à atteindre, nous aurions toujours l'impression de ne faire qu'un travail ingrat, en simples exécutants, disciplinés - ou indisciplinés d'ailleurs ! Conscients, comme Paul de nos fragilités, nous apprécierons toujours mieux la joie d'avoir été choisis, chacun et ensemble, pour travailler à un Projet d'une ampleur insoupçonnée (Ep 3,7-12) !

 

Roland Letoumel (Coutances, France)

Publié dans Eglise

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