Il m’est venu l’idée de l’interroger sur sa vie, sur ses choix, sur la genèse de ses engagements, sur la manière dont il voit le rôle de l’Église

Publié le par Michel Durand

Goulven JEZEQUEL

Goulven JEZEQUEL

Il y eut hier la présentation de l'ouvrage de Goulven dans une salle de la maison paroissiale Saint-Maurice à Lyon. Goulven a rédigé ce qui suit pour présenter ce travail (notre travail) notamment à quelques médias. 

 

Michel Durand, un prêtre au travail pour le XXIe siècle

 

     J’ai rencontré Michel Durand au début des années 2010, alors qu’il animait une séance du groupe « Chrétiens et pic de pétrole » qu’il avait constitué à Lyon. Je me rappelle l’avoir entendu s’exclamer, sur un ton assez provocateur : « L’Église ne peut trouver un sursaut que si elle s’approprie les penseurs écolos d’extrême-gauche ! » Il pensait probablement aux œuvres de Jacques Ellul ou d’Ivan Illich, des auteurs qu’il méditait lui-même depuis les années 1970. Cette exclamation m’avait marquée, car j’ai assez largement perdu l’habitude et l’envie à la messe, je suis plutôt un chrétien sinon intermittent, du moins en marge de l’Église, en tout cas dans l’interrogation : la parole de Michel m’avait touché par l’ouverture qu’elle suggérait.

     À la suite de cette rencontre marquante, j’ai eu bien d’autres occasions de côtoyer Michel Durand, notamment dans les manifestions contre les lois de régression sociale qui se sont succédé depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Nous avons également souvent échangé sur l’accueil des réfugiés, une cause pour laquelle il s’est beaucoup engagé depuis plusieurs décennies, d’une part en hébergeant chez lui beaucoup d’étrangers sans-papiers, d’autre part en fondant les « cercles de silence » lyonnais, lesquels se conçoivent comme une protestation, aussi muette qu’obstinée, à l’institutionnalisation des politiques de refoulement et d’exclusion. J’ai fait la connaissance de Michel dans les dernières années où il était en charge de la paroisse des Pentes de la Croix-Rousse, à un moment où s’achevait, d’une manière qui m’apparaissait tout à fait flamboyante, sa “carrière” active de prêtre diocésain. J’ignorais tout, cependant, du parcours qui avait pu être le sien avant son arrivée à la Croix-Rousse.

     Lorsque le coronavirus a déferlé, Michel a eu une alerte cardiaque qui m’a subitement fait prendre conscience qu’il pouvait disparaître du jour au lendemain, en dépit de son énergie et de son activisme. Il m’est alors venu l’idée de l’interroger sur sa vie, sur ses choix, sur la genèse de ses engagements, sur la manière dont il voit le rôle de l’Église dans le monde explosif d’aujourd’hui et dont il l’envisage dans celui de demain. J’ai exprimé dans le même temps la velléité, si le témoignage en valait la chandelle, de le mettre en forme pour le faire connaître plus largement. Dans un premier temps, Michel a accueilli ma demande avec circonspection, il doutait que ce qu’il aurait à dire sur son existence de prêtre puisse intéresser le public. Néanmoins, il a accepté de se confier, ce qu’il me disait me passionnait, je le lui ai dit, ce qui l’a encouragé à continuer de parler. Nous nous sommes pris au jeu. Nous nous sommes entretenus pendant une quinzaine d’heures, Michel a exhumé des écrits et des lettres qui gisaient (ou attendaient leur heure !) dans des caisses au fond de sa cave. Puis, avec la complicité de Christian Delorme qui a écrit une préface et de l’écrivaine Sophie Divry qui, en tant qu’ancienne paroissienne de Michel, a rédigé une postface, nous avons préparé un livre qui vient de paraître aux éditions Karthala : Michel Durand, un prêtre engagé entre fidélité et insoumission.

     La première partie de ce livre retrace, à la première personne du singulier, les grandes étapes de la prêtrise de Michel : le choix de cette voie, contre l’avis parental ; l’affiliation au Prado, guidée par la volonté de vivre d’une manière simple et au contact des plus modestes ; la formation à Rome au moment du concile Vatican II ; le choc représenté par la découverte de la Côte d’Ivoire à l’occasion de deux années de coopération ; la découverte en porte-à-faux de la condition de prêtre diocésain dans une paroisse du Creusot totalement modelée par le paternalisme de la dynastie Schneider ; la rupture fracassante avec le clergé creusotin et avec son évêque ; l’arrivée à Lyon et l’expérience du travail en intérim au contact des ouvriers et des petits employés ; l’expérience de l’animation en aumônerie étudiante ; la prise de conscience progressive des limites du productivisme ; le développement de l’engagement politique, en lien autant avec les milieux antinucléaires qu’avec les associations d’accueil des étrangers ; la mise en place d’un espace d’exposition d’art sacré contemporain ouvert aux croyants comme aux non-croyants, aux Lyonnais comme aux touristes de passage ; la douleur représentée par la fermeture de cet espace artistique à la suite d’un oukase de l’archevêché ; et toutes les initiatives sociales et écologistes auxquelles nous avons déjà fait allusion… Le récit du riche parcours de Michel ne manquera pas d’attirer l’attention des lecteurs lyonnais, mais il intéressera au-delà, car il illustre la persistance d’un christianisme que, faute de mieux, nous qualifierons « de gauche », à l’heure où la tradition du catholicisme social est battue en brèche par la droitisation, quand ce n’est pas l’extrême-droitisation, galopante du clergé.

     La seconde partie de l’ouvrage se présente comme un dialogue, Michel esquissant des réponses aux questions que je lui pose sur ses références théologiques et politiques, sur sa manière d’organiser l’espace liturgique, sur sa conception des rapports entre les clercs et les laïcs, sur sa vision des relations entre les prêtres et les évêques, sur l’avenir de l’Église, sur la place qu’y occupent (ou plutôt que devraient y occuper) les femmes, sur la sexualité, sur le célibat des prêtres, sur la mort… Nos entretiens n’esquivent pas les sujets difficiles du moment, puisqu’ils abordent notamment les scandales de pédo-criminalité ou encore les débats autour de la « fin de vie ». Au fil de ces pages se fait entendre la parole d’un homme libre, parfois très critique à l’égard de l’institution qui est pourtant la sienne, d’un homme dont l’indépendance d’esprit a dû composer avec l’intransigeance de plusieurs évêques.

     Le livre comporte enfin une bibliographie de Michel, car il n’a cessé de se cultiver, d’écrire, de s’adresser à ses contemporains – il tient notamment un blog, « En manque d’Église », depuis 2007. Les annexes offrent également un texte inédit de 1978 rédigé après la mobilisation de Creys-Malville, ainsi que des lettres reçues par Michel, ou envoyées par lui, au moment de son départ du Creusot : autant de pièces qui illustrent très concrètement les rapports entre les paroissiens et le clergé, ou entre un prêtre et sa hiérarchie.

     Puisse ce livre apporter des éclairages à celles et ceux qui se questionnement sur l’Église, et sur les manières de l’ouvrir aux problèmes les plus brûlants du monde d’aujourd’hui !

 

Goulven Jézéquel

 

Michel Durand, un prêtre engagé entre fidélité et insoumission,

Paris, Éditions Karthala, avril 2024, 267 pages, 25 euros

Il m’est venu l’idée de l’interroger sur sa vie, sur ses choix, sur la genèse de ses engagements, sur la manière dont il voit le rôle de l’Église
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