Pourquoi valoriser le repos ?

Publié le par Michel Durand

Pourquoi tendre à diminuer l'importance du travail ?

Pourquoi penser à une désabsolutisation des tâches laborieuses rémunérées ?

Est-ce là, la justification d'une paresse personnelle ou la tentative de répondre à une question contemporaine, question importante, propre aux autres et à moi-même?

Il peut y avoir des deux dans ma réflexion comme dans celle de tous ceux qui réfléchissent dans ce sens. Intuition, perception et transcription d'un air du temps que nous respirons après les Américains du Nord. Sur la route, avec les « routards », au boulot, avec un travail de manœuvre obtenu par une agence d'emplois intérimaires, dans les revues remarquables par le fait qu'elles sont plus qu'à gauche, on entend parler de la nécessité de ne pas trop travailler : « Les gens de chez nous travaillent trop ; ils n'ont pas le temps de vivre ». « Oui, je suis ingénieur chimiste, mais çà ne me dit rien de polluer l'atmosphère. Je réfléchis. Je voyage... on verra après ». « Si seulement, il était possible de ne travailler qu'à mi-temps, çà serait plus facile de faire ce boulot à la con ». « Pourquoi être salarié ? » etc… Autant de phrases qui montrent que pour certains, des jeunes surtout, le travail revêt la forme d'un mythe devant lequel il n'est pas nécessaire de se plier. Tuons le travail abrutissant dans la mesure où il nous empêche de vivre ! Refusons-le.

Je vois la tête effrayée des « braves » qui ont travaillé toute leur vie, qui ont gagné leur pain à la sueur de leur front, pour leurs enfants, comme on dit, et qui ne comprennent pas que le travail soit ainsi mis en procès par leur progéniture. Le travail, c'est la santé !

Qui a tort ? Qui a raison ?

Y a-t-il vraiment de très nombreux siècles que, dans une famille, on est mineur de père en fils ? Faire autre chose serait une honte. Pourquoi ? « Faut bien travailler comme ton père, qui va te nourrir sans ça ! »

Oui, avant, c'était la famine. Le travail de tous nous a permis d'en sortir. C'est bien, c'est heureux. Mais maintenant, faut-il encore en rester à cette appréciation morale portée sur le travail : « t'a pas honte de pas travailler ? » Dans une société où le travail est roi, que signifie la volonté de s'occuper des « marginaux » sinon de les éduquer, les rééduquer à un travail régulier, salarié pour qu'ils soient comme tout le monde ? Se caser, ne plus être routard… être récupéré… Comment ? … en commençant par travailler… Le monde industriel n'offre pas d'autres choix. Et, s'il n'y avait pas que la vérité du travail ? Je ne sais pas, je pose la question. Je reprends les questions que toute une tranche de la population jeune se pose à propos des valeurs traditionnelles de rendement, d'efficacité, de sérieux… pour me demander, avec eux, si l'absolu-travail de notre société laborieuse n'occulte pas de valeurs plus hautes encore telle que l'amour, la paix, la fraternité, la contemplation.

Certes, le travail sert à l'épanouissement des hommes ; mais, attention, pas n'importe quel travail. Or, aujourd'hui, avec la mécanisation, quand on a pas la chance d'avoir des diplômes de haut niveau, est-ce que ce n'est pas n'importe quoi qui est proposé comme emploi ?

De-ci de-là, dans les ouvrages techniques, sociologiques, philosophiques, nous découvrons des études sur le travail. G. Freidmann, F. Perroux, R. Garaudy, A. Glucksmann, I Illich, J. Rousselet, J.M. Domenach, A. Touraine, etc… ont traité tant des aliénations que des libérations par le travail. Je n'ai pas trouvé de synthèse, de réflexion complète permettant d'entrevoir une alternative au « ras-le-bol » d'un travail démuni de sens pour l'individu attelé à sa tâche. Galbraith offre peut-être une ouverture qui mérite une certaine attention. C'est à étudier et à prouver dans le concret. Notre système économique et politique le permettrait-il ?

Me revoilà avec une foule de questions auxquelles seule une équipe pourrait tenter de répondre avec succès. Leurs réponses s'articuleraient facilement, je suppose, sur le vieux schème biblique. Bon en-soi, le travail complète la création. Il est l'épanouissement et du cosmos et des hommes. Ceux-ci sont maîtres et rois de l'univers. L'activité humaine est comme une collaboration avec le Créateur pour lequel, dans un acte d'action de grâce, les travailleurs savent abandonner la créature. Seulement, à cause de la vanité, du péché d'orgueil, le travail est entré dans le cadre de la domination de l'homme par l'homme dont il est devenu un (ou) le moyen.

Oui, il serait vraiment utile d'arriver à faire le point sur le travail et sur le repos pour se donner une vision réaliste, - peut-être en travaillant soi-même - de ce que souffrent aujourd'hui les contestataires d'un travail absolutisé, sacralisé, travail bien souvent privé de signification à cause de son « émiettement » (multiplicité des tâches parcellaires) ceci autant à la chaîne de l'usine qu'à celle du bureau. Est-il possible de voir dans l'activité laborieuse autre chose « qu'une nécessité pour gagner son pain », c'est-à-dire un moyen par lequel l'homme développe ses ressources profondes ? Quelles en seraient les conditions ? Comment les obtenir, les mettre en œuvre ? La relativisation du travail au bénéfice de la contemplation ne s'avère-t-elle pas salutaire ?

Si j'en avais la possibilité, au sein d'une équipe, j'aimerais conduire à son terme un tel « questionnement ». Déjà plusieurs projets d'étude me sont passé par l'esprit. Le dernier en date, celui que j'ai retenu après divers dialogues, ne partirait pas de la lecture d'ouvrages en sciences humaines. Il ne semble pas que les recherches, dans le sens que je trace, soient très nombreuses ou complètes. Je partirais plutôt de ce qui est déjà expérimenté ; ainsi, j'accomplirais une sorte de sondage auprès des personnes qui, par leur vie de tous les jours, désabsolutisent le travail. Ce que j'entrevois serait donc un ancrage sociologique sur lequel se grefferait une réflexion théologique.

Je m'explique davantage.

Le travail est mis en procès par des gens qui trouvent que, absolutisé comme il est, il empêche de vivre. Le titre de ma recherche pourrait donc être : « du non-travail pour vivre » ou encore « du travail relativisé », ou « du travail redimensionné ».

Mais, quels sont ces gens ?

Des communautaires, urbains ou ruraux, qui, par leur mise en commun des biens, tentent de trouver une alternative au salariat. Des communautaires qui veulent limiter le temps de travail afin d'avoir du temps pour prier, méditer, vivre fraternellement en suivant les préceptes de l'Évangile ou d'une autre religion (généralement d'Extrême-Orient). Des individuels qui pensent que ça ne sert à rien de trop travailler quand on n'a plus le temps de profiter du fruit du travail.

Voilà, ce sont toutes ces personnes qui, selon les règles de la sociologie, devraient être interrogées. On chercherait, par enquêtes, à dégager quel est leur profil humain, leur personnalité. Quelle place prend, dans leur vie, l'activité salariée, la tâche libre et gratuite. y a-t-il chez eux, une vie de recherche intellectuelle et spirituelle ? Quelle place est donnée à la famille, aux enfants, à la communauté ? Quelle part de générosité y rencontre-t-on ?

Pour s'assurer d'une certaine objectivité, il serait bon de voir, également, les regroupements de travail de type coopératif. Pourquoi se met-on en coopérative ? Quel est le rôle premier d'une Mutuelle ? D'où proviennent les multiples gauchissements de l'esprit coopératif ?

Les syndicats ne devraient pas non plus passer à côté de notre regard. Qu'est-ce qui détermine, par exemple, les réticences de la C.G.T. vis-à-vis de la « croissance zéro »? Pourquoi, à l'intérieur de la C.F.D.T., un courant semble plus ouvert à la perspective d'une remise en question du travail ?

Enfin, si cette étude sociologique voit une fin heureuse, je suppose qu'il sera possible de voir assez clairement les motifs qui font que le travail est ainsi mis au banc des accusés. Il sera alors temps d'envisager la question de la répercussion de la mise en procès du travail sur l'Absolu. Est-ce que la contestation d’une vie de « dingues » au boulot, n'accompagnerait pas, comme le dit Clavel, le retour du Refoulé survenu en mai 1968 ? Si oui, n'est-ce pas de bonne augure ? Le travail ainsi désabsolutisé, Dieu reprendrait toute la place qui lui est due. L'activité laborieuse serait alors remise dans sa légitime relation avec le Tout-Autre, le Créateur qui ne cesse de nous maintenir dans l'être.

Je pourrais aussi me demander si cette recherche de paix, de repos, de fraternité, d'amour, de gratuité, n'est pas plus en accord avec l'Évangile et la tradition de l'Église que la volonté de rendement, d'efficacité, de progrès.

Des conséquences pastorales découleront tout naturellement d'une telle étude. Je suppose qu'il serait bon de les esquisser. Du reste, ne sont-elles pas déjà présentes dans les pages qui précèdent ?

 


Publié dans Il y a 30 années...

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