Rester discret apparaît comme une lâcheté alors que la violence politique croît dans la perspective de servir des intérêts particuliers

Publié le par Michel Durand

Rester discret apparaît comme une lâcheté alors que la violence politique croît dans la perspective de servir des intérêts particuliers

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Dans la liste des échanges par courriel, il faut ajouter celui de Pierre Lathuillère parvenu hier soir. Après l’avoir lu, je me dis : « et maintenant on fait quoi ? »

Vais-je être le spectateur de réalités irrespectueuses de la dignité de tout homme ? Si je constate que la conscience et l’agir de mon voisin pose problème, vais-je observer un silence respectueux de ses choix dangereux pour le bien commun ? De plus, si ce voisin est un frère chrétien, ne vais-je pas tenter de le rencontrer pour une « correction fraternelle » selon l’Évangile ? Quand les avis de l’Église, présentés d’une façon trop générale, ne sont pas perçus, n’est-il pas de mon devoir de les reprendre afin de les concrétiser dans une situation précise ? Donc : « mettre les points sur les i ». Parlons des migrants. L’État détruit leurs abris précaires au lieu de les assainir. Quand des communautés chrétiennes des quartiers collaborent à ces destructions, les cadres de l’Église ne doivent-ils pas dire la vérité de l’accueil et du respect de l’étranger, tout en prenant les moyens de supplier aux problèmes ? La prise en compte positive de la laïcité demande à ma conscience chrétienne d’agir dans une action de suppléance tout en signifiant publiquement que nous comblons une carence de l’État.

Je partage l’avis de Pierre Lathuillère quand il dit que « que nous avons manqué le moment où nous aurions dû protester : c’est quand des hommes ou des femmes politiques s’emparent de l’étiquette de « chrétien », c’est quand des évêques font pression avec la foule et gagnent ainsi le terrain politique. »

Mais n’est-ce pas en permanence que ces situations se produisent ? N’y a-t-il pas structurellement des arrangements politiques entre l’Église et la société civile ? Une politique de « tasse de thé » dans les salons de la préfecture ou de la mairie ! Parlons encore des migrants. Quelques-uns reçoivent des permis de séjour et un logement alors que la question de l’accueil devrait se régler pour tous et que personne ne devrait être rejeté à la rue. C’est ce qui se passe quand un squat est évacué sans aucun suivi des familles rejetées. Là, je me demande pourquoi, au moins les cadres de l’Église ne sont pas aux côtés des démunis. Certes, le souci des personnes en difficulté devrait commencer à la base des communautés. Mais quand celles-ci et les associations adéquates n’y arrivent pas à cause de l’agissement de l’État (je pense aux engagements du Secours Catholique à Calais), les évêques ne doivent-ils pas interpeler les consciences en se mettant aux côtés des marginalisés ? Il est question de vivre la fraternité, base incontournable pour pouvoir en parler.

 

Merci à nos évêques

Sans doute à contre-courant de ce que je lis sous la plume de nombre de mes amis, je voudrais dire un grand merci à nos évêques pour ne pas nous avoir donné de consigne de vote à l’occasion de ces élections présidentielles.

Cela veut dire que notre épiscopat manifeste deux aspects essentiels liés à la foi et à la pratique chrétiennes : « Rendre à César ce qui est à César et rendre à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt. 22, 21) et « La dignité de l’homme exige […] de lui qu’il agisse selon un choix conscient et libre, mû et déterminé par une conviction personnelle et non sous le seul effet de poussées instinctives ou d’une contrainte extérieure. » (Gaudium et Spes, § 17).

Je ne confonds pas le choix de nos évêques avec une démission devant la situation de notre pays, car ils se sont prononcés à deux reprises bien avant le commencement officiel de la campagne présidentielle sur les éléments à prendre en compte.

Ce n’est pas un choix facile, car souvent on attend de nos évêques (et du pape !) qu’ils viennent – juste le temps d’une élection, bien sûr - canoniser nos prises de positions. Il est rare que l’on attende d’eux le silence total, si ce n’est dans un refus du religieux contraire à la laïcité. Ce n’est pas la première fois que l’épiscopat agit ainsi, mais la prise en compte positive de la laïcité implique cette distance avec l’instance politique.

Ce n’est pas un choix facile, parce que les évêques ne sauraient se désintéresser du devenir de notre société, de notre pays et plus largement du monde. Rester discret peut alors paraître comme une lâcheté alors que la violence politique semble croître, mais certains n’attendent que cela car ils veulent transformer la politique en cause religieuse pour lui donner un maximum d’engagement affectif et donc encourager une violence dont ils pensent qu’elle servira leurs intérêts. Le magazine  La Vie du 13 avril dernier nous livre (p.29) les propos d’un moine de Mar Moussa en Syrie. Il compare son dilemme avec celui des moines de Tibhirine : « Pour moi, la tentation n’a pas été celle de la peur de la persécution, mais plutôt celle du choix entre Dieu et la violence. Chaque jour, j’ai renouvelé la promesse de mon baptême pour ne pas entrer en guerre contre quelqu’un. Si nous sommes restés [ici en Syrie], c’est pour les autres, pas contre… » De même, je pense que ce choix des évêques voit plus loin qu’une signature sur une pétition, qu’une entrée dans un rapport de forces, qu’une crainte de division plus grande encore dans notre Église.

J’estime que nous avons manqué le moment où nous aurions dû protester : c’est quand des hommes ou des femmes politiques s’emparent de l’étiquette de « chrétien », c’est quand des évêques font pression avec la foule et gagnent ainsi le terrain politique. Là nous devons refuser, protester, récuser, car c’est Dieu que l’on veut ainsi coller sur son drapeau et enrôler dans un combat – aussi légitime soit-il de notre point de vue. Car, liberté est donnée à chacun d’avoir ses positions, mais, comme serviteurs dans l’Église, la responsabilité d’une communauté nous impose des contraintes, elle doit nous engager dans une autre direction : il s’agit de permettre aux différences existantes dans nos communautés de venir à la parole dans un échange vrai et fraternel. C’est cela qui manque le plus à nos communautés surtout quand les échanges sont réduits au minimum et recouverts par des piétés ou des incantations à la fraternité ou pire encore par des rappels au règlement.

Si les prises de position de ministres de mon Église (ou des autres Églises) peuvent aider à un débat, pourquoi pas ? Mais où sera le relais ? dans les médias ? Les médias sont plus cléricaux que nous, mais ils ont à prouver qu’ils apportent plus que les religieux la paix et la vérité. Alors nos échanges se résument pour eux à des divisions. Des sacristains se disputent à Bethléem ? on a droit à une séquence au 20 h pour illustrer le dogme de la violence des religions. Le pape se rend à Lund pour célébrer la réconciliation en cours depuis des décennies avec nos frères protestants, silence, car cela contredit le dogme médiatique. N’attendons donc rien des médias qui n’arrivent qu’à provoquer des effets contraires : « s’ils nous disent de voter ainsi, votons à l’inverse ». On conviendra que ce n’est pas encore la totale liberté de conscience, ni l’autonomie absolue de pensée, mais c’est une crise de sortie de l’attitude infantile : dites-nous ce qu’il faut penser pour que nous ayons une possibilité de nous opposer !

Si les médias nous ignorent, aujourd’hui nous pouvons aller sur internet, sur les réseaux si redoutés des médias, sur les forums de journaux. Nous y rencontrerons la haine ordinaire de l’Eglise, mais nous pourrons y faire face sans violence et faire entendre ce qui nous aide à penser notre situation en nous rendant plus libres, plus humains, plus chrétiens.

Reprenons ce que nos évêques ont vraiment dit : que cela devienne dans nos communautés une base pour un échange fraternel où chacun parle le plus possible à partir de lui-même, de sa situation, de son histoire, de son ressenti ; que cette distance prise avec « les poussées instinctives » permette un discernement fructueux, respectueux de l’isoloir de notre conscience. Apprenons-nous tous ensemble la liberté chrétienne. Et n’essayons pas de forcer la conscience de qui que ce soit, fusse-t-il évêque !

Bien sûr, ne soyons pas naïfs : dans une vidéo récente, l’évêque de Toulon vient lui aussi d’inviter au discernement et, trouvant sans doute les critères récents de ses frères évêques pas assez de son goût, il s’appuie sur un texte obscur composé en 2002 dans les couloirs de la curie romaine à une époque où - le pape Jean-Paul II étant très malade  – les tradis pouvaient manipuler la plupart des instances romaines. Mgr Rey peut ainsi, en s’appuyant sur ce texte, donner des critères plus détachés de la situation française et plus proches de sa position politique. (cf. http://www.libertepolitique.com/Actualite/Videos/Mgr-Rey-le-7-mai-c-est-a-vous-de-choisir-!)

C’est là un signe que notre Église doit encore mûrir dans la pratique du dialogue : comme le disait le jeune pape Paul VI : « [Notre dialogue] aura égard aux lenteurs de la maturation psychologique et historique et saura attendre l'heure ou Dieu le rendra efficace. Ce n'est pas à dire que notre dialogue remettra à demain ce qu'il peut faire aujourd'hui ; il doit avoir l'anxiété de l'heure opportune et le sens de la valeur du temps. Aujourd'hui, c'est-à-dire chaque jour, il doit recommencer ; et de notre part, sans attendre nos interlocuteurs. » (Ecclesiam suam § 64)

Pierre Lathuilière,
Prêtre du diocèse de Lyon. Le 3 mai 2017

 

Publié dans Eglise, Politique, évangile

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