La conférence épiscopale de France va-t-elle s’exprimer face au danger que comporte le Front National ?
Marc Stenger, évêque de Troyes, s’est exprimé.
Également Pascal Winzter, archevêque de Poitiers
La campagne électorale pour l’élection d’un président(e) suscite beaucoup d’émotion. L’Eglise catholique ne peut cacher le fait qu’elle n’est pas unie dans sa promotion d’un art de vivre solidaire qui ne mette pas en avant le profit économique. Alors que l’Evangile nous y invite, il n’y a pas unanimité pour interroger radicalement le libéralisme économique, source du libéralisme sociétal. Cela, je l’ai dit maintes fois. Donc je passe à autre chose.
Ce que je souhaite dire aujourd’hui c’est que, à propos des élections, les multiples prises de paroles de certains chrétiens, dont des prêtres, montrent les voies d’une orientation pastorale. Celle de la proximité, du vivre avec, de la révision de vie chère à l’action catholique, etc.… afin de discerner dans le vécu quotidien la présence (ou l’absence) du message évangélique. Dans cette perspective, je relève -voir ci-dessous- divers témoignages circulant sur la toile.
Avant cela rappelons que plusieurs chrétiens, dont des prêtres, se pensent encore au XIXe siècle en développant une politique ecclésiale de restauration. La France n’est plus chrétienne, il convient alors de préserver l’avenir pour que tout soit bien en place quand elle aura retrouvé la foi en Christ ressuscité. Pour cela, on va s’entourer de conseillers qui peuvent apporter les finances nécessaires au maintien d’une Eglise forte. Ce sont ces catholiques fortunés qui, de par leur mode de vie, ne peuvent accepter une radicale remise en cause du libéralisme. Sous Napoléon III, l’État construisait des églises, car « un curé cela vaut trois gendarmes ». Il est certain, me semble-t-il, que si l’évêque s’entourait de conseillers issus du monde chrétien syndicalisé, la donne serait différente. Mais, on va me dire qu’il n’y a plus de syndicalistes militants et chrétiens. Bref, voilà un débat qu’il serait heureux d’avoir en action pastorale et, au préalable, d’évangélisation. De première évangélisation. Cf la conférence avec les prêtres ouvriers.
Pour élargir le cadre de la réflexion, j’invite à suivre ces liens, Le Parisien, Libération et à faire un tour sur le blog de Philippe Laguérie (Institut du Bon Pasteur).
Entendre Christian Delorme s’exprimant sur RCF est également important.
Venons-en aux divers courriels circulant cette semaine sur la toile :
30 avril à l'évêque de Lyon Philippe Barbarin
Père,
J'ai entendu christian Delorme sur RCF ce vendredi. Son propos m'a fortement touché. Même si le rôle d'un pasteur est de veiller à tout prix à la communion des croyants, ce n'est pas je crois, au risque de guider le troupeau vers l'abîme. Et je crois aussi, pour ma part, que le pasteur doit faire confiance aux brebis qui ont le charisme de la prophétie évangélique. Les brebis qui aident le pasteur à guider le troupeau de façon homogène tout en veillant à le faire cheminer en sécurité. Depuis bientôt 50 ans Christian Delorme joue ce rôle prophétique dans l'église de Lyon …
En ce qui concerne le passé (l’Histoire), même si madame Le Pen s'efforce sur la forme de rendre les choses plus conformes à ce que la mémoire peut supporter, le récent propos du responsable du FN lyonnais à propos du mémorial des enfants d'Yzieux, démontre que rien n'a changé sur le fond dans ce parti.
Le FN est bien toujours aux antipodes de la dynamique évangélique...
Pour le présent et l’avenir, le FN m'apparait donc constituer toujours un danger mortel pour la démocratie, pour la paix civile, pour construire l'Europe et un monde fidèle aux enseignements et appels de notre église. Tels que nous le rappelaient Mgr Decourtray, de maintes fois, puis Mgr Lustiger en 2002.
Je n'attends pas de vous un appel sans réserve ni nuances à voter pour Monsieur Macron, dont beaucoup d'intentions sont sujettes à questionnements pour des croyants assoiffés de justice et d'une mondialisation respectueuses des plus pauvres.
J'attends de vous une parole forte et claire pour signifier l'incompatibilité absolue pour la communauté des baptisés lyonnais, dont vous avez la charge d'assurer la communion, de ne pas prendre le risque, pour nombre d'entre eux, de par un manque grave de discernement, de nous faire tous tomber demain dans un précipice de violence, d'injustice, d'inhumanité que ne manquerait pas de provoquer ce choix inconsidéré d'élire Marine Le Pen comme présidente de la république.
Très respectueusement et très fraternellement,
Jean-François Vallette
envoyé le 1 mai :
Pères, Frères, Amis,
Nos anciens archevêques, Albert Decourtray et Louis-Marie Billé -pour ne citer que ces deux-là- doivent aujourd'hui se retourner dans leur tombe, eux qui eurent des paroles fortes, tranchantes, sans concession en face de la montée en puissance du Front National.
Voici un texte qui vient de m'être transmis et que, évidemment, j'ai signé sans réserve. Mème si je sais qu'il ne conviendra pas à tous pour divers motifs, je vous l'adresse à mon tour, seule manière pour moi, aujourd'hui, de pouvoir encore me regarder dans la glace les jours à venir. Qui eut pensé, voici dix ans seulement, que toute une partie de notre Eglise en viendrait à accepter l'accession d'une candidate du Front National à l'élection présidentielle ?! Qui eut cru, alors qu'une victoire de Marine Le Pen dimanche prochain est possible pour mille raisons, à un tel silence assourdissant de l'épiscopat français dans sa quasi totalité, quand bien même on peut encore croire et espérer que la majorité de nos évêques ne votera pas dimanche pour Marine Le Pen ? Des pratiquants de plus en plus nombreux, hélas ! croient pouvoir se réfugier dans les bras de ce parti génétiquement nationaliste, anti-européen et xénophobe. Les dirigeants de la "Manif pour tous", nouveau fer de lance du militantisme catholique, appellent à voter "contre-Macron", lui préférant l'aventure lepéniste. Des séminaristes, de jeunes prêtres qui n'ont aucune connaissance de l'histoire, croient qu'ils peuvent être fidèles à l'Evangile en votant pour une femme qui continue de minorer la responsabilité de l'Etat français dans la Rafle du Vel d'Hiv et qui réécrit l'histoire des Guerres de religion en France, laissant entendre que les musulmans d'aujourdhui seraient les protestants "antinationaux" du temps de Richelieu !
Nous reste cette seule affirmation venue des débuts des Actes des Apôtres : "Non possumus !". "Nous ne pouvons pas" être aussi lâches ! Moi, en tout cas, je n'en ai pas le courage si l'on peut dire...
Tristement et fraternellement votre.
Christian Delorme
Bonsoir,
je partage cette réflexion de Christian.
Je n'ai pris aucune position à l'église. Mais, ce dimanche 30/04 et lundi 1/05, beaucoup d'échanges de mails avec et entre paroissiens révélant un grand désarroi et une grande inquiétude ; une position officielle de l’épiscopat -sûrement divisé à ce sujet- était sans doute difficile ; mais il aurait pu prendre la parole -ou des évêques auraient pu le faire- après le ralliement de Mme Boutin du parti "chrétien démocrate" ! et les positions de mouvements issus de la manif pour tous, pour s'en démarquer. Philippe : est-ce souhaitable et encore possible ?
Je dis cela, alors que je connais et que j'estime des personnes qui votent pour Mme Le Pen parce que leurs conditions de vie, de travail sont très difficiles ; ensemble, on peut parler.
Fraternellement,
Yves Longin
également d’Yves Longin, le 30 avr.
Bonsoir,
Suite à des échanges de mails sur les prises de position du parti "chrétien démocrate" et de mouvements issus de la "manif pour tous", rejoignant explicitement Mme Le Pen ou demandant explicitement à faire barrage à M. Macron, et après les messes de ce WE où j'ai cité une réflexion du Pape François appelant surtout les jeunes à ne pas laisser d'autres à faire des choix à leur place (dans toute leur vie, pas spécialement pour les élections), alors que je m'étais réellement demandé ce que je pouvais dire sur la situation électorale, je veux simplement dire que je ne partage pas du tout ces positions.
Le président des AFC lui-même, sans donner de "consigne",refuse de suivre ce parti et ces mouvements ; il rappelle que défendre la famille, c'est aussi lutter contre la pauvreté, les problèmes du chômage, du logement etc...
Comme beaucoup, je suis vraiment inquiet.
Après, j'entends volontiers certaines personnes, aux situations sociales très difficiles, qui me disent pourquoi elles voteront Mme Le Pen.
En 2002 , j'avais voté (au second tour) pour Jacques Chirac, "sans état d’âme". Cette année, je vote pour E. Macron, aussi pour "ne pas perdre mon âme".
Yves Longin
envoyé à l’évêque de Lyon le 2 mai :
Cher Père,
J’ai été effaré et peiné ce matin, Père, d’apprendre par La Croix que les gens de la « Marche pour tous » demandaient à leurs adeptes de ne pas voter pour M. Macron. Sachant que cette « Marche pour tous » a été plus ou moins soutenue par les évêques et par vous-même, je me demande ce que nous allons faire, les chrétiens et moi-même. C’est assez dangereux et pour le moins téméraire pour notre pays.
En 2002, la Commission épiscopale des questions sociales (Olivier de Béranger) avait publié un communiqué intitulé « non possumus » disant que nous chrétiens ne pouvions pas voter pour un parti xénophobe et antisémite !
Ce fut précieux.
Allez-vous, vous Conférence épiscopale, éclairer les chrétiens de France à quelques jours d’un choix extrêmement périlleux ?
Ne laissez pas votre peuple filer vers le FN, je vous en prie, à deux genoux.
Croyez cher Père Barbarin à mon amitié respectueuse.
André Baffert
le 2 mai
Merci Christian pour ce mail.
Marine Le Pen est tellement dans le paysage politique quotidien que nous ne faisons plus attention à ce qu'elle prône, elle et son parti.
Je suis de tout cœur avec ce que mes frères prêtres ci-dessous ont exprimés et je transmets également l’inquiétude et l'incompréhension de beaucoup de paroissiens qui aimeraient une parole plus claire de l'Eglise institutionnelle notamment ceux qui, au nom du diocèse et par leur foi, accueillent actuellement des migrants.
Bien fraternellement
Patrice Roumieu
« S’ils se taisent, les pierres crieront… » (Lc 19, 40)
Des pharisiens reprochent aux disciples d’annoncer la Paix en acclamant Jésus qui entre à Jérusalem. Aux accusateurs, Jésus répond : « Je vous le dis : s’ils se taisent, les pierres crieront ». C’est le sentiment qui me vient au seuil de ce deuxième tour de l’élection présidentielle.
Comme curé de paroisse, au regard des deux candidats qui restent en lice, ma conscience m’appelle à ne pas me taire… Mon rôle n’est pas de donner de consignes de votes, il est de rappeler à temps et à contre-temps l’évangile et de dénoncer ce (celui ou celle) qui le dénature et le fourvoie.
L’évangile, c’est servir le Christ en servant les plus petits, les plus faibles. Et sa plus belle mise en œuvre est décrite au chapitre 25 de l’évangile de Matthieu (Mt 25, 35-36) : donner à manger et à boire à ceux qui ont faim, accueillir l’étranger, habiller ceux qui sont nu, visiter les malades, les prisonniers. Je ne pense pas que le programme d’Emmanuel Macron honore suffisamment chacun de ces points. En revanche, il ne fait absolument aucun doute à mon esprit que celui de Marine le Pen les méprise et que son programme les piétine tous. Elle cherche à faire diversion en présentant un vernis catholique par le ralliement de Christine Boutin ou de « Sens Commun »… Ne nous laissons pas berner.
Si la foi chrétienne irrigue ma vie, et si venir à la messe en est le signe, alors elle doit ouvrir ma conscience à un choix qui respecte au mieux ce que l’évangile annonce.
« Devant Dieu, et devant le Christ Jésus qui va juger les vivants et les morts, je t’en conjure, au nom de sa Manifestation et de son Règne : proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps, dénonce le mal, fais des reproches, encourage, toujours avec patience et souci d’instruire. Un temps viendra où les gens ne supporteront plus l’enseignement de la saine doctrine ; mais, au gré de leurs caprices, ils iront se chercher une foule de maîtres pour calmer leur démangeaison d’entendre du nouveau. Ils refuseront d’entendre la vérité pour se tourner vers des récits mythologiques. Mais toi, en toute chose garde la mesure, supporte la souffrance, fais ton travail d’évangélisateur, accomplis jusqu’au bout ton ministère. » (2 Tm 4, 1-5)
Franck Gacogne
Bonjour à tous,
Je n’ai pas pour habitude de parler dans ce genre de débat, ou même lorsque les évêques se sont exprimés sur une question.
Cependant je suis atterré par le nombre de chrétiens qui voteront de bonne fois pour le Front National. Je pense que l’on trouve dans toutes les communautés, et donc aussi parmi les évêques les mêmes clivages. Pourtant, déjà chez Pie XII – pourtant pas réputé pour son caractère « progressiste », on trouve de quoi s’opposer clairement au nationalisme qui ne permet pas l’exercice de la République parlementaire, représentative et démocratique.
Dans la feuille paroissiale, j’ai tenu le discours des évêques, en insistant sur les aspects d’ouverture aux migrants et de la nécessité du projet européen, même s’il est à réformer aujourd’hui.
Donc, oui, si une parole claire pouvait être entendue, ce serait bien.
Fraternellement, en union de prière.
Bertrand Carron de la Morinais.
Bonjour à tous
Merci Christian pour ce mail qui donne l'occasion de réagir car il me semblait important de poser cette question au Père Barbarin.
Pourquoi la CEF ne prend elle pas une position beaucoup plus claire contre le FN ?
N'est il pas possible de dire ce qui nous gêne dans le programme de Mr Macron tout en étant beaucoup plus clair par rapport au parti d'extrême droite qui prône, le rejet, le racisme, et le repli sur soi ?
Fraternellement
Damien Guillot
Cher Christian,
J'ai écouté madame Le Pen hier soir à la TV. C'était très intéressant par la manière dont elle se situait par rapport à ce qu'elle appelle "le Peuple" et par sa définition du "Peuple" qu'elle appelle aussi "la Nation".
Grosso modo "Le Peuple" c'est les français déracinés de toutes autres références notamment les partis politiques, les syndicats et les Eglises. Ce peuple est un peuple dégrossi de ses éléments liés à la Finance, à la France d'en Haut, mais aussi à tout ce qui structure la France d'en bas. C'est avec ce peuple ainsi envisagé qu'elle entend nouer un lien privilégié. Je n'ai pas perçu chez elle quelque chose qui ressemble au corporatisme de Vichy par exemple, hérité du modèle maurrassien et enrichi par des gens comme Gustave Thibon. Je n'ai pas senti aussi chez elle quelque chose qui ressemble à la Nation selon Peguy, à cette vénération des humbles et des pauvres qui a tant marqué le catholicisme du XXe, et qui était enracinée dans une existence au plus près d'eux comme celle d'une Simone Weil quelques temps plus tard.
J'ai vraiment perçu chez elle la volonté de reformater "le Peuple" ou "la Nation" non sans en exclure qui résistera à ce projet. Les Eglises ont donc à s'inquiéter car elle ne supportera que des Eglises à sa botte. Pour le moment elle utilise les militants de "la Manif pour Tous" et du PCD. Mais au final, ils seront refaits car madame Le Pen se moque totalement des positions des défenseurs pour la Vie et tout autant de la DSE qu'elle piétinera quand elle le jugera utile.
Il est probable que la proximité de Mgr Rey avec Mme Marion Maréchal, ainsi que de quelques autres évêques, explique la prudence de de la déclaration de la CEF. Cette proximité s'explique par la peur de l'Islam et la conviction que cette proximité pourrait contribuer à la nouvelle évangélisation de la France. Mais à mon avis, ils sont abusés et utilisés dans une stratégie politique de conquête du pouvoir. Grâce à eux, l'Eglise Catholique comme force de résistance au FN et sa volonté totalitaire est neutralisée. Ils contribuent à sa conquête du pouvoir et à terme à l'affaiblissement des Eglises si ce n'est de leur asservissement.
Je partage donc ton inquiétude.
Fraternellement.
Olivier Petit.