CPP puise ainsi son positionnement anticapitaliste dans ces mouvements populaires, dedans ou en dehors de l'Eglise qui ont ébranlé, et continuent à ébranler, l'ordre dominant

Publié le par Michel Durand

Dans la ligne des articles de ces derniers jours, voici un texte susceptible d'ancrer sur de solides fondements l'orientation de "Chrétiens et pic de pétrole".

Chrétiens et pic de pétrole – Juin 2012

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À l'origine de « chrétiens et pic de pétrole », il y a ce constat, simple mais ignoré voire refusé, par le système dominant : il ne peut y avoir de croissance infinie dans un monde fini(1). Et pour définitivement s’affranchir du dogme de la croissance sans fin, il devient urgent de sortir de ce système capitaliste destructeur.

Alimentant et croisant cette évidence, qui fait des membres de CPP des objecteurs de croissance, un autre constat renforce l'originalité et la posture de notre association : Alors que nous ne pouvons nier - comme le rappelle Ellul - que l'Eglise(2), lorsqu'elle est prise en main par la bourgeoisie, ne peut remettre en cause ce système capitaliste, de nombreuses actions qui se réclament du message de la “Bonne Nouvelle” (de nombreux "phares" pour reprendre la très juste image d'Ellul), modifient profondément ce positionnement conservateur de l'Eglise et s’inscrivent résolument dans une lutte contre le capitalisme.

En remettant en cause ce système qui génère la domination d'une minorité d'hommes sur tous les autres et détruit irrémédiablement la planète pour leur seul profit, ces “mobilisations dans les pas du Christ” démontrent que la Bible est toujours vivante, toujours au service des pauvres et de leur lutte pour leur émancipation.

Les deux colloques et les laboratoires organisés depuis 4 ans par CPP ont ainsi positionné l’association au croisement de trois principes d’équilibre : la cohésion sociale, l’économie au service de l’homme et la préservation de la planète. CPP est convaincu que le message du Christ est consubstantiel de cette recherche d’équilibre et que le "bien vivre" de tous, passe par cet harmonieux équilibre et donc par la sortie du capitalisme productiviste et extractiviste(3) .

Si CPP s'oppose à une lecture marxiste ou matérialiste de la Bible, l'association puise une partie de ses positions chrétiennes dans les théologies de la Libération en Amérique Latine, puis dans ses correspondants occidentaux de Jürgen Moltmann ainsi que des lectures spirituelles et pastorales qui en sont faites et se situe aussi dans la ligne d'Emmanuel Mounier, de Jacques Ellul ou d'Antoine Chevrier.

Cette lecture pastorale de la Bible participe à ce pas de côté et à la remise en cause définitive du capitalisme car elle nous demande d’être humble pour être attentif au regard de l’Autre et à mettre nos pas au rythme de ceux des plus faibles et pauvres d’entre nous.

Les membres de CPP reconnaissent que les importantes questions interrogeant ce système, et souvent développées par des adversaires des Eglises ou du christianisme, trouvent pourtant une grande partie de leur réponse dans une lecture attentive, critique et active, de l'Evangile.

La révélation chrétienne contient ainsi tous les éléments nécessaires que les membres des Eglises devraient mettre en œuvre. CPP s'est engagée sur cette voie et rejoint la Source Première, analysant les diverses situations historiques d'infidélité au message fondamental du Christ et demeure convaincue que le chemin sur les pas du Christ nous permet de passer d'une société de la compétition destructrice à celle de la coopération heureuse, basée sur les valeurs de solidarité et de fraternité.

CPP puise ainsi son positionnement anticapitaliste dans ces mouvements populaires, dedans ou en dehors de l'Eglise qui ont ébranlé, et continuent à ébranler, l'ordre dominant (de la Commune à la crise Grecque en passant par les libérations en Amérique Latine). Nous pourrions illustrer ce propos par une citation de l’archevêque brésilien Helder Camara : “Lorsqu'on rêve tout seul, ce n'est qu'un rêve alors que lorsqu'on rêve à plusieurs c'est déjà une réalité. L'utopie partagée, c'est le ressort de l'Histoire”.

CPP est convaincue que l'exploitation de l'Homme, l'accroissement de la pauvreté et des injustices ne pourront disparaître tant que le système capitaliste gouvernera le monde. CPP est convaincu qu’en chaque chrétien persiste une foi qui peut lui permettre de comprendre que, dans la crise sociale, économique, politique et environnementale, que nous subissons depuis 60 ans, il est appelé à jouer un rôle sociétal majeur, et pas uniquement à l'intérieur de l'Eglise mais dans ses relations au monde. CPP rejoint ici la position d’Ellul, convaincu que les chrétiens doivent être des « porteurs d’incertitudes » et « développer un esprit d’invention, une radicalité, une volonté de justice et de liberté. »

Enfin, CPP puise son positionnement dans un refus au productivisme et à l’extractivisme infinis qui desservent l'Homme et détruisent la planète. La capacité à consommer ne peut être l'alpha et l'oméga de la réussite sociale. Alors que l'idée d'un progrès permanent et d'un développement constant montre sa totale incohérence, CPP est, par définition, objectrice de croissance où le "plus de lien et moins de bien" doit permettre à l'Humanité de ne plus être sous l'unique influence de l'Argent, de bien vivre et de préserver la planète pour les générations futures.

La nécessaire conversion des habitants les plus riches de la Terre vers des modes de vie sobres répond à l'universel appel à une vie simple selon la pauvreté évangélique. Pauvreté n'est pas misère, laquelle est à combattre, justement pour obtenir, toujours selon la longue tradition biblique, plus de fraternité et de solidarité entre tous les hommes.

CPP est convaincue que nous devons remettre en cause la "foi" aveugle en la technoscience qui empêche - par sa complexité et parce qu'elle est entre les mains d'experts peu partageux - l'émancipation de l'Homme et l'enferme, volontairement, dans un abrutissant "produis, consomme et tais toi". La prépondérance de l'usage sur le mésusage, la simplicité sur la complexité, le partage sur la compétition, les relations non marchandes sur le profit sont des conditions absolument nécessaires tant pour fonder un nouveau projet politique libéré du capitalisme et de la compétitivité, que pour donner un sens chrétien à notre passage sur Terre et sa transmission aux générations futures.

CCP souhaite donc continuer à mener cette réflexion fondamentale qui concerne tous les secteurs de recherche, convaincue que de la confrontation d’idées venues du socialisme, de l’écologie et du christianisme ouvriront de nouveaux champs du possible. CPP se veut élément déclencheur de mises en œuvre concrètes à partir de nos options intellectuelles. C'est, finalement, en rejoignant les associations, les regroupements, les réseaux, les syndicats, les partis politiques, que les actions possibles envisagées trouvent leur concrétisation. Pour cet indispensable travail de discernement, il importe que des petits groupes d'études continuent à se réunir régulièrement sous forme de laboratoire. Un troisième colloque est prévu pour fin 2013.

 

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1) Voir la présentation du colloque de 2011 : Capitalisme, productivisme, croissance ou développement (fût-il durable) participent d’une même logique, celle du « sans limites » qui est au cœur des crises dans lesquelles s’enfonce nôtre société. Or, le refus du sans limites matérialiste n’est-il pas au coeur de la doctrine chrétienne ?

2) Par Eglise, nous entendons les organisations ecclésiales visibles tant grecques, latines (romaines) ou réformées et issues de la réforme).

 

3) « Par extractivism e, nous entendons le fait de s’approprier des biens communs, directement ou indirectement, pour les transformer en marchandises. Il s’agit d’une phase différente du modèle néolibéral, après la première phase de privatisations, libéralisation commerciale et financière et dérèglementation du travail. Elle est partie intégrante du processus de financiarisation de l’économie puisque nous pouvons considérer l’extractivisme comme un processus plus spéculatif que productif : les investissements sont minimes et le rendement du capital est aussi rapide que dans le système financier ». (Extraction des ressources naturelles : du pain aujourd’hui, des incertitudes demain, par Raúl Zibechi)

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