La discrétion serait une marque de fabrique des pradosiens qui préfèrent le témoignage par l'exemple à une déclaration ronflante
En 2010, la famille pradosienne célébra le 150e anniversaire de la fondation du Prado par le P. Antoine Chevrier. Est-ce que cela a permis aux Lyonnais de redécouvrir la personnalité du bienheureux, dont les héritiers, prêtres, laïcs ou religieuses, font vivre l'esprit d'accueil et de générosité ? On peut en douter.
Rappelant cela, un journaliste de La Croix rédigea un article publié le 27/8/10 que j’ai découvert récemment. Dans la ligne des pages postées ces jours derniers, à propos de la biennale d’art sacré actuel, ou de l’ouverture / fermeture d’une paroisse, j’ai envie ce soir de vous le donner à lire. Cette méditation entre dans le projet de la prochaine récollection proposée à Lyon aux prêtres aux Prado. L’apôtre du Christ ne peut oublier qu’il est avant tout disciple.
La Croix : << Dans la chapelle du Prado, l'immense crèche rappelle le soir de Noël 1856, lorsque le P. Antoine Chevrier a choisi de «devenir pauvre parmi les pauvres»
À Lyon, les richesses patrimoniales comme les trésors gastronomiques n'ont de secret pour personne. Et, dans les deux domaines, l'appétit de chacun est autant aiguisé que comblé ! Concernant l'une des célébrités religieuses de la capitale des Gaules, béatifiée par Jean-Paul II lors de sa venue dans la région en 1986, il en va autrement. Pas le moindre petit panneau pour attirer l'attention du flâneur sur les lieux où vécut le P. Antoine Chevrier (1826-1879) !
Il est tout à fait possible, pour peu que les pas vous portent dans le quartier de La Guillotière, dans le 7e arrondissement, à deux pas de la place Jean Macé, de passer mille fois rue du P. Chevrier, devant la façade jaune de la chapelle du Prado sans être précisément renseigné sur son origine. Et de s'en détourner sans même entrer à l'intérieur pour y connaître l'œuvre de celui qui racheta le Prado, une salle de bal, pour catéchiser de jeunes défavorisés de l'époque.
« Que ce soit Irénée, Frédéric Ozanam ou l'abbé Pierre, Lyon ne sait pas mettre en valeur ses saints. Peut-être parce que Marie, notamment à la basilique de Fourvière, prend toute la place. Dans les années 1970, toutes les statues de saints ont été enlevées des paroisses lyonnaises, il ne restait que la Vierge », regrette en souriant le P. Christian Delorme, curé de la paroisse d'Oullins et Pierre-Bénite, dans la banlieue sud de Lyon.
LA DISCRÉTION COMME MARQUE DE FABRIQUE
Dans sa ville natale, le P. Chevrier, fondateur de l'association des prêtres du Prado, est de ces figures dont le patronyme est parfaitement connu des chrétiens sans qu'ils sachent forcément quelle fut son action. Quant aux « pradosiens », les héritiers d'Antoine Chevrier - prêtres, religieux et religieuses, laïcs, consacrés ou non - ils sont appréciés, bien sûr, mais pas toujours identifiés comme tels. Car ils ne mettent pas forcément en avant leur appartenance, ne serait-ce que parce que les prêtres du Prado tiennent à leur ancrage diocésain.
Prenez, par exemple, le P. Christian Delorme : en dehors d'un petit cercle d'initiés, qui sait que l'un des prêtres les plus médiatiques de l'Hexagone, prédicateur régulier des messes télévisées sur France 2 et engagé de longue date dans le dialogue islamo-chrétien, est membre de l'association des prêtres du Prado fondée par le P. Chevrier le 10 décembre 1860 ?
À l'image de tout Lyonnais de souche qui se respecte, la discrétion serait donc une marque de fabrique des « pradosiens » qui préfèrent le témoignage par l'exemple à une exposition ronflante. La spiritualité pradosienne n'est pas un étendard. Elle est une identité qui se laisse deviner très facilement.
« POUR MOI, LE PRADO, C'ÉTAIT D'ABORD DES GENS »
« Les Lyonnais identifient bien l'esprit du Prado et cela ne les étonne pas de découvrir que tel prêtre du diocèse fait partie de notre association », explique le P. Philippe Chatagnon, responsable du séminaire pradosien de Limonest, dans les monts du Lyonnais, siège aussi d'une maison d'accueil bien connue des mouvements chrétiens.
Françoise Pioppi, orthophoniste à la retraite, confirme : cette femme énergique est symbolique de cette famille du Prado, quelque peu informelle mais bien présente à Lyon. Familière des partages d'Évangile ou des sessions qui se tiennent à Limonest, elle en est proche depuis son arrivée à Lyon pour ses études en 1962. Elle a gardé à jamais le souvenir d'un climat chaleureux, d'une façon directe et simple d'approcher les gens.
« Lors d'une session de catéchèse pour enfants handicapés, les religieuses du Prado m'avaient demandé de faire des crêpes. Rien à voir avec les relations difficiles que j'avais entretenues avec certaines bonnes sœurs autoritaires durant ma jeunesse » Pourtant, elle reconnaît avoir mis davantage de temps à découvrir le P. Chevrier. « Pour moi, le Prado, c'était d'abord des gens. Ils vous acceptent comme vous êtes et ne portent pas de jugement quand votre vie n'a pas toujours pris des lignes droites. Ils transmettent l'Évangile, parce que leur vie en est imprégnée. »
PORTER LA PAROLE À TOUTES LES POPULATIONS
Aujourd'hui, les prêtres du Prado ont peut-être moins d'influence dans la vie du clergé lyonnais qu'à certaines époques. Effets conjugués de la baisse des vocations et d'une humilité qui les éloigne des actions de communication. Certains regrettent pourtant que la paroisse du Moulin-à-Vent, aux confins du 8e arrondissement où le P. Chevrier fut curé, ne soit plus « tenue » par les pradosiens, comme ce fut longtemps le cas.
Mais les disciples de Chevrier n'ont pas pour autant déserté la capitale des Gaules ! Les prêtres du Prado tout comme les Sœurs ont leur maison généralice des deux côtés de la rue du P. Chevrier. Leur dynamisme pastoral est grandement apprécié là où il s'exerce. Une facilité de plume conduirait à écrire qu'on les trouve plutôt dans les zones défavorisées que dans les quartiers huppés.
Nuançons en disant que les pradosiens ont le souci de porter la Parole à toutes les populations, y compris non croyantes. Comme le P. Michel Durand qui a installé une magnifique galerie d'exposition au premier étage du presbytère de Saint-Polycarpe, à la Croix-Rousse, animé par la conviction que l'art contemporain est un vecteur de dialogue.
Curé de Vaulx-en-Velin, dans l'une des banlieues bien connues de la région lyonnaise, le P. Régis Charre aime cette idée de rencontre, qui implique un déplacement. Originaire de la Presqu'île entre Rhône et Saône, le P. Chevrier a bravé l'interdiction de sa mère qui lui déconseillait de « traverser le pont » (du Rhône) pour se rendre à La Guillotière, commune ouvrière à l'époque indépendante de Lyon. Qu'allait-il faire chez ces « sauvages », demandait-elle.
UNE DÉMARCHE VERS LES ZONES LES PLUS OUVRIÈRES ET DIFFICILES
Ayant grandi dans le quartier de la Guillotière, le P. Régis Charre a effectué la même démarche en devenant très vite curé dans les zones les plus ouvrières et difficiles de la région lyonnaise : Saint-Priest, Rillieux-la-Pape et Vaulx-en-Velin depuis sept ans. « En venant dans la banlieue, j'ai d'une certaine manière traversé le pont. »
Pourtant, l'un des prêtres les plus attachés au fondateur du Prado ne se trouve-t-il pas au cœur de Lyon ? Plus exactement en son sommet, sur la colline de Fourvière. Le cardinal Philippe Barbarin n'a pas attendu son arrivée entre Rhône et Saône pour puiser dans les écrits du P. Chevrier une inspiration quotidienne pour son ministère. Au point que son ancien vicaire épiscopal du diocèse de Moulins s'étonna, une nuit de la Nativité, qu'il ne soit pas entré au Prado, alors que Mgr Barbarin venait de prêcher sur le Noël 1856 du P. Chevrier, moment décisif dans son désir de se consacrer tout entier aux pauvres. Le Primat des Gaules eut naturellement à cœur d'inviter les Lyonnais à (re) découvrir ce bienheureux méconnu.
« IL NE SÉPARE PAS LA PRIÈRE ET L'ACTION, IL LES RÉUNIT »
Ce qu'il a fait en 2006 en rédigeant une Lettre pastorale : intitulée « Suivre Jésus de près » (Éd. Parole et Silence/DDB, 10 euros), elle retrace la vie d'Antoine Chevrier et insiste sur son message. Dans cet ouvrage, le cardinal Barbarin demandait à toutes les paroisses à faire le pèlerinage du Tableau de Saint-Fons, dans la banlieue lyonnaise, où le message du P. Chevrier est inscrit à même les murs d'une petite maison sans apprêt :
« Être pauvre dans la vie quotidienne ! Son intuition est un trésor pour la société d'aujourd'hui où l'argent gagne toujours, s'enthousiasme le cardinal Barbarin. C'est un homme viscéralement attaché à l'Évangile, qui tire toutes les conséquences sociales de cette mystique. Il ne sépare pas la prière et l'action, il les réunit. »
Bruno BOUVET, à Lyon