Contradiction entre l'image de puissance que dégage l'Eglise par l'accroissement de son temporel et sa vocation de service et de pauvreté
J’ai presque terminé la lecture du livre d’Olivier Chatelan intitulé L’Église et la ville, le diocèse de Lyon à l’épreuve de l’urbanisation (1954-1975). L’harmattan, 2012. Une monographie de l’Église à Lyon en cette période d’après-guerre, des trente glorieuses et de début d’interrogation sur l’impact de l’Église dans le monde contemporain.
J’en conseille la lecture et l’étude tout en souhaitant qu’une équipe se mette à la tâche pour qu’une comparaison s’établisse entre l’Église au milieu du XXe siècle et celle du début XXIe. L’historien Olivier Chatelan, selon ma perception, invite à ce regard sur le passé récent pour comprendre le présent.
J’ai rencontré Olivier Chatelan à l’occasion de la conférence dans la salle du Prado (voir ici) donnée par Paul Chopelin, maître de conférences en histoire moderne à Lyon III, ayant pour titre : Antoine Chevrier et la commune (à Lyon) de 1870. Olivier Chatelan parlera au Prado le 8 novembre 2016. Il développera ce titre : De Lyon aux Amériques latines, les prêtres fidei donum des années 68-80. Il est également maître de conférences en histoire moderne à l’université Lyon III.
À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, l’Église dans la reconstruction avait le souci de se rendre visible et de doter chaque nouveau quartier d’un bâtiment-église. Les constructions relevant d’un dommage de guerre étaient généralement de très bonne facture comme, par exemple, l’église de Vaise, Notre-Dame de l’Annonciation. Cette dernière vient d’être rénovée pour répondre aux attentes actuelles. De nouveau une parfaite réussite architecturale. Les constructions des années 60-70 sont plus modestes. Surtout, elles dépendent de l’apport de chaque quartier et de dons extérieurs ; paroisses riches, paroisses pauvres. La mission n’est pas perçue de la même façon dans un quartier de centre-ville que dans une banlieue ou une communauté naissante dans une récente zone urbaine. La tendance générale reste quand même à la construction d’églises bien identifiées et visibles, car c’est par elles que les communautés existeront, pense-t-on. Cette volonté catholique de visibiliser l’Église ressemble d’une certaine façon à la pratique pastorale actuelle ; tendance aujourd’hui majoritaire chez certains jeunes prêtres qui souvent semblent peu soucieux de l’écoute des baptisés. En fait, c’est là que je situe le nœud du débat. Parmi les critiques, Olivier Chatelan cite « l’incompréhension d’une partie des fidèles au sujet d’un diocèse qui construit des églises alors que les prêtres sont déjà en nombre insuffisant. La crise des vocations sacerdotales est ressentie par une partie de la population catholique comme un obstacle aux chantiers, alors qu'elle est au contraire un argument pour le cardinal Gerlier pour construire de nouvelles églises et créer ainsi les conditions d'un éveil des vocations dans les quartiers périphériques. Les catholiques des zones rurales du diocèse sont les plus critiques, se plaignant d'être délaissés par ces choix qui privilégient la ville ».
Une seconde critique est, à mon avis, propre à être reprise aujourd’hui même s’il est peu question d’église nouvelle ; au XXIe siècle une seule à Vaulx-en-Velin depuis des décennies. Cette critique court tout au long de l’histoire de l’Église. Il s’agit de « la contradiction entre l'image de puissance que dégage l'Eglise par l'accroissement de son temporel et sa vocation de service et de pauvreté. La dénonciation de la collusion entre l'institution ecclésiale et les intérêts économiques et politiques des possédants est réactivée par les tenants d'un catholicisme de l'enfouissement, favorables à une présence discrète, mais active des chrétiens, sans que l'étiquette confessionnelle soit mise en avant. On craint la visibilité des églises nouvelles qui serait contre-productive. Pour réfuter ces objections « plusieurs fois entendues », c'est le supérieur de la communauté du Prado et évêque auxiliaire Alfred Ancel qui, depuis Rome où se tiennent les séances du Concile, se charge de la réponse en explicitant le sens missionnaire des chantiers diocésains » (page 152). Jean Fabre, prêtre de la mission ouvrière, rencontré ce jour, me dit que « ce n’est pas la meilleure chose qu’il ait pu faire ; en effet, des églises construites en cette époque sont maintenant abandonnées ». « Il est vrai, poursuit-il, qu’Alfred Ancel n’en était qu’à ses débuts dans la connaissance du monde ouvrier des nouveaux quartiers et de sa militance chrétienne ».
Olivier Chatelan reprend ce sujet dans son 7ème chapitre : l’interruption des chantiers diocésains et la nouvelle politique immobilière (1965-1975) : « Les critiques émises à propos des nouvelles églises par une partie des fidèles et du clergé, souvent à l'avant-garde de l'apostolat urbain, tendent à s'amplifier au cours des années 1960, jusqu'à remettre en cause à la fin de la décennie la politique d'équipement religieux du diocèse. La fin des années 1960 est en effet marquée par un effet de seuil : le courant auparavant ultra minoritaire d'enfouissement de l'Église trouve dans le Concile une confirmation de ses vues, et peut désormais se parer de l'autorité du magistère pour faire entendre sa voix. De fait, avec les difficultés financières qui s'aggravent au même moment, la construction de lieux de culte dans le diocèse est fortement remise en cause au tournant des années 1960-1970. Ce changement de cap s'insère dans un contexte plus largement national d'interrogations sur la légitimité des lieux de culte pour l'évangélisation des masses urbaines » (p. 187).
Je continue la lecture et reviendrai éventuellement sur ce sujet. Mais déjà je pose la question, objet d’un débat : pourquoi la construction d’une salle-église, d’un bâtiment-église est-elle liée à la présence d’un prêtre ? Est-ce lui qui constitue l’Église ? Ne lit-on pas dans l’Évangile : « quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux ». « Je », c’est-à-dire le Christ. Autrement dit l’ouvrage d’Olivier Chatelan souligne à mon regard que les projets pastoraux de l’Église (j’observe l’Église locale) sont plus souvent institutionnels qu’évangéliques. Il y a trop de religion dans les commissions diocésaines des biens immobiliers et pas assez d’écoute du Christ proclamant sa Bonne Nouvelle.
À débattre.