Il importe de se reconnaître disciple du Christ et d’accomplir non la lettre, mais l’esprit de son annonce et de sa pratique
Le mariage que je viens de célébrer est, d’une certaine façon, un fils du groupe Chrétiens et pic de pétrole, ces écolos radicaux, anticapitalistes qui (à juste titre) voient dans l’Evangile les racines de leurs engagements.
Je livre ici les textes choisis par les époux pour le sacrement du mariage célébré au cours de l’eucharistie. Je livre ensuite mon homélie.
Cantique des cantiques, 2 (8-10, 14, 16), 8 (6-7)
(Elle) La voix de mon bien-aimé ! C’est lui, il vient… Il bondit sur les montagnes, il court sur les collines, mon bien-aimé, pareil à la gazelle, au faon de la biche. Le voici, c’est lui qui se tient derrière notre mur : il regarde aux fenêtres, guette par le treillage. Il parle, mon bien-aimé, il me dit :
(Lui) Lève-toi, mon amie, ma toute belle, et viens… Ma colombe, dans les fentes du rocher, dans les retraites escarpées, que je voie ton visage, que j’entende ta voix ! Ta voix est douce, et ton visage, charmant.
(Elle) Mon bien-aimé est à moi, et moi, je suis à lui qui mène paître ses brebis parmi les lis. Pose-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras. Car l’amour est fort comme la Mort, la passion, implacable comme l’Abîme : ses flammes sont des flammes de feu, fournaise divine. Les grandes eaux ne pourront éteindre l’amour, ni les fleuves l’emporter.
Psaume 102 (103) « Bénis le seigneur ô mon âme »
Refrain.
Bénis le Seigneur, ô mon âme,
Du fond de mon être, son Saint Nom.
Bénis le Seigneur, ô mon âme,
Et n'oublie aucun de ses bienfaits.
Le Seigneur est tendresse et pitié,
Lent à la colère et plein d'amour,
Sa justice demeure à jamais.
Bénis le Seigneur, ô mon âme !
Il pardonne toutes tes fautes,
De tes maladies il te guérit,
À la fosse il rachète ta vie.
Bénis le Seigneur, ô mon âme !
Comme un père pour ses enfants,
Tendre est le Seigneur pour qui le craint,
De son cœur jaillit l'amour.
Bénis le Seigneur, ô mon âme !
La bonté du Seigneur se répand
Sur qui accomplit sa volonté,
Attentif à sa Parole.
Bénis le Seigneur, ô mon âme !
Vous les anges, les saints du Seigneur,
Tous ses serviteurs, toutes ses œuvres,
Dans la joie bénissez-le.
Bénis le Seigneur, ô mon âme !
Jacques, 5, 1-6
À vous maintenant, riches ! Pleurez et gémissez, à cause des malheurs qui viendront sur vous. Vos richesses sont pourries, et vos vêtements sont rongés par les teignes. Votre or et votre argent sont rouillés ; et leur rouille s'élèvera en témoignage contre vous, et dévorera vos chairs comme un feu. Vous avez amassé des trésors dans les derniers jours ! Voici, il crie le salaire des ouvriers qui ont moissonné vos champs, et dont vous les avez frustrés, et les cris des moissonneurs sont parvenus jusqu'aux oreilles du Seigneur des armées. Vous avez vécu sur la terre dans les voluptés et dans les délices, vous avez rassasié vos cœurs au jour du carnage. Vous avez condamné, vous avez tué le juste, qui ne vous a pas résisté.
Évangile de Luc, 4, 16-30
Il vint à Nazareth, où il avait été élevé. Selon son habitude, il entra dans la synagogue le jour du sabbat, et il se leva pour faire la lecture. On lui remit le livre du prophète Isaïe. Il ouvrit le livre et trouva le passage où il est écrit :
« L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur ».
Jésus referma le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui. Alors il se mit à leur dire : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. » Tous lui rendaient témoignage et s’étonnaient des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche. Ils se disaient : « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? » Mais il leur dit : « Sûrement vous allez me citer le dicton : “Médecin, guéris-toi toi-même”, et me dire : “Nous avons appris tout ce qui s’est passé à Capharnaüm ; fais donc de même ici dans ton lieu d’origine !” » Puis il ajouta : « Amen, je vous le dis : aucun prophète ne trouve un accueil favorable dans son pays. En vérité, je vous le dis : Au temps du prophète Élie, lorsque pendant trois ans et demi le ciel retint la pluie, et qu’une grande famine se produisit sur toute la terre, il y avait beaucoup de veuves en Israël ; pourtant Élie ne fut envoyé vers aucune d’entre elles, mais bien dans la ville de Sarepta, au pays de Sidon, chez une veuve étrangère. Au temps du prophète Élisée, il y avait beaucoup de lépreux en Israël ; et aucun d’eux n’a été purifié, mais bien Naaman le Syrien. »
À ces mots, dans la synagogue, tous devinrent furieux. Ils se levèrent, poussèrent Jésus hors de la ville, et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline où leur ville est construite, pour le précipiter en bas.
Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin.
Homélie
Le passage d’Evangile que vous avez choisi nous plonge immédiatement dans notre vocation baptismale. Rappelons les mots qui sont prononcés suite au rite de l’eau : « Désormais, tu fais partie de son peuple, tu es membres du corps du Christ et tu participes à sa dignité de prêtre, de prophète et de roi. » Il s’agit de l’onction d’huile qui place le disciple de Jésus en position d’agents actifs dans le monde tant pour la prière d’intercession auprès de Dieu, que pour l’annonce de la vérité ou la gestion du monde. Il n’y a pas de bonne gouvernance sans dévoilement effectif du chemin à prendre.
La particularité du sacrement du mariage est d’être signe de l’amour divin infini et universel. Vaste programme. Le Créateur de l’univers n’a pas élu un peuple - auquel il a envoyé des prophètes - pour que celui-ci se cantonne sur la colline de Sion mais pour qu’il manifeste à toute l’humanité l’inévitable vocation à la fraternité mondiale. Citons Jean 13, 34 :
« Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »
Et Matthieu 5,44 :
« Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent »
Les textes bibliques que vous avez choisis orientent en ce sens notre méditation. Certes, votre choix, mis à part le poème du Cantique des cantiques, n’est pas usuel pour une cérémonie de mariage chrétien. J’image la pensée de quelques personnes suggérant que vous auriez pu choisir des passages plus appropriés à la circonstance d’une bénédiction de Dieu sur des époux. « Ils s’aiment, s’aimeront et auront beaucoup d’enfants. ». Nous sommes dans le premier texte.
La poésie du Cantique des cantiques, dites-vous, exprime l’union, en deux voix entrelacées. Leur chant, exaltant la nature et les quatre éléments, inscrit le mariage au cœur de la beauté de la création. L’amour humain vient de Dieu. Il est également charnel et cosmique. C’est alors le moment de remercier pour tout ce que l’on a reçu du Créateur. Et, « le psaume indique la tendresse divine à notre égard », m’avez-vous partagé.
Par ailleurs, sans pour autant occulter la force de l’amour qui s’empare de tout le corps, le choix des autres textes oriente dans le sens de la mission du sacrement du mariage chrétien. Ainsi l’indique la bénédiction nuptiale :
Que l’amour, semblable à ton amour, Seigneur, devienne une source de vie ; qu'il les garde attentifs aux appels de leur prochain, et que leur foyer soit ouvert aux autres… qu'ils prennent une part active à la construction d'un monde plus juste et fraternel.
Or, pour qu’il en soit ainsi des moyens sont à prendre. Jacques nous place sur une voie :
À vous maintenant, riches ! Pleurez et gémissez, à cause des malheurs qui viendront sur vous. Vos richesses sont pourries… Votre or et votre argent sont rouillés.
Selon vous, « les paroles de Jacques nous rappellent les injustices liées à l’argent, au pouvoir. Ce texte nous met en garde contre le matérialisme. Il prend une résonance particulière dans le contexte social, politique et historique actuel qui est pour nous source d’inquiétude et de réflexion : le capitalisme absolu éclipse Dieu et adore le veau d’or, tout en menaçant la survie de l’humanité. Le Christ nous invite à arpenter d’autres chemins que l’autoroute (privatisée !) capitaliste. Telle est notre mission de militants de l’amour de Dieu ». Fin de citation.
Pour ma part, j’actualise la lettre de Jacques, qui semble destinée pour une bonne part à des notables juifs, en me référant à l’ouverture du festival d’Avignon avec Les Damnés, pièce visible sur Culturebox jusqu’en janvier 2017. « A travers l’adaptation du scénario des Damnés, le sulfureux et expressionniste film de Luchino Visconti (1969), le metteur en scène belge Ivo van Hove parle d’aujourd’hui. Des attentats terroristes comme de la violence économique, financière, politique, sociale qui lamine nos sociétés en crise ». Pour protéger leurs intérêts, les Essenbeck, maîtres de la sidérurgie ne voient d'autre alternative que de s'allier au régime Nazi et assassinent leur patriarche, le vieux baron Joachim, que cette idée répugne.
Venons alors à l’Evangile.
Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération…
Il me semble que nous devons, devant cette Révélation considérer deux niveaux.
D’abord ce que le Christ a réellement vécu : sa personne, son message montre qu’il est lui-même ce que Dieu veut pour toutes et tous. La vérité est là. Il suffit de suivre ce chemin et pour cela longuement médité et prier avec cette Bonne Nouvelle. Le Royaume est parmi nous.
Ensuite, il importe de se reconnaître disciple du christ, de s’identifier à lui et d’accomplir dans son existence, non la lettre, mais l’esprit de son annonce et de sa pratique. Nous voici à notre tour devant une Révélation que nous cherchons à communiquer. « L’appel à la justice et aux pauvres fait écho au texte de Jacques. L’appel de l’Esprit fait écho au texte du Cantique des cantiques : l’Esprit pousse vers l’Autre et insuffle la créativité, m’avez-vous commenter ».
Je ne souhaite pas présentement reprendre l’ensemble de ce récit transmis par Luc. Pourtant, c’est ce qu’il faudrait faire ; je vous y invite. La lecture de l’Evangile ne peut se faire rapidement ; elle demande d’être reprise, méditée, commentée. Elle peut se faire individuellement, mais elle devient encore plus forte et prenante quand elle est vécue, je dirais en groupe et en couple. C’est une invitation à lire ensemble, Liesse et Goulven, chaque jour ou le plus souvent possible, une page d’Evangile, lire, commenter, étudier, prier et… mettre en pratique.
Or, nous savons que, quand nous prenons au sérieux la Vérité pour en vivre, des ennemis à aimer se présentent. Nous sommes, et vous le signifier en souhaitant vivre le sacrement du mariage, prêtres, prophètes et rois, à la suite de Jésus, notre Unique Maître.