Nous vivons à une époque d'hypocrisie métaphysique où l'être devient le paraître, où le phénomène est le fondement et l'apparence devient la réalité

Publié le par Michel Durand

Nous vivons à une époque d'hypocrisie métaphysique où l'être devient le paraître, où le phénomène est le fondement et l'apparence devient la réalité

Xosé Xulio Rodriguez pour les prêtres de l’Institut du Prado, afin de présenter les grands axes d’une formation permanente en vue de leur mission apostolique, trace un portrait du monde occidental tel qu’il est aujourd’hui. Il m’a paru intéressant pour tous de donner, en ce lieu, ces pages à lire. En effet, pour que nous puissions agir dans le monde au nom de l’Évangile, il convient de bien connaître le monde et de vivre en étant insérés au cœur de ce même monde. Il résulte également qu’une parfaite connaissance de l’Évangile (sans oublier sa pratique) est indispensable à toute personne consciente de son baptême.

L'Église et aussi le Prado doivent aujourd'hui affronter des nouveaux défis. Pour cette raison, les apôtres et les témoins de Jésus Christ doivent actuellement avoir soin, d'une manière spéciale, de la formation pour aller à la rencontre du monde actuel et pouvoir faire la proposition de la foi dans un langage intelligible dans le contexte socio-culturel dans lequel se déroule la vie et s'exerce le ministère apostolique.

Le monde occidental a chassé Dieu de l'environnement culturel et de la vie sociale. Dieu est devenu, spécialement en Europe, un étranger dans notre maison. Cependant, ce Dieu étranger est le Dieu de l'Écriture, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Il est le Dieu de Jésus Christ qui est toujours gênant et surprenant. Voici le grand défi aujourd'hui pour l'Église et pour notre mission pastorale : comment retrouver le Dieu qui interpelle, qui surprend, qui entre en dialogue avec l'humanité, qui conduit l'histoire. Le Dieu de Jésus est vivant et parle aujourd'hui. Celui qui est mort est le Dieu moral, le principe premier de la métaphysique classique. Mais pour que ce message arrive jusqu'à notre environnement culturel, il est nécessaire de décoder des modèles, des types d'expression et de pensée qui sont très enracinés dans notre société : la sécularisation, la culture du relativisme, la culture de l'image, un type de religion qui oscille entre le syncrétisme et le fondamentalisme.

La post-modernité est devenue le cadre de référence qui structure ce que l'on a appelé « la pensée faible » et qui modèle la personnalité d'un secteur important de la population qui nous entoure. Le monde qui apparaît sur les écrans est en train de marquer fortement la vie des gens et de différents groupes sociaux. Nous sommes entrés dans la globalisation de l'information. La communication de masse à travers la presse, la télévision, Internet, le téléphone mobile... est actuellement une véritable invasion.

La culture de l'image peut se comprendre comme l'ère du vide, de la superficialité, de l'immédiat et de l'hédonisme. Règne aujourd'hui une grande confusion autour de ce que l'on considère comme les bases sur lesquelles se construit la personne et tout ce qui existe. Nous vivons à une époque d'hypocrisie métaphysique où l'être devient le paraître, où le phénomène est le fondement et l'apparence devient la réalité. Si l'on réagit ainsi, quiconque peut faire entendre sa voix, car il n'y a pas une parole vraie ou fausse en soi. La vérité dépend du point de vue ou tout simplement de l'opinion de chacun. Dans cette situation, l'éclectisme et le pluralisme deviennent la grande panacée et le fondement de la nouvelle sagesse.

Dans ce contexte, il n'est pas facile de présenter Jésus Christ comme la vérité absolue : Je suis le chemin, la vérité et la vie (Jn 14, 6). Dans beaucoup de milieux, cette prétention peut être perçue comme mie agression face à d'autres compréhensions de la réalité, face à l'autonomie et à la liberté de l'être humain, car rien n'a de valeur universelle. Existe le grand risque de tomber dans un subjectivisme primordial. Les réseaux sociaux, avec leurs multiples profils créés par le sujet incitent et affirment une culture imaginaire qui mène à l'atrophie spirituelle et au vide du cœur. Il y a déjà presque vingt ans, Jean Paul II avertissait : « En cette fin de siècle, nous sommes confrontés au défi de savoir réaliser le passage, si nécessaire, et si urgent, du phénomène au fondement. Il ne suffit pas de rester avec la seule expérience... La Parole de Dieu se réfère continuellement à ce qui surpasse l'expérience et même la pensée de l'homme » (F et R 83).

Un autre défi marqué par la post-modernité, c'est le monde des communications et des nouvelles technologies, qui sont en train d'instaurer, d'une part, un style de vie et une personnalité fragmentaires, et d'autre part, un rythme de vie marqué par un activisme stressant. Cela fait que de très nombreux individus soient accaparés et distraits par ces moyens. De cette manière, il n'est pas facile de réserver des espaces pour la réflexion, le silence et la conscience de son être propre et de sa propre identité. C'est une nouvelle forme d'aliénation.

Internet est devenu un forum universel dans l'espace global où presque tout apparaît. Toutes les connaissances sont à la disposition du public, les bonnes et les mauvaises. Grâce à ce média, on peut dire que nous sommes connectés et empêtrés d'une manière permanente. Ce type de communication pousse à la recherche et à l'échange d'informations éphémères et passagères qui vont être laissées de côté et effacées presque immédiatement, car il est impossible de traiter tout ce qui se reçoit. De cette manière, lorsqu'on parle de tout on ne parle de rien, parce que l'invasion de messages et de voix empêche l'urgence du silence qui est le seul moyen dont dispose la personne pour se retrouver avec elle-même. Notre société craint et fuit cette rencontre, et pour cela lui pose tant d'obstacles. Sans le silence, sans une certaine solitude, il ne peut pas y avoir de vie intérieure ni de véritable signification de la Parole. Par conséquent, la formation et l'éducation de la foi, le soin de la spiritualité, sont un grand défi pour notre ministère et la mission évangélisatrice de l'Église.

Notre formation apostolique a besoin de beaucoup de soins, car l'époque où nous vivons nous demande beaucoup d'attention et beaucoup d'apprentissages pour que l'Évangile puisse être écouté et accueilli de telle manière qu'il puisse prendre racine là où l'indifférence ou l'incrédulité sont en train de gagner du terrain. Nous ne pouvons pas nous contenter de répéter ce que nous étions en train de fane jusqu'à maintenant.

Beaucoup de nos conversations et aussi celles de beaucoup de chrétiens respirent du pessimisme et un certain découragement en voyant comment les églises sont en train de se vider ou sont fréquentées presque uniquement par des personnes d'un âge déjà avancé. On a coutume de dire qu'il faut changer le langage, soigner la communication et la manière de transmettre la foi, s'adapter au temps que nous sommes en train de vivre... Tout cela doit être pris en compte, mais le problème est beaucoup plus profond et plus radical. La question ne réside pas dans le fait que le langage soit déphasé ni non plus dans le fait que nous soyons exclusivement devant un problème de pédagogie ou d'herméneutique de la foi, dans un contexte qui exige le renouvellement du langage (la modernité). Nous nous trouvons face à un problème fondamental qui affecte la grammaire de la foi (la post-modernité). Ce problème-là se trouve dans l'être humain et le tissu social et culturel comme des conditions nécessaires pour la foi. Il ne s'agit pas non plus d'un problème de contenu objectif de la foi, ni de son annonce explicite, ni du témoignage sincère des croyants. Le problème se situe avant tout dans l'homme d'aujourd'hui qui a perdu la capacité d'écouter et d'interpréter, bien que potentiellement il continue à être capable de connaître Dieu et de s'ouvrir à lui.

Nous sommes face à une crise de la foi qui exige de nous que nous cherchions une nouvelle grammaire de la foi après avoir récupéré ses éléments essentiels. Nous ne pouvons oublier que la grammaire de la foi, c'est l'homme. C'est lui qu'il faut conquérir et dont il faut comprendre son langage, sa constitution permanente, ses codes actuels et changeants, pour lui transmettre la foi dans son propre langage et sa propre grammaire.

C'est pour nous un grand défi. La réaction la plus immédiate et spontanée est de condamner et de disqualifier la culture de la post-modernité à cause de ses composants négatifs, de ses insuffisances et de ses attaques contre la foi. Mais nous ne pouvons pas oublier le chemin que choisit le Seigneur pour rendre présent son Règne dans le monde : l'incarnation. Il assume la condition humaine avec ses contradictions, l'histoire avec toutes ses ambiguïtés, et il a tracé le chemin en vue de créer un monde nouveau et un homme nouveau. C'est donc là le chemin que doit suivre l'Église et, en son sein, le Prado qui a, dans le mystère de l'incarnation, la source de sa spiritualité apostolique.

Publié dans Eglise, évangile, Anthropologie

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