Appliquons-nous, en nous, à la création intérieure de la Trinité ; c'est par-là, que nous contribuerons à la naissance de l’humanité
Au cours de la récollection trimestrielle avec mes frères pradosiens, j’ai évoqué la conférence de Maurice Zundel donnée en avril 1973 aux cisterciens de Timadeuc. A-t-on, spirituellement et théologiquement une plus claire interrogation du libéralisme tant économique que sociétal ?
Quand nous entrons en méditation, il ne convient pas de se réfugier dans une bulle de prières dégagées du quotidien, mais de voir lucidement le monde dans lequel nous vivons afin de prendre de prendre à bras le corps les situations à convertir. Les cadres de l’Église disent-ils assez nettement aux catholiques libéraux que le libéralisme du libre marché apporte à l’humanité une liberté homicide ?
Le texte de cette conférence se lit rapidement. Si l’on prend le temps d’écouter la voix de Maurice Zundel, presqu’une heure à cause des minutes de silence à l’intérieur des phrases, on reçoit en plus d’un contenu intelligible, une perception sensible qui aide à mettre l’accent là où il doit être placé. La diction de ce mystique donne à sentir l’importance des vérités énoncées. Après avoir lu, j’ai donc écouté (tout ceci grâce au lien d’internet) et, écoutant, j’ai perçu plus profondément le sens des paroles. Je vous dis tout cela pour vous inviter à prendre le temps d’un cheminement avec Maurice Zundel dont je recopie ici un passage. Il montre que depuis très longtemps l’avènement d’une société industrielle ne respecte pas l’homme dans sa dignité et vérité. Ceux qui ont la chance de se trouver dans les sphères du pouvoir font tout pour y rester et imposent aux travailleurs des conditions de vie inhumaine. Antoine Chevrier l’a observé dès ses premiers pas de prêtre dans la paroisse de Saint-André où les personnes ayant immigré dans le quartier de la Guillotière en quête de travail ne purent trouver leur place au sein de la communauté chrétienne.
Maurice Zundel : Le plus grand crime que l'on puisse commettre, c'est de voler aux hommes leur humanité ; c'est ce qu'a fait le capitalisme libéral, au nom de la liberté-même du contrat. Mais c'était une liberté homicide puisque les ouvriers n'avaient pas le choix, et qu'ils devaient accepter les salaires de famine plutôt que de mourir positivement de faim. Alors, s'est vérifié ce que nous avons vu si souvent : dans l'indignité du traitement qu'il subit, l'homme a pris conscience de sa dignité...
Et, c'est sur ce fondement que Marx s'est appuyé : il a mobilisé le prolétariat contre une situation indigne, mais il était parfaitement incapable de fonder cette dignité. Nous l'avons remarqué constamment : il est facile de s'insurger "contre", il est très difficile de deviner la direction dans laquelle se situe le bien que l'on réclame. Et c'est là, la situation actuelle : on réclame sans cesse la dignité de l'homme, on ne sait pas où la situer, et chacun, finalement, commet ce crime de voler à l'homme son humanité : que ce soit les marxistes, au nom de leur absolu : cette "collectivité" qui n'est "personne" et le monde libre qui ignore lui aussi le sens de la personne, et qui par prétérition, parce que, il n'en parle jamais, laisse périr dans l'homme son humanité.
La plus grande erreur serait de revendiquer cette création intérieure sans la vivre ; et si nous avons à intervenir – et nous avons à intervenir – ça ne peut être que sous cette forme : vivre cette création intérieure, tellement que, elle rayonne sur le monde entier, comme l'a fait Thérèse de Lisieux dans l'obscurité de son couvent, car les biens de l'esprit ne se communiquent qu'en étant vécus. Le plus grand danger justement, que court l'Eglise en ce moment, c'est ce bavardage illimité où l'on se propose toutes sortes de programmes magnifiques, mais sans les vivre !
La création intérieure
Les biens de l'esprit ne se transmettent que dans la mesure où ils sont vécus.
Les biens de l'esprit ne se transmettent que dans la mesure où ils sont vécus. Mourir le fusil à la main, comme Che Guévara c'est très bien, mais après ? Quelle découverte l'humanité va-t-elle faire de ces valeurs? Gandhi devant l'Empire Britannique : qu'est-ce qu'il y avait ? 200.000 anglais, 300.000 anglais ? Qui tenaient en respect cinq cent millions d'hommes. Il aurait été si facile de massacrer ces anglais ! Mais non : vous ne toucherez pas à un de leurs cheveux ! La consigne de Gandhi c'était : il faut les rappeler à leur humanité ; eux aussi sont des hommes, ils sont capables d'atteindre à la conscience de la justice ; il faut leur donner cette chance ; nous pourrons certainement, par des mouvements de passivité qui empêcheront le gouvernement britannique d'avoir barre sur nous, nous pourrons, d'une certaine façon, affirmer notre dignité ; mais la vie de l'anglais doit nous être sacrée, parce qu'il faut l'amener justement à prendre conscience de l'injustice qu'il commet, pour qu'il la répare spontanément.
« Enfonçons-nous donc dans l'épaisseur » comme dit saint Jean de la Croix, et appliquons-nous à cette création intérieure ; c'est par-là que... c'est par-là, que nous contribuerons à la naissance de la véritable humanité.
C'est cette création intérieure, dès lors, que nous allons contempler dans la très Sainte Vierge, qui est à l'origine, précisément de ce monde nouveau, éternellement nouveau, qui jaillit du Cœur de la Très Sainte Trinité ; car la grande nouveauté, c'est cela : c'est la très Sainte Trinité, nouveauté qui ne s'épuise jamais, et qui ne peut que susciter chaque jour un nouvel émerveillement.