L’amour infinie de frère François, amour de la nature et des hommes. Amour de Dieu.
Rédigé le 24 mai 2017 - source de la photo
C’est étrange. Les évènements que j’observe tranquillement de mon lieu de retraité m’apparaissent tous comme étant liés par une unique réalité. Celle de l’écoute, de l’accueil, de l’approfondissement spirituel que favorise le « retirement ». Le tout vécu dans un amour que je n’arrive pas à décrire tant il est différent de ce que, hommes, nous appelons l’amour.
Une confluence des initiatives qui ne peut que me réjouir.
Ainsi, à résurgences, anciennement Confluences, Franck reçoit les avis des artistes retenus pour la biennale d’art sacré actuel, édition 2017. Ils sont déposés dans le site internet qui est proprement dédié à cet événement.
Profond retournement !
N’est-ce pas ce que nous avons tous à vivre quel que soit notre âge ? Mais, plus encore assurément, dans les jours où, marqués par l’âge et (ou) par la maladie, les amis quittent cette terre, appelés que nous sommes tous à rejoindre la réalité de la résurrection. Hier 23 mai, j’apprends la mort d’Olivier de Berranger, rencontré en 64-65 à Rome (Borghesiana-La Selvotta, paroisse pradosienne) pendant la formation, puis à Limonest alors qu’il œuvre au séminaire du Prado et enfin durant toute une année (1985-1986) alors que nous vivions ensemble une ultime ou nouvelle année de formation à l’école d’Antoine Chevrier.
Cet extrait de son testament ne fait qu’un avec les sentiments qui m’habitent ce jour :
« Et que l’Esprit Saint, qui ʺassouplit ce qui est rigide, réchauffe ce qui froid, redresse ce qui est fausséʺ transforme en brindilles de foi, d’espérance et de charité, le petit héritage d’Eglise que Dieu a préservé ou fécondé par le saint ministère qu’il m’a confié. Que les communautés chrétiennes du diocèse veuillent bien se souvenir de moi au moment des défunts, lors de l’Eucharistie qu’elles célébreront après ma mort. La paix soit avec vous tous ».
Profond retournement !
Nécessaire conversion pour que l’Amour soit universellement vécu !
Qu’il est superbe ce texte de François, l’évêque de Rome, s’exprimant sur l’Amour :
« Cependant, de notre prise de conscience relative au poids des circonstances atténuantes – psychologiques, historiques, voire biologiques – il résulte que « sans diminuer la valeur de l’idéal évangélique, il faut accompagner avec miséricorde et patience les étapes possibles de croissance des personnes qui se construisent jour après jour » ouvrant la voie à « la miséricorde du Seigneur qui nous stimule à faire le bien qui est possible ». Je comprends ceux qui préfèrent une pastorale plus rigide qui ne prête à aucune confusion. Mais je crois sincèrement que Jésus Christ veut une Église attentive au bien que l’Esprit répand au milieu de la fragilité : une Mère qui, en même temps qu’elle exprime clairement son enseignement objectif, « ne renonce pas au bien possible, même [si elle] court le risque de se salir avec la boue de la route ». Les Pasteurs, qui proposent aux fidèles l’idéal complet de l’Évangile et la doctrine de l’Église, doivent les aider aussi à assumer la logique de la compassion avec les personnes fragiles et à éviter les persécutions ou les jugements trop durs ou impatients. L’Évangile lui-même nous demande de ne pas juger et de ne pas condamner (cf. Mt 7, 1 ; Lc 6, 37). Jésus « attend que nous renoncions à chercher ces abris personnels ou communautaires qui nous permettent de nous garder distants du cœur des drames humains, afin d’accepter vraiment d’entrer en contact avec l’existence concrète des autres et de connaître la force de la tendresse. Quand nous le faisons, notre vie devient toujours merveilleuse ». (Laetitia amoris, 308).
Je suis persuadé que les œuvres exposées en l’Eglise Saint-André à Lyon pour la biennale d’art sacré actuel, vont nous donner à le sentir.
Mais, la question mérite d’être posée, d’où me viennent toutes ces pensées ?
Sans aucun doute de la lecture de l’œuvre théâtrale de Jacques Copeau, Le Petit Pauvre, Gallimard, 1946. Il y a le projet de présenter cette œuvre à la chapelle du Prado en décembre 2017, selon la mise en scène de Djamel Guesmi ; la troupe Les Tréteaux du monde.
Profond retournement !
Voilà ce qu’à vécu François d’Assise ! Voilà ce que doivent vivre ses parents, la mère, Pica, se montrant plus compréhensive à l’égard de son fils que le père, Bernardone
Bernardone (le père de François) à Pica (la mère) : Vous me faites rire, dame Pica. Nous ne sommes plus au temps des Apôtres. Si mon fils avait eu le goût de se faire prêtre, on même moine, bien que cela ne fut pas dans mes idées, j’aurais accepté sans discuté la chose avec lui. Mais mendiant ! et même plus bas que mendiant, quelle est cette comédie ? Je vous le demande : que prétend-il nous démontrer aves ses haillons, après plus de mille ans de christianisme ?… Passer les jours et les nuits dans des grottes, au risque d’attraper la mort. Se vêtir de loques. S’arroser la tête de cendres. Se faire la risée de la populace. Allons donc ! allons donc ! C’est bien simple, dame Pica : si ce fils que vous m’avez donné ne renonce à ses lubies, j’en mourrai, moi. C’est bien simple, je vous dis que j’en mourrai. Voulez-vous que je meure ?
Pica : Faites un grand effort, Bernardone, pour n’écouter que votre bonté. (p.17)
Quand nous souhaitons nous mettre à l’école de Jésus Christ afin que le monde entier connaisse la joie profonde et le bonheur de l’amour sans faille, qu’avons-nous à vivre ? Comme Bernard, frères de François, « nous nous sommes entendus nommer chacun par notre nom » ; nous nous savons comme les « douze » apôtres. Alors, conscients de nos humbles situations et missions, envahis par l’orgueil nous taraudant de l’intérieur, que peux nous dire Frère François sinon ceci :
Maintenant, allez. Annoncez la paix aux hommes, et prêchez la pénitence pour la rémission des péchés. Soyez patients dans les tribulations, vigilants dans la prière, courageux dans les travaux, modestes dans vos discours, graves dans vos mœurs et reconnaissants des bienfaits reçus. En échange de tout cela vous aurez en partage le Royaume Éternel où vous verrez affluer, pour la dilatation de votre cœur, toutes les âmes auxquelles vous aurez en ce monde méprisable communiqué la vie éternelle.
Et de chanter en chœur :
Alleluia ! Alleluia ! Emitte Spiritum tuum et creabuntur, et renovabis faciem terrae. Alleluia. (Envoie ton Esprit et il se fera une création nouvelle et tu renouvelleras la face de la terre.)
Alors François répondra :
La charité… oui… pour commencer, pour continuer et pour finir… Ah, ah, ah ; mes petits frères, il ne s’agit que de charité… je ne connais pas d’autre terme, il n’y a pas d’autre moyen… oui, je sais que vous y consentez, je sais que vous le voulez… je ne suis pas sûr que vous mesuriez jusqu’à quel point… Ne vous hâtez pas trop de me répondre, ne me faites pas trop vite un signe de tête ou un signe de l’œil… (…)
Dieu ne nous demande pas moins qu’il ne demandait à ses premiers élus. Il nous appelle comme eux. Il nous envoie comme eux, dans le monde. Dans un monde qui a bien fait pis que de ne pas savoir. Il a oublié. Il n’est pas enlisé dans l’ignorance, lui. Il est encroûté dans l’orgueil. Il croit avoir dépassé les vallées de l’ombre. Jamais il ne s’est abreuvé d’autant de ténèbres. Et vous êtes choisis, mes pauvres petits, par frapper à cette porte du monde, plus haute, plus triste et plus insensible que le granit du désert… Allez, cependant, dans votre pauvreté, dans votre faiblesse, dans votre inanité… Allez porter votre sang… Allez mes biens aimés, comme des pèlerins et des étrangers… ne désespérez jamais… jusqu’au sang… jusqu’à la mort… (p. 60-61).
Loin de tout laxisme
Indulgence et tendresse ! Mais aussi exigence. Les moyens doivent être pris pour que soit vécue la conversion. Amour, miséricorde, tendresse, patience… n’engendre pas laxisme ; sinon, la lassitude s’installerait. La lucidité dans ce que nous vivons engendre une grande fermeté dans le désir d’une conversion active et effective. À un prêtre que se reconnait indigne, François, et je pense à toutes les affaires qui troublent en tous sens l’Eglise, souligne :
Oh !… pauvre petit prêtre, comme je te plains !… Que devrait-il y avoir de plus pur, de plus saint, de plus vénérable que celui qui chaque jour prend dans ses mains, pour les consommer et les donner aux fidèles, le corps et le sang de Jésus ? Mon pauvre frère, je pleure sur toi. Mais, je dis à tous, ici, que rien ne saurait altérer entre tes mains, qui touchent le Verbe de Vie, leur pouvoir surnaturel. Il peut perdre son âme, hélas ! Il ne peut pas ne pas nous aider à sauver la nôtre. En l’honneur de Dieu, j’honore son prêtre, même indigne. (p. 80)
Parmi ses frères, il y en avait qui développaient une vocation d’enseignants. À Bologne, une école s’était ouverte et à la mort de François (1226), des franciscains envahirent l’Université. Tel n’était pas le désir du Petit Pauvre. Alors, au philosophe, on comprend qu’il puisse dire :
Contente-toi de baisser profondément la tête… Sèche tes larmes menteuses… Qu’as-tu donné ?… N’attends pas un instant. Donne tout. Les pauvres sont là. Des œuvres ! des œuvres ! Et peut-être qu’un jour l’Ange de l’Écriture viendra te saisir aux cheveux et te déposer dans la fosse, porteur d’un peu de nourriture pour ceux qui meurent d’inanition… (p. 81)
Il convient d’éclaire cette citation. Il s’agit du récit de Daniel dans la fosse aux lions Daniel 14, 32-39 :
Dans la fosse, il y avait sept lions, à qui l’on donnait chaque jour deux corps humains et deux moutons ; mais, pour qu’ils mangent Daniel, on ne leur donna rien. Il y avait alors en Judée le prophète Habacuc. Il venait de faire cuire une bouillie et de mettre des petits morceaux de pain dans une corbeille, pour aller les porter aux moissonneurs dans les champs. L’ange du Seigneur dit à Habacuc : « Le repas que tu tiens, porte-le à Babylone, à Daniel, dans la fosse aux lions. » Habacuc dit : « Seigneur, je n’ai jamais vu Babylone et je ne connais pas la fosse. » L’ange du Seigneur le saisit par le sommet de la tête, le porta par les cheveux et, dans la violence de son souffle, le déposa à Babylone au-dessus de la fosse. Habacuc cria : « Daniel, Daniel, prends le repas que Dieu t’envoie ! » Daniel dit alors : « Tu t’es souvenu de moi, mon Dieu ; tu n’abandonnes pas ceux qui t’aiment. » Il se leva et mangea. L’ange de Dieu ramena aussitôt Habacuc à l’endroit d’où il venait.
Nous arrivons à la fin de la pièce de Jacques Copeau.
François est revenu d’Orient. On en parle peu. Les regards sont attirés sur la fatigue du pauvre volontaire d’Assise. Il se meurt.
Cependant je m’en vais. Vivez en paix, mes biens aimés. Moi, je m’en vais. Mon corps se sépare de vous, mais je vous laisse tout mon cœur… Adieu, adieu, adieu à vous tous et à toutes les choses d’ici !
Adieu Sainte Montagne, adieu Alverne, adieu montagne des Anges ! Adieu mon cher frère le faucon qui avais coutume de me réveiller avec ton cri. Adieu charmants oiseaux qui m’avait accueilli. Adieu grande pierre sous laquelle j’ai tant prié. Jamais, jamais plus je ne te reverrai… Tu es le Fort, tu es le Grand, tu es le plus Haut…
Adieu, montagne divine, montagne sainte, montage fertile, où il plut à Dieu de faire sa demeure !… (p.131)
N’est-ce pas dans ces pages que l’on découvre pleinement les raisons qui font que François soit considéré, même par les éloignés des Eglises, comme le patron de l’écologie ?
Se séparer de la mère Terre, se séparer des amis des gens que l’on aime, ce n’est pas facile. Il est certes souhaitable que la séparation se fasse en dehors de toute souffrance atroce. Mais, que dire si les médecines endorment jusqu’à la possibilité de penser, de se souvenir, d’aimer encore, malgré tout ? Mais aussi, que dire si l’agonie étouffe la prière ? Je repense à Bernanos, au Dialogue des Carmélites. La mort de la Mère-Prieure plonge dans une atroce et bouleversante agonie. Olivier Py, metteur en scène, l’a bien rendu (décembre 2013). « L’agonie de cette femme qui s’est préparée toute sa vie au rendez-vous avec Dieu, et qui, au pied du mur (au pied de la Croix), dans sa prison de draps d’un blanc janséniste, succombe à la panique face à l’inéluctable ». Cette agonie est entièrement troublante ; bien mise en théâtre par la tragédienne.
Ce que l’on sait de la mort de François est tout autre :
Merci… Voilà, Dieu m’appelle. Je pardonne à tous mes frères. Je les bénis autant que je puis, et même encore plus que je ne puis… Et tous ceux qui ne sont pas présents, portez-leur ma bénédiction, et tous ceux qui, dans l’avenir, viendront se joindre à vous, bénissez-les en mon nom…
J’ai entendu couler la source, bruire le feuillage nouveau et se succéder les saisons. Vous m’aviez invité, Seigneur, à ce concert. J’ai fait ce que j’ai pu, Seigneur, dans ce concert. Et maintenant je pars…
Bernard : La joie parfaite ?
François : Oui, oui, oui, bientôt… (P. 144-145)
Le courriel du Prado nous informe de la mort d’Olivier en ces termes : « Notre ami Olivier de Berranger nous a quitté dans le courant de la nuit. Il est parti dans la paix et la sérénité. Nous restons unis dans la prière.
Que l’on laisse alors chanter les chœurs. Qu’ils résonnent sur toute l’étendue de la Terre et de l’univers entier :
Et loué sois-tu, Seigneur, pour nos sœurs la lune et les étoiles,
Que tu as créés au ciel, claires précieuses et belles !
Et loué sois-tu, Seigneur, pour notre frère le vent,
Et pour l’air et les nuages, et pour le serein et pour tous les temps,
Au moyen desquels tu donnes soutien à tes créature !
Et loué sois-tu, mon Seigneur, pour notre sœur l’eau,
qui es très utile, et humble et chaste !
Et loué sois-tu, mon Seigneur, pour notre frère le feu
Au moyen duquel tu éclaires la nuit,
Et qui est beau et joyeux, et robuste et fort !
Et loué sois-tu, mon Seigneur, pour notre sœur, la mère Terre,
Qui nous entretient et supporte,
Et produit les divers fruits, et les fleurs colorées, et les arbres !
Louez et bénissez le Seigneur, et rendez-lui grâce,
Et servez-le avec humilité !
François :
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour notre sœur la mort corporelle,
A qui nul homme vivant ne peur échapper !
Malheureux seulement ceux qui meurent en péché mortel ;
Mais bienheureux ceux qui ont accompli tes très saintes volontés…
Léon !
Quand l’hiver sera là, mon petit frère Léon, veille bien à ce qu’on n’oublie pas mes sœurs abeilles, et qu’on leur porte un peu de miel dans leurs ruches. (144-145)
« Et nous, les frères mineurs, tes serviteurs inutiles, nous prions et conjurons humblement tous ceux qui veulent servir Dieu dans la sainte Eglise catholique, tous ceux qui vivent dans l’état ecclésiastique, tous les prêtres, diacres, sous-diacres, acolytes, exorcistes, lecteurs, ostiaires, et tous les clercs, tous les moines et toutes les nonnes, et tous les enfants, petits garçons et petites filles, et tous les pauvres nécessiteux, et les rois et les princes, et les ouvriers, les paysans, les serviteurs et les maîtres, et toutes les vierges, tous les continents et tous ceux qui vivent en état de mariage, tous les laïcs, hommes et femmes, jeunes gens et vieillards, bien portants et malades, petits et grands, appartenant à toutes les nations et parlant toutes les langues, en un mot tous les hommes qui vivent à présent ou qui vivront ensuite, nous les supplions humblement de persévérer dans la véritable foi et la conversion, car il n’y a pas d’autres moyens d’être sauvé. Et que tous, de tout notre cœur, de toute notre âme, et de toutes nos forces corporelles et spirituelles, de toute notre raison ; de toutes nos facultés, de tout notre amour, de tout notre être intime, nous aimions le Seigneur notre Dieu, qui nous a fait don, à tous, de tout notre corps et toute notre âme, et de toute notre vie, et qui continue à nous en faire don, qui nous a créés et qui nous a rachetés, et qui, maintenant encore, par pur compassion, veut nous sauver, et qui a pardonné et pardonne journellement, aux misérables, paresseux, puants, ingrats, et mauvais vauriens que nous sommes ! Amen » (p.147).