Évêques séparés entre une approche pastorale « essentiellement liturgique et sacramentelle » et une autre marquée par l’engagement social
Pour que les orientations pastorales de François s’inscrivent durablement dans la vie de l’Église, il me semble que son successeur aura une lourde tâche à accomplir. Autrement dit, la suite de François devra se situer dans la même ligne afin de consolider les bases engagées. Certes, on va m’objecter que ce n’est pas les efforts humains qui importent, mais le regard de Dieu et de l’Esprit Saint sur la vie de son Église.
N’empêche que nous pouvons entendre un évêque dire qu’il n’est pas obligé de suivre les chemins de son prédécesseur.
Le visage de l’Église est nécessairement modelé par les choix du pape, évêque de Rome. Cela passe par la nomination des évêques. L’histoire d’une vie montre, même dans les nuances, le profil voulu par le chef suprême. L’observation est encore plus évidente dans l’observation de toute l’Histoire.
Ceci exprimé, lisons l’article publié dans La Croix le 18 janvier 2018. Si la politique de nomination de l’actuel pape n’est pas suivie dans les années par le nouveau cardinal élu, de graves situations conflictuelles vont se présenter.
Je ne peux cacher que le parallélisme Opus Dei / Prado a joué dans le fait que je lise et relise attentivement cette page de La Croix.
Au Pérou, François arrive dans une Église divisée et fragilisée
Tandis que la grâce présidentielle accordée à l’ancien président Alberto Fujimori divise l’épiscopat, le Vatican vient de mettre sous tutelle le mouvement péruvien Sodalicio, dont le fondateur Luis Fernando Figari est au cœur d’une enquête pour pédophilie.
« L’Église ici a les défauts de la société péruvienne, notamment sa division et sa crise du leadership. » Le jésuite José Enrique Rodriguez, supérieur de la communauté de San Pedro, dans la basilique baroque du même nom, a des mots sévères. De fait, l’épiscopat péruvien apparaît plus que jamais divisé, après la grâce présidentielle accordée le 24 décembre dernier par l’actuel président, Pedro Pablo Kuczynski, surnommé PPK, à l’ancien président Alberto Fujimori, emprisonné « pour corruption et crimes contre l’humanité (1) ».
Ainsi, l’archevêque de Trujillo (où le pape se rend le 20 janvier), Mgr Héctor Miguel Cabrejos Vidarte, a parlé de cette grâce présidentielle comme d’« un compromis politique mettant les institutions du pays en danger ». Sur ce sujet comme sur d’autres, il s’oppose au cardinal Juan Luis Cipriani Thorne, archevêque de Lima et premier cardinal issu de l’Opus Dei, qui s’est toujours montré proche de Fujimori. Conscient de ces divisions, le pape a demandé, dans son message au Pérou du 8 janvier, de « travailler dans l’unité et dans l’espérance ».
La Conférence des évêques du Pérou (CEP) est traversée par d’autres lignes de fracture, entre une approche pastorale « essentiellement liturgique et sacramentelle » et une autre marquée par l’engagement social, comme le rappelle le père Jorge Alvarez Calderon, prêtre du Prado formé à Lyon dans les années 1960. « Jusque dans les années 1980, la majorité des évêques soutenait l’option préférentielle pour les pauvres et le dialogue avec les cultures quechua (langue parlée par 15 % des Péruviens) et aymara, explique-t-il. Mais sous Jean-Paul II puis Benoît XVI, des évêques d’une tout autre vision théologique ont été nommés. »
Parmi les 48 évêques péruviens en activité, une quinzaine appartient à des mouvements réputés conservateurs, tels l’Opus Dei, le Néocatéchuménat et Sodalitium Christianae Vitae, ou Sodalicio. Cette société de vie apostolique (reconnue de droit pontifical en 1997), critiquée pour l’extrême rigueur de ses méthodes de recrutement et d’éducation, a été placée sous tutelle par le Vatican le 10 janvier. Outre son fondateur péruvien, Luis Fernando Figari, condamné en 2015 pour « abus sexuels sur mineurs », plusieurs autres membres ont été mis en examen par la justice péruvienne, en décembre dernier, pour « association de malfaiteurs en vue de commettre des abus sexuels, physiques et psychologiques ».
Or ces évêques disposent d’importants moyens financiers, leur permettant de créer des médias, des universités et des séminaires. Selon le père Calderon Alvarez, ils auraient formé « 80 % du clergé péruvien ». Dès lors, les évêques récemment nommés par le pape François éprouveraient des difficultés à entreprendre les réformes qu’ils souhaitent. Pour le frère Francisco Puma Aluna, missionnaire dans le sanctuaire populaire de la Sanctisima Trinidad, au centre de Lima, il faudrait d’abord « ouvrir les séminaires sur l’extérieur ». Il faudrait également former et accompagner les laïcs « souvent chargés d’une responsabilité sans recevoir la moindre formation théologique », regrette le père Calderon Alvarez.
Certains regrettent aussi que la pastorale, « trop centrée sur les sacrements et la liturgie », ait contribué à éloigner la jeunesse qui se tourne vers « des Églises évangéliques, plus attirantes, plus participatives », selon Franklin Ibanez, enseignant de philosophie à l’Université catholique de Lima. Après des années de conflit avec le cardinal Cipriani, cette université, connue sous le nom de PUCP, a retrouvé en 2016 ses titres de « catholique » et de « pontificale ».
Claire Lesegretain
La Croix le 18 janvier 2018.