Parler de l’Église, corps du ressuscité, n’est possible que si, dans le quotidien, nous concrétisons l’amour source de la nouvelle humanité
« Des foules d’hommes et de femmes, en devenant croyants, s’attachèrent au Seigneur » (Ac 5, 12-16)
Ps 117 (118), 2-4, 22-24, 25-27 : Rendez grâce au Seigneur : il est bon ! Éternel est son amour !
« J’étais mort, et me voilà vivant pour les siècles des siècles » (Ap 1, 9-11a.12-13.17-19)
« Huit jours plus tard, Jésus vient » (Jn 20, 19-31)
La résurrection ?
Même si cela choque les chrétiens qui disent n’avoir aucun doute en ce domaine, à propos de la résurrection de Jésus, je pense qu’il est préférable de dire que nous sommes agnostiques. Nous ne connaissons pas, nous ne savons pas. Nous croyons, seulement. Nous ne faisons qu’espérer en notre propre résurrection à la suite de celle du Christ et nous sommes bien obligés d’avouer que nous ignorons tout de la réalité de cette résurrection.
Saint Paul a d’abord cru qu’il assisterait de son vivant au retour de Jésus ressuscité. À la fin de sa vie, il avoue ne plus vouloir discuter de la manière dont se passe, se passera la résurrection. Du reste, il est rare que les écrits des apôtres s’intéressent à la nature du corps du ressuscité.
L’Évangile de Jean que nous venons d’entendre est plutôt une exception. Jésus, le Ressuscité, s’offre au toucher de Thomas. Plus exactement, il provoque ce toucher :
« avance ta main et mets-la dans mon côté ».
L’épisode est tellement extraordinaire qu’il n’a pu être inventé. On invente ce qui est plaisant, non ce qui dérange. À vue humaine, cette invitation à toucher me semble plutôt incorrecte.
Nous connaissons un autre passage des Évangiles ou Jésus recommande à Marie Madeleine l’inverse :
« Ne me touche pas ».« Ne me retiens pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Jn 20,17
Pouvons-nous expliquer cette contradiction ?
Une fois qu’elle le reconnaît, Marie Madeleine croit que Jésus est le Maître, le Ressuscité, le Seigneur. Sa contemplation est suffisante. Elle croit. Elle voit. Surtout, elle découvre, selon le point de vue de Jésus, qu’il importe de ne pas essayer de retenir Celui qui monte vers le Père car il est donné à tous. Une seule personne, dont on peut très bien comprendre qu’elle souhaiterait le tenir dans ses bras, ne peut se l’accaparer à elle toute seule.
Thomas, lui, ne croit pas que le crucifié et le ressuscité puisse être le même personnage. Alors Jésus lui offre de toucher ses plaies. Celles-ci deviennent une preuve à laquelle il accepte de se soumettre. L’évangéliste, relatant cet événement, veut montrer que Jésus est bien vivant. Il est le même, tout en étant différent. Il parle et on peut lui parler. On peut aussi le prier, le louer. Le corps du Christ est bel et bien visible, touchable. Ce n’est pas un fantôme. C’est un être vivant qui entre en relation avec ses amis, qui mange avec eux. Jean parle avec réalisme du corps personnel du Ressuscité.
D’autres apôtres utilisent un langage différent pour parler du Ressuscité.
Paul, par exemple, est plus symbolique. Sans omettre la réalité personnelle et corporelle du Seigneur, il présente le corps de Jésus en parlant de l’Église fondée par le Ressuscité. Elle est le corps du Maître de l’Univers composé de l’ensemble des fidèles du Christ dans la mesure où, ayant des liens entre eux, ces fidèles sont en lien avec le Christ Ressuscité. Diverses images expriment ce lien : le Christ est la tête du corps qui est l’Église. Le Christ est l’époux alors que l’Église est l’épouse. L’Église épouse est le véritable corps du Christ ressuscité, une création nouvelle qui va engendrer un monde nouveau. Un nouvel Adam, une humanité nouvelle, parfaite. Le Christ est la tête : principe de la nouvelle création, initiateur de la vie dans l’Esprit. Christ ressuscité renouvelle l’existence humaine.
Toutes ces images apportent une vision du ressuscité qui englobe l’ensemble de l’humanité greffée sur le Christ. Il y a contemplation du Ressuscité quand nous voyons, très concrètement, le renouvellement du monde. Un monde nouveau dont le Christ est la tête. Tel est le message du livre des Actes des Apôtres, la première lecture de ce jour.
« de plus en plus, des foules d’hommes et de femmes, en devenant croyants, s’attachaient au Seigneur… Et tous étaient guéris ».
Cette vision de la société est idyllique, me direz-vous. J’en conviens. Du reste, l’expérience de la communauté de Jérusalem n’a pas tenu. N’empêche qu’elle demeure une utopie montrant la direction à suivre :
« nul n’était dans la misère ».
C’est cette fraternité qui montre le Ressuscité. Parler de « l’Église, corps du Christ ressuscité », n’est possible que dans la mesure où des hommes, des femmes, dans leur existence quotidienne concrétisent l’amour qui crée ce corps nouveau, ouvert sur la vie nouvelle. On reconnaissait les premiers chrétiens au respect qu’ils avaient les uns pour les autres.
« Voyez comme ils s’aiment, disait-on d’eux ».
Et quand cet amour venait à manquer, Paul passe aux avertissements. Ainsi, lorsque les chrétiens de Corinthe ne partagent pas avec leurs frères qui sont dans le besoin le repas qu’ils ont apporté pour l’eucharistie, il leur reproche de ne pas discerner le corps du Seigneur.
Autrement dit, le renouvellement du monde passe autant par les évènements du salut, actualisé dans le culte, que par les menues actions quotidiennes qui traduisent l’attention fraternelle de Dieu pour tous. Actions cultuelles et actions quotidiennes ne vont pas l’une sans l’autre puisqu’il s’agit du même corps, l’Humanité – Église, corps du ressuscité.
Appartenir à l’Église en contemplant le Ressuscité, c’est participer, à la suite de Jésus, à la transformation du monde. Le Ressuscité apporte un monde nouveau que l’Église, corps du Christ, met, quotidiennement, en œuvre.