Ordonner prêtre un(e) sage du quartier
Ce que je pense est tellement rêveur qu'il serait assurément plus sage de ne rien écrire. Mais, voilà... Le ridicule ne m'ayant pas encore tué, j'ose étaler sur le papier (virtuel) mes pensées en les offrant à lire.
Je suis influencé dans cette réflexion par la pratique de l'Islam. Le premier contact que j'ai eu avec cette religion, c'était pendant mes deux années de coopération à Abidjan au milieu des années 60. A Port-Boué, notamment, à l'époque bidonville installé sur le cordon lagunaire, pas très loin du collège des Pères Assomptionnistes où j'étais enseignant, j'ai observé les commerçants venus du Nord - pays musulmans depuis plusieurs siècles - qui, en plus de leur commerce, enseignaient le Coran. C'est par eux, en parti, que l'Islam s'est propagé en Côte d'Ivoire.
Soyons honnêtes. Ce que je dis là, ce n'est peut-être qu'une impression. Je ne suis jamais retourné en Côte d'Ivoire et je ne prends pas le temps de contrôler dans les livres d'Histoire la vérité de mes affirmations. Tout avis plus sérieux et mieux documenté est complètement dans son droit en me corrigeant.
Pourtant, je pense ne pas me tromper en affirmant que les Dioulas, mais pas seulement eux, il y avait aussi des ressortissants de Haute-Volta (Burkina-Fasso) spontanément, avec leur marchandise, transmettaient la foi du Prophète Mohamed. A Abidjan, on voyait aussi, aux frontières de la ville, de nombreux Peuls avec leurs troupeaux de zèbus et des Mauritaniens.
Transmission spontanée, sans mandat hiérarchique.
En effet, le fait qu'il n'y ait pas de clergé instauré selon une organisation pyramidale donne possibilité à toute personne sensible à la foi musulmane reçue des parents d'organiser une communauté priante pour mettre en œuvre les cinq prières quotidiennes et les services qui les l'accompagnent.
J'ai souvent observé cela dans les petits villages du Sahara où la société villageoise (le quartier) se réunit dans une mosquée qui peut se réduire à un tracé de pierres sur le sol (terre, cailloux ou sable).
Bref, je laisse aux spécialistes tout loisir de me contester.
Venons-en à la pointe de ma pensée : Et les Chrétiens ?
Je pense que dans les deux premiers siècles de la vie de la communauté des disciples du Christ, il devait y avoir une organisation semblable à partir de ses propres membres.
Les exégètes chrétiens ont publié de nombreuses études sur la Communauté décrite dans les Actes des Apôtres (Ac 2, 42 ss).
« Tous s'appliquaient fidèlement à écouter l'enseignement que donnaient les apôtres, à vivre dans la communion fraternelle, à prendre part aux repas communs et à participer aux prières. Chacun ressentait de la crainte, car Dieu accomplissait beaucoup de prodiges et de miracles par l'intermédiaire des apôtres. Tous les croyants étaient unis et partageaient entre eux tout ce qu'ils possédaient. Ils vendaient leurs propriétés et leurs biens et répartissaient l'argent ainsi obtenu entre tous, en tenant compte des besoins de chacun. Chaque jour, régulièrement, ils se réunissaient dans le temple, ils prenaient leurs repas ensemble dans leurs maisons et mangeaient leur nourriture avec joie et simplicité de coeur. Ils louaient Dieu et ils étaient estimés par tout le monde. Et le Seigneur ajoutait chaque jour à leur groupe ceux qu'il amenait au salut. »
Ce qui a démarré à Jérusalem s'est, sans aucun doute, propagé dans d'autres villes et villages.
A quelle vitesse une organisation hiérarchique s'est-elle mise en place ?
Les premiers prêtres ne sont que des anciens envers qui leur façon de vivre en famille donnait une telle confiance qu'on pouvait les solliciter pour gérer une petite communauté : de simples surveillants (épiscopes = évêques) envers qui l'on avait confiance.
Encore une fois, je vous incite à vous tourner vers les spécialistes théologiens qui sont fiables et abondants sur ces questions pas toujours faciles à ordonner historiquement. Mais, continuons.
Il me semble que la rencontre de l'Eglise apostolique avec l'Etat romain a influencé son organisation sous un monde hiérarchique, le IVème siècle connaissant par le pouvoir en place la reconnaissance officielle de l'Eglise du Christ. L'influence est indéniable quand la Cour impériale de Constantinople sert de modèle : voir la mosaïque de Saint-Vitale à Ravenne où l'Empereur, Justinien, l'Impératrice, Théodora, l'Evêque, Maximilien collaborent à l'offrande eucharistique. Pouvait-il en être autrement ? Qui peut répondre sans refaire l'Histoire ?
Cette question, je me la pose avec les problèmes que rencontra l'Eglise Africaine (et également l'Eglise Egyptienne - Copte) sous les Pouvoir(s) romain et byzantin.
Les Eglises autochtones voyaient d'un mauvais œil l'Etat chrétien impérial se servir de leur terre pour en faire un grenier à blé alimentant d'abord Rome, puis Constantinople. Le Chrétien donatien de Timgad, d'Hippone, etc... avait tendance à se révolter contre le Pouvoir central.
Défendant leur point de vue forgé à partir de la Communauté locale, ils tombèrent dans l'hérésie. Augustin, évêque d'Hippone, résout le problème en faisant appel à l'Empereur et à son armée. Une répression.
Et si les Evêques donatiens, proches du petit peuple des campagnes, n'avaient eu que le souci de défendre les plus pauvres, comme le demande l'Evangile ainsi que l'a très nettement rappelé Vatican II ?...
Un débat que j'aimerais bien voir s'ouvrir.
Mon hypothèse est donc celle-ci :
La Communauté chrétienne actuelle ne demeurera proche des hommes et des femmes de son temps, ne se rapprochera de la société contemporaine que si elle reste plongée en son sein.
Pourquoi modeler selon un style monastique (même dans les communautés dites nouvelles) les « surveillants » de chaque communauté ?
Pourquoi ne pas offrir toute une palette de prêtres, célibataires ou non, issus de diverses cultures, certains experts en théologie, d'autres non, mais tous assidus à l'écoute des Apôtres : transmettant l'Evangile ?
Je pense que si l'on mettait au centre de la gérance de l'Eglise des représentants des pauvres (économiquement, culturellement), la question de la formation des prêtres se poserait autrement...
Georges Arnold - ancien Supérieur du PRADO - soulève le problème. En 1968, il a accompagné des militants ouvriers (JOC) qui voulaient devenir prêtres. Il note qu'ils rencontrent des difficultés : « On veut les faire rentrer dans le moule, sans plus tenir compte de leur riche expérience ouvrière ». On veut leur imposer la culture bourgeoise, classique, unique modèle pour la formation du clergé ».
Ils écrivent aux évêques responsables de la formation.
« Nous avons trop vu de jeunes ouvriers incapables de tenir au séminaire, non par lâcheté, mais par difficulté d'entrer dans un monde étranger. Et nous savons combien de jeunes du monde ouvrier, authentiquement appelés par le Seigneur, refusent et refuseront de plus en plus, peut-être, de se faire étrangers à leur monde pour devenir prêtres. ».
La question demeure.
Ne suffirait-il pas d'ordonner prêtre un(e) sage du quartier ?