Je me souviens, la messe... par Jacques Noyer

Publié le par Michel Durand

Le Congrès eucharistique de Québec m'amène à me souvenir...
  • Témoigange de Jacques Noyer,
  • évêque émérite d'Amiens
  •    voir Témoignage Chretien du 3 juillet 08
Dans les années 1950, jeunes étudiants en théologie à Rome, nous nous moquions : « la messe est la petite cérémonie du matin où est consacrée la grande hostie pour le salut du soir ». Chacun dit sa messe en latin, figé dans ses rubriques, quasiment seul, pressé par le temps. C'est l'un des exercices spirituels qui meublent la journée. L'après-midi au contraire après les vêpres, le grand orgue accueille le cardinal pour le salut. Les yeux se portent sur lui avant qu'il ne s'agenouille devant le Saint Sacrement. Le Saint Sacrement, c'est une Hostie qu'on adore, une Hostie qu'on porte en procession, une Hostie qui est Dieu.
Arrive le Concile. En quelques mois, tout est changé. La concélébration fait de la messe une démarche fraternelle. Le français permet aux mots de devenir parole. Le « face au peuple » permet aux gestes de se charger de sens. Les fidèles peuvent s'exprimer. Des laïcs montent à l'ambon. On peut inventer des prières. La Messe est bien la Source et le Sommet de la vie de l'Église. Il s'y passe quelque chose : Jésus se donne et son corps prend forme pour le salut de tous les hommes.
Mais vite, l'Église de France va se scinder en deux : le culte et la mission. Autour de la liturgie une église dit sa fidélité et sa vitalité dans des célébrations dynamiques, joyeuses, renouvelées et libres. Ailleurs, dans ce qu'on appelle le monde, une église a rejoint les plus pauvres pour annoncer un monde nouveau. Là, la générosité des pasteurs se nourrit de messes dépouillées et austères. Un verre de vin et un morceau de pain sur la table de la cuisine suffisent pour dire le mystère d'une église « servante et pauvre ». Les deux églises ont du mal à coexister, chacune regarde l'autre avec méfiance sinon avec mépris.
Quand le mur de Berlin tombe, l'avenir cesse d'être ce qu'il était. Le culte et la mission cessent de s'opposer pour s'enrichir mutuellement et se rapprocher. La pastorale sacramentelle devient missionnaire. On prend conscience que la messe dit trop pour beaucoup. Des célébrations plus simples, avec des mots plus faciles, permettant des expressions plus sincères paraissent mieux adaptées. La liturgie de la Parole, est valorisée comme rencontre de Dieu laissant plus de liberté à la réponse de chacun. L'Eucharistie proprement dite est réservée aux croyants qui savent mieux exprimer leur foi par leurs mots ou par leurs engagements. La messe aux mariages et aux enterrements, devient un privilège.
Mais bien vite ce n'est pas seulement l'exigence de vérité qui va rendre la messe plus rare mais le manque dramatique de prêtres pour la célébrer. Les prêtres restant sont rapatriés sur les paroisses et le culte. Les militants les plus engagés sont mobilisés pour la liturgie. Pour préparer les esprits à des jours de disette plus graves, on anticipe pour préparer des solutions de remplacement. Les regroupements paroissiaux contribuent à rendre les messes plus rares et plus lointaines.
Aujourd'hui le Congrès de Québec va proclamer l'Eucharistie comme le cœur de la vie chrétienne. Les théologiens vont tenir des propos à la fois prudents et audacieux comme d'habitude. Des expériences diverses seront partagées. On adorera. On célébrera des liturgies très vivantes et très conformes. On acclamera le légat du pape. On n'attendra pas d'initiatives qui rendraient l'eucharistie plus accessible. Pourtant Rome ne se tait pas. Le pape semble nous dire qu'il serait bon de retrouver les rites de 1950, le latin, le sacré, le silence, l'agenouillement, la bouche ouverte pour communier, les yeux dans la même direction. Est-ce un retour au point de départ ? Non, car à la différence d'hier, ces fidèles si dévots ne seront plus qu'une poignée de bons chrétiens, satisfaits de leur vertu et fiers de leur austérité. Ce serait dramatique s'ils se réservaient l'Eucharistie authentique, si le temps devait se terminer avec ce retour à la case départ.
Heureusement il n'en est rien. L'histoire d'un demi-siècle que je viens d'évoquer prouve que jamais rien n'est aussi figé qu'on peut le croire. L'inattendu est possible. Nos communautés très diverses restent grosses d'initiatives nouvelles. Les vieux grognards qui ont célébré l'Eucharistie sous des formes si différentes sourient quand on leur parle de la messe de toujours. Même si parfois ils souffrent de tant d'efforts gâchés, de tant de rêves anéantis, ils continuent à célébrer l'Eucharistie comme la promesse d'un monde nouveau.



Publié dans Eglise

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