Pompe et liturgie

Publié le par Michel Durand

Les médias parlent avec beaucoup de bonheur de la visite de Benoît XVI en France. Le voyage est positif, ce pape méconnus, sur lequel les a priori se multiplient, se laisse enfin découvrir alliant exigence et simplicité. Michel Kubler écrit que les deux principaux objectifs du voyage, se faire connaître aux Français en prenant la parole à Paris et être pèlerin à Lourdes ont été rejoints très positivement : « l'engagement personnel du pape, tout au long de ce séjour, aura permis de ledécouvrir sous un jour largement insoupçonné ».
Il semblerait même, devant l'enthousiasme général, qu'un regard posant quelques questions relèverait du politiquement et religieusement incorrect.
Je dois avouer que j'ai du mal à ne pas me questionner. Ceci, au nom de l'Evangile. En effet, alors que l'amour demande à se concrétiser dans et par une intense proximité, alors que le « tous frères » de l'Evangile sollicite l'union dans le même baptême, les images de séparation clergés - fidèles, s'intensifient, se multiplient. Certes une scénographie pour 200 000 personnes ne peut se concevoir comme pour 200. Mais a-t-on cherché à signifier l'union de tous dans l'unique baptême ou la différence hiérarchique ?
 Des amis prêtres du Prado ont attiré l'attention sur la
hauteur de la mitre de Benoît XVI. Il semblerait qu'à chaque présentation au public celle-ci augmente de 2 cm. Ayant relu ma théologie en étudiant les productions artistiques à travers les siècles, je suis très sensible aux signifiants inclus dans les diverses mises en scène plastique. D'où mon intérêt pour l'entretien de Sabine Gignoux avec Jean Delumeau. (La Croix du 14 septembre 2008)

ENTRETIEN  de Jean Delumeau, historien du christianisme, membre de l'Institut

« Un certain retour au décor tridentin»

L'historien Jean Delumeau décrypte le goût de Benoît XVI pour un certain décorum

Le pape Benoît XVI a réhabilité une certaine pompe, tant dans ses apparitions publiques que lors des célébrations liturgiques, qui tranche avec ses prédécesseurs. Comment l'historien que vous êtes analyse-t-il ce choix ?

JEAN DELUMEAU : Parfois simplement vêtu de blanc, Benoît XVI manifeste aussi un certain goût pour les dentelles, les mules, le camail (NDLR: pèlerine sans capuche) pourpre qu'il portait, par exemple, pour sa venue à l'Institut de France. Cette recherche vestimentaire, ces vêtements liturgiques parfois assez somptueux témoignent à mes yeux d'un retour à l'Église tridentine. Il ne reflète ni l'Église médiévale ni l'Église monastique dont le pape a pourtant fait l'éloge dans son discours aux Bernardins. Mais il s'inscrit bien dans la tradition de cette Église qui, après le concile de Trente et l'épreuve de la Réforme, s'est réaffirmée aux XVIe et XVIIe siècles dans une forme d'exaltation victorieuse, relançant les pèlerinages, les Iiturgies compliquées et longues, tout un cérémonial fait de faste et de pompe. Après tout, si elle avait perdu des fidèles en Europe, l'Église catholique n'en avait-elle pas gagné partout ailleurs ? Pour la première fois, elle pouvait rayonner véritablement au niveau mondial.

Pourquoi Benoît XVI y serait-il particulièrement sensible ?
Je note que s'il y a deux zones où la Contre-Réforme s'est épanouie au superlatif, avec un baroque particulièrement riche, c'est le Mexique et la Bavière, région natale de Benoît XVI ! Cette Église qu'il réhabilite, c'est donc celle qui l'a sans doute ébloui, enfant. Quand vous entrez dans certaines églises de Bavière, vous êtes abasourdi.

Ce retour à une certaine tradition d'une Église triomphante vous paraît-il adapté au contexte d'aujourd'hui ?
Là, j'avoue que je m'interroge, malgré toute la sympathie que ce pape m'inspire. Cette pompe ne me paraît pas correspondre d'ailleurs à la vraie simplicité, au sourire bienveillant, et même à la timidité que l'on sent chez Benoît XVI. À moins qu'il ne cherche justement à camoufler celle-ci sous les dentelles. Bien sûr, ç'est un point de détail qui ne doit pas éclipser tout le reste. Néanmoins, je crains que ce retour au décor et à la liturgie tridentine soit mal compris de nos contemporains qui recherchent avant tout la simplicité et le dialogue, y compris aujourd'hui avec les plus grands représentants de la Terre. Le déploiement policier extraordinaire, le protocole très rigoureux auquel j'ai assisté aux Bernardins, avec l'arrivée d'abord de toute une série de personnages ; puis la pose du tapis rouge, le placement minutieux des cardinaux et des évêques... ne favorisaient pas vraiment ce contact direct auquel les gens aspirent.


Publié dans Eglise

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