Chrétiens face à la crise, la réponse bien faible des Semaines Sociales
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J’ai toujours trouvé étrange que les « patrons chrétiens », cite constamment la parabole des talents
Certes Luc Champagne dans son « indignation constructive » manifeste de la
détermination . « Les politiques doivent dire que le bonheur des ménages, l’épanouissement des personnes ne se mesurent pas seulement par la quantité de biens qu’ils consomment. Ils doivent
dire, avec notre soutien, qu’être plus est plus important qu’avoir, avoir plus, gagner plus, consommer plus… ». Cette objection fondamentale à une croissance pour avoir toujours plus est
reprise à la fin de son exposé en des termes qui apportent beaucoup d’espoir : « envisageons une “sobriété heureuse” ou, comme le dit Jean Baptiste Foucauld, “une abondance frugale et
solidaire ! ».
J’ai été enthousiasmé par cette introduction surtout que Luc Champagne ne veut pas en rester au discours. Comprendre est nécessaire. Que cela soit pour agir. « Il y va de la dignité et du respect dû à tous ceux qui vont souffrir de la récession que l’économie va connaître ». Comprendre, protester, espérer, vouloir.
Ceci dit, entrons dans le vif du sujet. Déception.
On tourne autour du pot, on commente, on explique, on discourt. Mais, en fait, les invités à ce colloque pouvaient-ils agir autrement. François Villeroy de Galhua, directeur du réseau France du groupe BNP Paribas, inspecteur général des Finances, etc… ne pouvait que d’emblée déclarer, bien sympathiquement face à Luc Champagne : « je voudrais me limiter au premier impératif : comprendre. Comprendre ce qui s’et passé et ce qui se passe ». On va expliquer que « la titrisation n’est pas en soi une mauvaise innovation ». On va affirmer qu’il faut éviter de paniquer les déposants.
Et Michel Camdessus, gouverneur honoraire de la Banque de France, directeur général du Fonds monétaire international de 1987 à 2000, président de la Société de Financement de l’Économie Française, nommé par Nicolas Sarkozy etc… que pouvait-il expliquer sinon que la moralisation de l’économie n’est pas encore faite. Les bonnes règles de l’économie de marché d’Adam Smith, « ces principes ont été de plus en plus oubliés au profit d’une seule et unique règle : celle de la maximisation des profits ». Pour qu’une réforme puisse se réaliser, il faut que « l’Europe soit debout, qu’elle soit unie comme première puissance commerciale mondiale et qu’elle agisse en conséquence ». Dans l’esprit concurrentiel que nous connaissons, propre aux fondements de l’économie de marché, cette phrase me fait frémir. Mais c’est que je ne comprends pas l’ensemble du système et que je suis manipulé par de fausses croyances en une mondiale solidarité fraternelle. Quand même, Michel Camdessus reconnaît que « derrière la crise technique, « il y a une crise morale ». « Il s’agit donc d’aller vers cette morale internationale nécessaire ». Je me demande pourquoi ce point ne fut pas développé. Michel Camdessus dit lui-même qu’il passe à côté de la question : « Il faut donc se demander comment relever d’un cran notre exigence en matière de morale mondiale et de morale collective. Toute une réflexion est à conduire à ce propos ». On remet à plus tard, on souhaite : « nos Églises ont des choses à dire ». Les dernières phrases de Michel Camdessus auraient mérité d’être le corps musclé de son intervention ; elles restent de vagues souhaits : « Il est tout à fait clair que la surexploitation catastrophique des ressources naturelles du monde et de l’effondrement du modèle financier dominant ont la même origine. La crise écologique comme la crise financière nous renvoie toutes aux règles fondamentales du vivre ensemble dans un monde qui se fait un. Elles ne trouveront sa solution que dans plus de frugalité pour plus de partage ; plus de responsabilité, plus de solidarité ». Pour que tous ces sujets soient traités à fond, assurément, les Semaines Sociales auraient dû choisir des intervenants plus proches des hommes et des femmes de notre temps. Ainsi aurait été respectée « l’invitation de Luc Champagne à ne pas nous laisser embarquer dans le brouillard de la complexité ».
Jérôme Vignon, directeur de la commission européenne chargé de la protection sociale et de l’intégration, en tant que président des Semaines Sociales rappela que l’enseignement social de l’Église « est d’abord de nous donner des clefs de lecture face à une situation complexe devenue inintelligible ». Ce qu’il a dit, me semble-t-il, est largement connu des participants des Semaines Sociales : « l’économie doit être au service de l’homme ». Or, que se passe-t-il quand le « développement » écrase l’homme ? Il n’y aura pas d’autres réponses que l’adjonction du qualificatif « durable » au « développement » pour rendre ce dernier acceptable. Bien sûr, en tant que chrétien affirmé, Jérôme Vignon cite l’Evangile. J’ai toujours trouvé étrange que les « patrons chrétiens », cite constamment la parabole des talents ou celle des ouvriers de la dernière heure. Vous le voyez bien, l’Évangile invite au travail, à la production. L’argent n’est qu’un instrument !
Pour atteindre les véritables causes de la crise actuelle, économique, sociale, morale, politique, religieuse, il aurait fallu que les membres des Semaines Sociales
choisissent des intervenants ayant ouvert de nouvelles portes.
L’Évangile invite à la vie sobre. Il rappelle que constituer des réserves dans ces greniers est vain, car ce soir même, on va mourir. Et l’argent, n’est-il pas sujet d’idolâtrie ? On ne peut adorer Dieu et l’argent. Etc.
Les témoins de cette nouvelle vision du cosmos, de l’homme existent. Seulement, ils n’appartiennent pas à ce même monde. On ironise plutôt envers ces utopistes sans même les connaître puisqu’on ne les reçoit pas. Comment alors les inviter à une table ronde ?
Christ par Huber Damon
La soirée des Semaines Sociales autour de la « Crise » en donna l’exemple dans le débat : « Plusieurs questions enfin sur les problèmes de consommation et de décroissance : cette crise n’est-elle pas finalement salutaire ? N’est-elle pas l’amorce d’une forme de décroissance, et de ce point de vue, une bonne nouvelle ? »
Réponse de François Villeroy du Galhau, qui arriva à faire rire une bonne partie des semainiers : « Je mettrai pour ma part un sérieux bémol sur la bonne nouvelle de la décroissance. La décroissance, nous allons l’avoir et nous allons bien nous rendre compte que c’est douloureux. La décroissance, cela veut dire du chômage en plus, et pas plus de justice. Cela ne signifie pas que chacun ne doive pas faire des choix en matière de consommation, voire de sobriété. Mais personnellement, je ne crois pas à la décroissance comme une bonne nouvelle ». Le ton quelque peu ironique de cette intervention me rappela un échange avec un membre des Semaines Sociales sur Lyon. J’avais organisé avec des amis une rencontre amicale pour que le groupe « chrétiens et pic de pétrole », objecteurs de croissance, fasse la connaissance des « Semaines Sociales » (Antenne sociale). Dès le début la note fut donnée quand un membre de l’Antenne sociale de Lyon déclara : « La décroissance, je connais. Ayant travaillés dans la publicité, ils connaissent les astuces de la communication. Ce n’est que du marketing vide de contenu. Des utopistes ». Il est rare d’être témoin d’autant d’ironie. Ironie que j’ai retrouvée dans l’intervenant faisant rire la salle.
Pour conclure, un souhait :
que la grave question de l’économie actuelle soit étudiée avec toutes les tendances. Les bureaux des services d’Églises traitant d’économie et de politique doivent entendre et tenir compte de toutes les études et observations faites sur le terrain. Je travaille donc pour le contenu du colloque organisé par « chrétiens et pic de pétrole » : quelles ressources spirituelles pour faire face à l’épuisement des ressources naturelles ? » pénètre dans les milieux traditionnels de l’Église.