Si Jésus s’imposait comme le font les princes de la terre, la violence, la haine, les rivalités demeureraient. Il s‘exprime en parabole
Tête du Christ, Rembrandt (Rembrandt Harmenszoon van Rijn) (1606 – 1669), vers 1648-54 huile, 58.4 cm x 53.5 cm – Detroit Institute of Arts
Se reconnaître en manque de vérité.
À l’occasion d’un baptême d’enfants, l’Église demande aux parents : « Pour suivre le chemin de la vérité, suivre Jésus-Christ, élever vos enfants dans ce projet, vous épanouir dans l’Esprit reçu au baptême, voulez-vous renoncer aux bonheurs illusoires que le monde fait miroiter, ne pas vous laisser séduire par les forces du mal et refuser de prendre pour guide quoi que ce soit d’autre que la lumière du Christ ?
Et les parents répondent, accompagnés de la communauté :
- Oui, nous le voulons.
Regardons en nous-mêmes et discernons la qualité de notre engagement. Nous nous savons pécheurs.
Mercredi et jeudi de cette semaine, dans les rues du centre de Lyon ou dans les métros, tram et bus, nous n’avons pu échapper à la couleur verte des maillots irlandais. Pas seulement, le vert avec les drapeaux, mais aussi les chants, les rires, les danses et des exclamations plus fortes qu’harmonieuses. Des cris bien abreuvés qui se voulaient très masculins. Selon mon observation, effectivement, pas de femmes. Mais je n’ai pas passé ma journée à observer ce qui se passait dans les rues et je n’ai fréquenté ni le stade de l’OL ni la place Bellecour.
J’associe à ces scènes de supporters, les défilés de Françaises, Français manifestant pour obtenir un avenir meilleur. À ces occasions, la couleur dominante était le rouge. Et, reprenant une expression lue dans la presse, je cite : « vous nous demander de cesser de manifester pour que l’Euro 2016 se déroule sans problème ; mais les jeux et les pains que vous nous donnez, ce n’est pas ce que nous voulons ». Des pains et des jeux ! Alors que l’Europe manifeste son incapacité à regarder l’actuelle crise migratoire, sommes-nous comme dans l’antique Empire Romain, aveuglés de distractions illusoires et couteuses ? Footballeurs, gladiateurs et pourquoi pas des lions… « L'Euro de Foot—Ball, écrit un blogueur, continue, avec tous ses excès, concernant aussi bien la tenue d'une frange de supporters d'une violence extrême que les dépenses induites par cette compétition ». Du foot au baal, jeux absolutisés, déifiés.
Maintenant que je vous ai exprimé mes interrogations sur l’actualité et le spectacle de ces pseudo jeux, désolé si vous en êtes fanatiques, je nous invite à regarder l’Évangile proclamé ce jour. Vous avez pu être choqué et agacé de m’entendre parler ainsi. Mes mots ne sont qu’invitation à débat et réflexion. Oui, l’Évangile nous est proposé pour que nous regardions ce que nous vivons au quotidien afin de discerner, dans ce quotidien ce qui va dans le sens du Christ et ce qui s’en éloigne. D’où notre demande de pardon en début d’eucharistie.
Resituons ce passage (Luc 9, 18-24) dans l’ensemble du chapitre 9. Les apôtres (ils sont douze) ont été envoyés proclamer la présence du Règne de Dieu en guérissant et en agissant avec autorité contre toutes les forces maléfiques. Ils libèrent de leurs maux tous ceux et celles qui manifestent leur confiance en Jésus (versets 1-7).
Pour l’Empire romain, Hérode Antipas, gouverneur de la Galilée et de la Pirée, fils d’Hérode le Grand, est informé de tout ce qui se passe : douze hommes opèrent des guérisons au nom de Jésus, celui qui a reçu publiquement le baptême de Jean et dont on connaît bien le père et la mère, Joseph et Marie vivant à Nazareth en Galilée. Pour cet épisode, on se trouve à proximité du lac vers Capharnaüm et Bethsaïde, villes frontière de la Judée et d’Israël où habitent de nombreux païens.
La foule est nombreuse à suivre et à écouter Jésus. Et, un soir (versets 10-17) au lieu de renvoyer tous ces gens pour qu’ils trouvent de quoi manger, Jésus demande à ses compagnons d’organiser un gigantesque repas avec le peu de nourriture qui se trouve sur place, cinq pains et deux poissons. Tous furent rassasiés comme le furent, avec la manne, les Juifs fuyant dans le désert l’Égypte ; et il y eut des restes, douze paniers !
Mais qui est donc cet homme Jésus ?
D’où lui viennent pouvoir et autorité ? Pourquoi une telle foule le suit ? Et, vous comprenez, je pense, j’espère, que je puisse me permettre une comparaison avec les foules qui font des kilomètres pour assister à un match à l’Olympique lyonnais. Pourquoi tant de violence ? de concurrence ? de meurtre ? Que cherchent ces gens ? Que cherchez-vous, si vous en êtes ? Que cherchons-nous ?
Qui est Jésus ? Hérode cherche donc à rencontrer celui dont on parle tant. Celui qui soulève les foules s’exprime en paraboles et opère d’incroyables miracles, des guérisons.
Mais, Jésus n’est pas toujours en action (versets 18-27). Avec les Douze, il prend le temps de la prière et du repos, le temps de la méditation. Il cherche un endroit tranquille, à l’écart des foules. On se trouve peut-être vers Césarée de Philippe, dans une montagne de Trachonitide, assez loin des villes du lac. Jésus s’interroge sur l’opinion publique : qu’est-ce que les gens disent de moi ? Puis, il interroge ses proches : et pour vous, qui suis-je ? Comment me percevez-vous ?
Pierre répondra au nom de tous. Tu es l’envoyé de Dieu (Messie, Christ). Celui qui a reçu l’onction de Dieu pour libérer le peuple de tout ce qui va mal. Tu es le nouveau prophète, porte-parole de la volonté divine. Effectivement, comme le disent les textes anciens, Jésus appartient à la tribu de Juda ; et l’on sait que les peuples obéiront à celui qui a le sceptre de Judas (Genèse 49,10). Il est de la lignée de David, né d’une vierge, germe juste. Juda sera sauvé et Israël habitera en sécurité. Tous les hommes de toute la terre connaîtront le salut. Isaïe avait ce discours. Mais il ne fut pas entendu.
Jésus, par prudence s’exprime en paraboles. Et, il ne fut pas compris. Il est effectivement l’envoyé de Dieu ; mais, peut-être pas comme les foules voudraient qu’il soit.
On pense qu’il pourrait être un chef théocratique, libérant Israël et Juda du joug romain. Jésus est chef d’une tout autre façon.
Dans un lieu, à l’écart, dans la prière, il explique le type de Messie qu’il est selon la volonté du Père. Les foules ne sont pas capables de comprendre ce message. Aussi, Jésus, avec sévérité, ordonne de ne rien dire pour l’instant. Le moment n’est pas encore venu. Si Jésus s’imposait comme le font les rois et les princes de la terre, la violence, la haine, les rivalités demeureraient. Pour accomplir un amour effectivement universel, pour faire comprendre que Dieu est le Père de tous les hommes, quelles que soient les conditions sociales, ethniques, linguistiques, culturelles, religieuses… pour ne pas s’enfermer dans le légalisme pieux, il n’y a qu’un seul chemin possible : celui de la soumission à l’humanité telle qu’elle est.
Priant à l’écart, c’est dans la communion à Dieu que Jésus révèle qui il est : un Messie souffrant qui sera inévitablement rejeté, tué, assassiné. Rejeté par les anciens et les princes de son peuple, il porte sur lui leurs fautes. Ce n’est qu’après l’angoisse et la réalité de la mort que ses contemporains reconnaîtront la résurrection. Jésus explique minutieusement tout cela dans la méditation rendue possible grâce à une mise momentanée à l’écart de la demande des foules. En effet, tous doivent bien comprendre ce chemin particulier, hors des tendances à la puissance dominatrice. Car, ce que le Christ subit, le disciple le connaîtra aussi.
« Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même et prenne sa croix ». Il s’agit du supplice qui conduira à la mort et que connaissent bien les contemporains de Jésus. Aux abords des villes, ils en avaient le spectacle avec toutes les crucifixions des malfaiteurs et opposants à l’Empire romain. Autrement dit, l’existence du disciple authentique est définie par celle de Jésus. Il s’agit de le suivre dans le renoncement à soi que signifie l’acceptation de la croix ; c’est-à-dire, en risquant sa vie pour la cause de Jésus et de l’Évangile (cf note tob).
Les premiers siècles chrétiens connurent ce martyre. Mais, tout au long de l’histoire, la majorité des disciples du Christ a vécu sa foi en Dieu sans être dans cette situation limite (André Sansfaçon). Nous réalisons effectivement notre relation au Créateur en écoutant la parole du Seigneur et en la mettant en pratique sans la moindre ombre dans le quotidien de notre existence ! Toutefois, nous ne pouvons oublier cette phrase de l’Evangile :
« Qui perd sa vie à cause de moi la sauvera. »