Presbytérat ou mariage, changement d’état. Le heurt des activités mentales (s’engager, penser, vouloir) qui semblent incapables de coexister

Publié le par Michel Durand

Presbytérat ou mariage, changement d’état. Le heurt des activités mentales (s’engager, penser, vouloir) qui semblent incapables de coexister

source de la photo, le Monde.fr à lire

Ma prière ce matin - prière que je souhaite paisible, libre et étendue dans une durée dépassant ou atteignant les 60 minutes -, fut pénétrée par la nécessaire reconnaissance du mystère de l’homme. De la nature humaine. Si Dieu trinitaire est un mystère, l’homme en est également un. 

Pour ne pas méditer dans le vague nébuleux de mes pensées, avant de me « positionner » dans la posture du « priant », style yoga, je regarde mon agenda et je consulte les récents courriels. Un tweet (retweet) de Nicolas Ballet m’informe que David Gréa déclare son désir de vivre avec sa compagne en toute vérité. Je ne crois pas en cette information du Progrès en date du 21 février 2017. Alors je consulte « la toile ». Tous les médias en parlent. Cela va vite. La tendance ensoutanée et encolée rappelle la juste voie du célibat sacerdotale et ses exigences. L’autre, plus moderne, souligne que depuis quelques années, au Vatican, l’ouverture de la porte vers la reconnaissance de la compatibilité du sacrement presbytéral avec le mariage se fait moins grinçante.

Personnellement, je pense qu’une parole donnée engage toute la vie. Et j’ai du mal à comprendre qu’il puisse y avoir de tel retournement. Que dire de celle ou celui qui quitte sa famille pour suivre un appel plus fort ?

Dans le milieu de la décroissance, j’ai rencontré un homme de ma génération qui m’a expliqué avoir entendu l’appel de l’Esprit Saint à quitter l’Église. Son choix de suivre cet appel n’a pu qu’être respecté. Et je ne parlerai pas en ce lieu de miséricorde, car cela me semblerait trop condescendant.

Mystère de l’homme. N’est-ce pas, également, à cette mystérieuse étrangeté humaine que je pensais hier en ce même lieu bloguant ?

Les textes de l’office des lectures et de nombreux psaumes de ce jour ont porté ma prière :

« Un homme s’est donné de la peine ; il est avisé, il s’y connaissait, il a réussi. Et voilà qu’il doit laisser son bien à quelqu’un qui ne s’est donné aucune peine. Cela aussi n’est que vanité, c’est un grand mal !

En effet, que reste-t-il à l’homme de toute la peine et de tous les calculs pour lesquels il se fatigue sous le soleil ? » Quohelet 2

« De même qu'un homme placé dans la lumière ne peut voir de ténèbres, ainsi est-il impossible à celui qui dirige son regard vers le Christ de le fixer sur quelque vanité. Avoir les yeux dans la tête — j'entends par tête (Christ) le principe de toutes choses —, c'est avoir les regards fixés sur toute vertu, car le Christ est la vertu absolue ». Grégoire de Nysse

Le mystère de l’homme se résout dans le regard du Christ sur l’humanité et les yeux de l’homme du Jésus-Christ. Facile à dire mais à vivre ?...

L’ai-je déjà dit sur ce blogue ? La lecture de la philosophie d’Hannah Arendt me comble de plaisir. Ce que je ne comprenais pas jadis, pendant mes études par exemple, de la philosophie de Kant, m’apparaît maintenant avec  plus de clarté. C’est pourquoi, suite à ma page d’hier et à celle d’aujourd’hui, je suis content de vous communiquer la copie de cette méditation concernant la pensée et la volonté.

Le heurt entre le penser et le vouloir : la tonalité des activités mentales

Si l'on jette sur ce recensement un regard libéré des théories et des traditions, religieuses ou séculières, il est vraiment difficile d'échapper à la conclusion que les philosophes paraissent biologiquement incapables de faire la paix avec certains phénomènes de l'esprit et la position de celui-ci dans le monde, et qu'on ne peut pas espérer voir les hommes de pensée évaluer la volonté avec plus de justesse qu'ils n'en témoigneraient s'agissant du corps. Mais l'hostilité des philosophes à l'égard du corps est bien connue, et on en a des traces, au moins depuis Platon. Elle n'est pas essentiellement motivée par le peu de fiabilité de l'expérience sensorielle - ces erreurs se corrigent - ou par le caractère désordonné des passions - la raison peut les dompter -, mais par la nature, incorrigible dans sa simplicité, des aspirations et besoins corporels. Le corps, Platon le fait justement remarquer, « veut sans cesse qu'on s'occupe de lui » et, dans le meilleur des cas - santé et loisir d'une part, patrimoine sans surprise d'autre part -, il interrompt par ses exigences sans fin l'activité du moi pensant ; pour reprendre la parabole de la Caverne, il oblige le philosophe à redescendre du ciel des Idées dans la Caverne des affaires humaines. (Il est courant d'attribuer cette hostilité à l'antagonisme des chrétiens à l'égard de la chair. D'abord, cette hostilité est beaucoup plus ancienne ; on pourrait même soutenir que l'un des dogmes chrétiens fondamentaux, celui de la résurrection de la chair, à la différence des spéculations antérieures sur l'immortalité de l'âme, prenait le contrepied flagrant, non seulement des croyances gnostiques banales, mais aussi des idées courantes de la philosophie classique.)

La rivalité du moi pensant et de la Volonté est, c'est évident, d'un genre tout différent. Le heurt a lieu ici entre deux activités mentales qui semblent incapables de coexister. Quand on fait acte de volition, c'est-à-dire quand on concentre son attention sur un projet futur, on ne s'est pas moins placé en retrait du monde des phénomènes que quand on suit le déroulement d'une pensée. Penser et vouloir ne sont en opposition que dans la mesure où ils affectent nos états psychiques ; tous deux, il est vrai, rendent présent à l'esprit ce qui est réellement absent, mais le penser draine dans son présent durable ce qui est, ou du moins a été, tandis que le vouloir, étiré dans le futur, se meut dans des régions où de telles certitudes sont inconnues. Notre équipement psychique - l'âme distincte de l'esprit - est outillé pour aborder ce qui lui arrive de cette région de l'inconnu à travers l'attente, dont les modalités essentielles sont l'espoir et la peur. Ces deux modalités du sentiment sont intimement liées, en ce que chacune d'elles est encline à virer de cap en direction d'un contraire apparent, et, du fait des incertitudes que recèle cette région, ces renversements sont quasi automatiques. Tout espoir abrite en lui une crainte, et toute crainte se guérit en se tournant vers l’espoir correspondant. C'est à cause de cette nature changeante, instable, inquiétante que l'Antiquité classique les incluait tous deux au nombre des cadeaux maléfiques de la boîte de Pandore.

Hannah Arendt, La vie de l’esprit, puf (1981), 2005, p.318

Publié dans Eglise, Anthropologie

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