Que nous ayons le courage de faire connaître tant aux citoyens ordinaires qu’aux responsables, l’existence réelle des personnes à la rue
Jean Tessier, prêtre du Prado en lien avec les exclus depuis 60 ans, m’a envoyé une prière en me demandant s’il est possible de la publier dans la revue du Prado Quelqu’un parmi nous. La prière est intitulée : Pour une présence évangélique aux personnes de la rue.
Jean est actif dans l’Association l’Écoute de la rue, qu’il a fondé il y a une trentaine d’années.
À l’approche de ses 90 ans, au rythme de sa santé, il poursuit sa présence aux personnes très éprouvées. Le journal La Croix, sous la plume de Florence Pagneux lui a rendu hommage le 12 juillet 2017. Je copie son article à la suite de la prière.
Voici cette prière :
Seigneur Jésus, Toi qui a connu le sort des abandonnés et des rejetés, Tu nous appelles à être témoins de Ta Bonne Nouvelle auprès des gens de la rue. Donne-nous d’accomplir Ton Œuvre avec humilité et audace dans un dialogue constant, franc et confiant avec les Responsables de Ton Église.
Fais de nous des coopérateurs fidèles de ton action Salvatrice en toute personne défigurée par la misère matérielle ou morale.
Aide-nous à descendre toujours plus bas pour être au niveau des plus écrasés et devenir apte à les comprendre dans un dialogue plein d’amitié.
Seigneur Jésus, permets que notre accompagnement fidèle des plus pauvres parmi les pauvres, nous obtienne la grâce de la Conversion Évangélique pour devenir des « êtres nouveaux ».
Aide-nous à porter un regard à la foi lucide, bienveillant et bienfaisant sur ces personnes en détresses.
Revêts-nous de Ton Humilité et de Ta Bonté; de Ta Patience et de Ta Persévérance à leur égard.
Remplis-nous de Ta Miséricorde et de Ta Délicatesse pour que nous puissions découvrir, admirer et faire grandir la part de Bien qui est en chacun. Ainsi nous deviendrons des « copies vivantes » de Ton Amour sans limites et pourrons soulager, rendre espoir, soutenir la volonté d’une existence nouvelle, redonner le goût de vivre.
Seigneur Jésus, fait en sorte que notre présence d’amour aux plus malheureux (présence enracinée dans la prière) s’accomplisse dans un climat d’Espérance et de joie Pascales. Ainsi, notre engagement paisible et souriant sera un rayon de soleil dans leur existence empreinte de solitude et de tristesse.
Seigneur Jésus, pressé par la prière parfaite de Marie, communique-nous la Lumière et la Force de l’Esprit-Saint. Sous sa conduite, nous travaillerons d’arrache-pied à susciter, parmi les plus anéantis , des disciples et des apôtres qui seront, à leur manière, des acteurs d’un monde juste et fraternel, mais aussi des artisans de communautés chrétiennes soucieuses de progresser sur les chemins de l’Humilité, et de la Simplicité et du Service selon l’Évangile.
Seigneur Jésus, accorde à chacun de nous un courage intrépide pour faire connaître intelligemment, avec charité et audace, tant aux citoyens ordinaires qu’aux responsables, l’existence réelle des personnes à la rue, afin de contribuer à l’humanisation de notre société.
Seigneur Jésus, envoie-nous des collaborateurs évangéliques pour aller à la rencontre des plus meurtris et, ensemble, travailler au bonheur humain et à l’épanouissement chrétien de ces frères et sœurs, jeunes et adultes, brisés par toutes sortes d’épreuves.
Seigneur Jésus, daigne exaucer cette prière que nous Te présentons par l’intermédiaire de Marie, Ta Mère qui est aussi La Maman des exclus.
Jean Tessier
Sa canne et sa démarche claudicante n’enlèvent rien à sa détermination et à sa joie d’aller vers l’autre, qui transparaissent dans son regard barré d’épaisses lunettes. « J’ai beau me déplacer en faisant des pas de cinq centimètres, je continue à aller tous les jours dans la rue », confie le Père Jean Tessier, 87 ans dont soixante-quatre de sacerdoce (1). Surnommé « l’abbé Pierre nantais », il aura consacré toute sa vie aux plus démunis, de Nantes à Saint-Nazaire en passant par Marseille ou l’Algérie.
Installé depuis dix ans dans une maison de retraite pour prêtres, au creux d’une rue pavée du centre de Nantes, il s’excuserait presque du confort de son deux-pièces, tapissé de livres, affiches, photos et icônes du Christ. « C’est un vrai petit musée », sourit-il, en évoquant avec précision quel souvenir s’y rattache.
Ici, une rose en tissu offerte par une femme au mari violent, qui a retrouvé du travail par son intermédiaire. « C’est tout un symbole car elle avait arrêté l’école à 12 ans et a finalement réussi à devenir éducatrice… » Là, une photo de sa rencontre avec le pape Jean-Paul II. « Il m’a dit : “C’est bien, continuez, courage, tenez bon.” »
Un engagement total
Plus loin, un épais ouvrage intitulé Changer le monde, offert lors de son départ de la présidence des deux associations qu’il a fondées à Nantes : L’Écoute de la rue, dont les bénévoles vont au-devant des personnes exclues, et le collectif d’aide aux sans-abri.
Cet engagement total prend racine dans son histoire familiale – des grands-parents très pauvres, un oncle devenu errant et des parents « profondément aimants et priants » – mais aussi dans ses lectures. Une biographie de saint François d’Assise qui l’a « profondément touché », le pousse à entrer, à 17 ans, dans un monastère nantais tenu par des capucins. « J’y suis allé et j’ai appelé plusieurs fois mais personne ne m’a jamais répondu. » Ce sera donc le grand séminaire de Nantes. « À l’époque, nous étions 200 séminaristes ! »
C’est lors d’une retraite spirituelle qu’il découvre Mgr Alfred Ancel (1898-1984),« un homme plein de Dieu et des pauvres », évêque et supérieur général du Prado à Lyon. La lecture d’un ouvrage du fondateur de cette institution, Le Véritable Disciple, du Père Antoine Chevrier, le décide à y effectuer son noviciat.
Côtoyer les exclus
Après son ordination, en 1953, le jeune prêtre est affecté dans une paroisse de la banlieue ouest de Saint-Nazaire. Pas question de s’installer dans le presbytère mais à deux kilomètres de là, dans une vieille roulotte achetée à des gens du voyage. « Je restais en lien avec les deux autres prêtres de la paroisse, précise-t-il.Je n’ai jamais agi en franc-tireur, hors de mon Église. » Son parcours est ainsi marqué par une grande fidélité à son diocèse conjugué à un désir absolu de vivre aux périphéries. « Je n’ai jamais délaissé les chrétiens, assure-t-il. Mais si j’avais délaissé les exclus, je n’aurais pas été fidèle à l’Église. Je n’ai fait que suivre le Christ… »
Après dix années passées dans le diocèse de Constantine, en Algérie, auprès des populations démunies de la ville de Guelma, il tient à vivre « pauvrement » et travailler « manuellement », tout en assumant la tâche d’aumônier de la prison de Nantes. Installé dans un taudis puis un HLM, employé dans une société de nettoyage puis comme veilleur de nuit, il n’a eu de cesse de côtoyer ceux que personne ne considère : détenus, étrangers fraîchement arrivés, personnes noyées dans la drogue ou l’alcool, prostituées… Toujours soucieux de déceler et« faire grandir la part de Bien en chacun ».
Son regard sur l’Église d’aujourd’hui ? « Elle est traversée par plusieurs courants,constate-t-il. Je me reconnais dans celle du pape François… » Défenseur inlassable d’une société « plus juste et plus fraternelle », il ne regrette en rien sa « présence d’amour » auprès des plus malheureux, nourrie par la prière et la lecture quotidienne de l’Évangile. « J’irai au-devant d’eux dans la rue jusqu’à mon dernier souffle », prévient-il en raccompagnant, à petit pas et dans un sourire lumineux, son interlocuteur.
-------------------------------------------
« Un témoin du Christ, sans aucun doute »
Père Édouard Roblot , aumônier des étudiants de Nantes
« Son engagement dans la spiritualité du Prado avec le Père Ancel et auprès des plus pauvres s’enracine dans son histoire familiale, car il a lui-même grandi dans un milieu très modeste. L’association qu’il a fondée, L’écoute de la rue, met en œuvre ce souci de présence et d’écoute gratuite des plus démunis. C’est vraiment un témoin du Christ, cela ne fait pas de doute. Je retiens sa droiture, sa cohérence avec l’Évangile mais aussi sa grande obéissance et fidélité à l’institution ecclésiale, alors que d’autres prêtres de sa génération ont pu agir avec plus de défiance. J’avais amené des étudiants de l’aumônerie à sa rencontre, dans la bibliothèque de la maison de l’Immaculée où il réside. C’était un merveilleux moment. Avec lui, je savais que ce serait évangélique… »
(1) Un ouvrage paru en 2013 intitulé Le Père Jean Tessier, 50 ans avec de grands exclus, retrace son engagement.