Comment furent vécus les commencements que les circonstances ont imposés aux choix et missions que je me suis donnés, que j’ai reçus ?
À mon sens, il n’est pas facile de rendre grâce pour les bienfaits reçus de Dieu. En effet, dans les turbulences de l’existence, de quels bienfaits parle-t-on ? Quand les circonstances imposent des changements comment les vivre et, ensuite, rendre grâce ? Quel travail accomplir pour être dans ces dispositions intériorisées ?
Tout d’abord, qu’entend-on par « rendre grâce » ?
C’est faire état de « nos prises de conscience de la bienveillance permanente de Dieu à notre égard, de sa puissance d’amour ». « Rendre grâce, c'est-à-dire reconnaître en Dieu l'origine de tout ce qui est bon, est un des premiers mots de la prière eucharistique, de ce que nous appelons «préface». L'Eucharistie, c'est-à-dire l'Action de grâce, c'est le sacrement central de la vie chrétienne ». Voir ici.
Contraints à vivre des changements, nous rendons grâce
Pour la récollection avec des laïcs/laïques réuni(e)s au centre spirituel Saint-André à Limonest, maison du Prado, il sera demandé à chacun/chacune des participant(e)s de rédiger - ou de réfléchir - sur les nouveaux commencements rencontrés au cours de son existence. Il est question de dire ce que nous repérons comme commencements (recommencements) de nos vies, dans nos vies.
Cette récollection aura lieu le 4 octobre 2020. Voir le fichier joint, ci-dessous.
Afin de me préparer à ce temps de réflexion, de méditation et de prière qui devrait se terminait par une Action de grâce, je me lance dans une sorte de révision de vie selon cette orientation. Cela devrait servir à rédiger un éventuel témoignage à donner le jour du 4 octobre.
Comment furent vécus les divers (re)commencements que les circonstances ont imposés aux choix et missions que je me suis donnés ou que j’ai reçus ? En cet instant, je ne cherche pas à être exhaustif, à tout dire. Quoique cela devrait être utile pour établir un bilan de « carrière ». Une sorte de révision de rien globale.
Sans aucun doute, il y a eu plusieurs commencements (ou recommencements) dans mon existence. Considérant l’immédiat, je pourrais parler du passage à la retraite canonique au dernier trimestre de 2014. En fait je préfère réfléchir sur l’année 2006-2007 où j’ai dû quitter l’Espace Confluences. Ce local, lieu d'exposition d’art plastique contemporain, est un « outil » que la Pastorale des réalités du tourisme et des loisirs (ou du temps libre) [PRTL] s’est donné dans le but de rejoindre le plus de monde possible dans le cadre de l’occupation des temps libres, c’est-à-dire hors travail salarié ou productif. À l’époque de sa création dans le Vieux Lyon, 1986-1987, le Musée des Confluences, le centre commercial, Confluence, le quartier La confluence n’existaient pas. Suite à la notoriété de ces nouvelles appellations, l’association loi 1901 Confluences a opté pour un nouveau nom : Résurgence(s). Symbole d’un nouveau départ. Voir ici.
Mon service d’Église depuis 1988 était en partie consacré à la PRTL L’autre mi-temps revenait à la vie paroissiale. Après avoir été vicaire à la paroisse de la Cathédrale - toujours le Vieux Lyon- je fus nommé curé à la paroisse de la Sainte-Famille de Villeurbanne.
Pour ce service ecclésial qui vise l’accueil des touristes et cherche à préparer les gens à partir en voyage et à bien vivre tous les temps libres, j’avais le souci d’être réellement présent à ce monde des loisirs. Pour cela un bureau dans une maison diocésaine, ne convenait pas. Il était préférable d’être, avec une équipe, dans un lieu directement accessible à tout le monde.
Certes, une installation à l’intérieur de la cathédrale convenait bien. Mais cela n’offrait la rencontre qu’avec les personnes visitant cette église. Je souhaitais donc compléter ce mode de présence en trouvant un local commercial ouvert sur la rue Saint-Jean dans le quartier historique du Vieux-Lyon. Dans cet espace, toute porte ouverte sur la rue, nous organisions des expositions de peintures, de sculptures d’art contemporain indiquant ainsi que le patrimoine ne résidait pas seulement dans les vieilles pierres, mais se trouvait aussi présent dans les créations actuelles. Une bibliothèque dédiée aux monuments chrétiens et aux réalisations artistiques à fort caractère spirituel était également à la disposition des visiteurs. Des cours d’iconographie chrétienne étaient donnés. Tout cet apport visuel était l’occasion d’échanges fort intéressants avec les visiteurs qui entraient nombreux dans l’Espace Confluences formé d’un rez-de-chaussée et d’une cave d’environ 30 m2 chacun. Quand il y avait trop de monde, le dialogue était plus difficile, mais toujours possible. L’espace était ouvert tous les après-midi de la semaine sauf le lundi.
Donc, vous le voyez, un beau lieu d’échange orienté par la devise : se construire par la beauté ou encore : dévoiler l’Évangile qui habite les œuvres, nous habite. Découvrir la dimension spirituelle de l’être humain telle que nous pouvons le désirer quand nous nous engageons dans un voyage, l’admiration d’une œuvre artistique, la contemplation d’un paysage. Trouver le sens d’une vie, de notre vie, n’est-ce pas ce que nous recherchons dans les occupations de nos temps libres ? Bien sûr, il faut pour cela que le temps libre soit vécu dans un climat de repos ouvert à la contemplation. Dans ces dialogues spontanés, que de sympathiques conversations avions-nous eu avec plein de gens « hors Église ».
Quand un changement devient inévitable
Ma présentation de cette tranche de vie fut un peu longue, mais je ne vois pas comment faire autrement pour situer clairement ce que nous fûmes obligés de quitter.
La mise en œuvre de cet engagement et orientation pastorale et missionnaire fut réalisée avec l’évêque Albert Decourtray, en 1986-1987 qui me nomma à cette tâche qu’aujourd’hui j’ose qualifier d’ouverture à un monde proche des frontières selon l‘expression de François : « l’Église doit sortir d’elle-même », « aller dans les périphéries géographiques, mais également existentielles ».
Or, cette perspective, cette orientation ne fut pas suivie après 2002 par un nouvel évêque. Par ailleurs, et au préalable, le loyer du local, suite au changement de propriétaire puis au changement de bail commercial, doubla à la demande du nouveau propriétaire afin de se mettre au niveau du marché. Selon les huissiers, il fallait quitter les lieux dès le mois prochain.
Que faire ?
Une page s’ouvrait donc pour un nouveau commencement. Un recommencement. Voulions-nous continuer notre mission donnée par l’évêque ? Le pouvions-nous ? Personnellement, comment ai-je vécu ce changement ? Comment l’équipe de Confluences, bénévoles et salariés, l’a-t-elle vécu ?
Afin de mieux comprendre la situation, j’ai consulté diverses personnes compétentes en ce domaine. Les conseillers du diocèse me firent comprendre que nous n’avions aucun droit et que nous devions rendre immédiatement les locaux. Ils prenaient les arguments du propriétaire. Insatisfait face à ce genre de réponse, j’ai consulté quelques commerçants, dont le boulanger voisin de Confluences, qui, comme nous, n’était pas propriétaire des murs, mais avait des droits sur le fond de commerce. Il me conseilla de résister et de demander plus d’information. Nous ne pouvions pas partir du jour au lendemain. En l’écoutant, j’ai compris comment des petits commerçants pouvaient être en difficulté tout simplement à cause des lois du marché.
Alors, par l’intermédiaire du responsable de la Régie de l’immeuble, nous avons fait comprendre au propriétaire, avec l’aide d’un avocat présenté par un membre de la PRTL et selon les conseils de Défense des consommateurs, qu’il était nécessaire de laisser le temps de nous organiser. Nous lui avons expliqué, ainsi qu’au responsable des affaires économiques de l’Église que nous avions des contrats avec des exposants et qu’il n’était pas humain de tout abandonner immédiatement.
Nous avons opéré un licenciement économique pour l’un des salariés, un artiste algérien en demande d’asile en France. Il est maintenant régularisé et a opté pour la double nationalité. L’autre salarié, handicapé fut embauché par les services diocésains. Pendant ce temps, à la demande de l’évêque, je quittai la Pastorale du tourisme. Alors que le successeur ne se sentait pas concerné par l’orientation prise avec l’outil de l’Espace Confluences.
Nouveau commencement
Je fus nommé curé à l’église saint Polycarpe sur les Pentes de la Croix-Rousse. C’est un immense bâtiment du XVIIe siècle agrandi au XIXe dans un quartier profondément déchristianisé. Quartier où vivent de nombreux artistes de tous les arts. J’ai ressenti cette nomination comme providentielle. Elle donnait, grâce à tous ses vastes espaces vides, la possibilité de maintenir le dialogue avec les artistes et avec les amateurs d’art.
Alors, progressivement, nous avons fait le déménagement. Cela a duré jusqu’à fin des engagements que nous avions avec les exposants dans l’Espace Confluences- Saint-Jean. Je n’ai pas présentement en mémoire les dates exactes. Il est facile de les retrouver en regardant les catalogues des expositions ou la revue Confluences qui rendaient compte de toutes les activités.
En même temps, nous avons nettoyé les salles vides de Saint-Polycarpe pour en faire un lieu d’exposition. Ce dernier était trois ou quatre fois plus vaste que le précédent. Il reçut le nom de Confluences-Polycarpe. Nous avons également installé dans les nefs latérales de l’église des systèmes d’accrochage pour y exposer des peintures à caractère chrétien ou fortement spirituel. Ce fut également le lieu des biennales d’art sacré actuel, démarrée à dans la grande église de la Saint-Famille à Villeurbanne alors que ce lieu ne nous était plus accessible.
Signe providentiel
Je peux dire que j’ai vécu ce nouveau commencement comme un véritable rebondissement porté par l’Esprit. La présence de la Providence était évidente. Certes, nous quittions, un peu, la rencontre avec les réalités propres au monde du tourisme, mais nous y gagnions en qualité dans la rencontre avec les artistes et les amateurs d’art. Nous y gagnions en qualité d’exposition. À Saint-Polycarpe, moins de personnes passaient soit dans l’église, soit dans l’espace d’exposition que dans le local de la rue Saint-Jean, mais le nombre de visiteurs n’était pas négligeable. Souvent les échanges étaient plus longs, plus approfondis justement parce qu’il y avait moins de monde à la fois. Autrement dit, rien ne peut concurrencer la foule qui baguenaude dans la rue piétonne du Vieux-Lyon.
Moins de contacts quotidiens donc. Alors j’ai voulu ouvrir une autre façon de rencontrer des inconnus afin de développer diverses réflexions sur la vie quotidienne, l’Église. Les dialogues que j’avais le dimanche avec les passants je les ai désormais par le moyen de mon blogue en manque d’Église. C’était le début de ce mode de communication. Je me suis dit, puisque je n’avais plus l’occasion de rencontrer des gens dans l’espace de la rue Saint-Jean, je vais ouvrir un espace virtuel. Selon l’intuition d’un ami poète, il a pour nom : en manque d’Église. Nous sommes toujours en manque d’ouverture, de perfection, de sainteté.
Aujourd’hui, les jeunes trouvent que ce mode de communication, le blog(ue) est dépassé. Je persiste à l’utiliser estimant qu’une centaine de lecteurs par jour, ce n’est pas mal. Je l’ai ouvert en mars 2007. Je vois en lui un (re)commencement réussi. Certes, le dialogue, le débat n’est pas immédiat. Les lecteurs ne réagissent pas sur le champ alors qu’à l’espace Confluences-Saint-Jean, il y avait de vrais échanges d’idées, de convictions, des opinions diverses. N’empêche que je ressens ce moyen comme une opportunité pour ouvrir une fenêtre dans le mur des frontières qui nous séparent.